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Le second cycle souvre dans la même forme de dialogue que le premier, avec les deux premiers Psaumes 130 et 131, : au « je » du pèlerin qui prie répond le « tu » de la communauté qui poursuit son enseignement. Cependant, le psaume dentrée, qui comporte dans les deux cas huit versets (autre repère pour apparier 130 à 121), voit les proportions sinverser : la prière domine devant la brève leçon des deux derniers versets du Ps 130, alors que la leçon lemportait sur la prière des deux premiers versets du Ps 121. Les leçons sabrègent, le pèlerin progresse. Dans la prière. Conscient de ses insuffisances, de son éloignement du ciel, il invoque le pardon de Yhwh, il appelle, il espère être entendu, mais sans chercher à sannexer les secours de Yhwh comme en 121, 2. Davantage : conscient du risque didolâtrie du Nom, par trois fois il prie Adonaï et non pas « Yhwh ». Minuscule détail mais dune grande importance, car le mot adonaï, « mon seigneur », signifie que je choisis librement celui à qui je madresse pour lui dire : Je técoute. Sois mon juge, guide-moi. Dis-moi ce que je dois faire . Cette adresse signifie que jai renoncé à révérer un Dieu menaçant dont on peut craindre les sanctions, que je ne cherche plus à honorer ou à flatter un pouvoir inconnu pour men attirer les faveurs. La recherche contrainte et intéressée cède la place au mouvement gratuit du cur qui répond à un appel.
Brève réponse à cette longue prière dans les deux derniers versets du Ps 130 : « Mets ton attente en Yhwh ». Pourquoi cette réponse ? Parce que la prière, après avoir évité lécueil de la recherche dun « Yhwh-objet » qui vous tire daffaire, glisse insensiblement vers la recherche des biens que Dieu procure. Le psalmiste déclare attendre une parole de Yhwh : son désir est tendu vers une manifestation divine (130, 5). Déjà, au premier cycle, cette recherche des biens était sensible : lhomme envisageait avec joie sa présence future en la maison de Yhwh (Ps 122 ,1) et partait pour atteindre cet objectif (verset 9). Cest Dieu quil faut chercher, le maître de maison. Pas son whisky ou ses petits fours Mais Seigneur, qui donc es-tu ? où te chercher ? Réponse brève mais forte. « Mets ton attente en Yhwh », non pas pour quelque chose mais parce que en Yhwh est la bonté (130, 7), quand bien même tu ne sais pas encore en quoi consiste cette bonté pour toi. Limportant est le mouvement du cur, et pour bannir lintérêt, il nest rien dautre que lécoute obéissante. Le conseil Parce que Yhwh est bonté renvoie le pèlerin à la Torah (Exode 34, 6), et cette façon de lappeler Israël le recentre à nouveau sur lhéritage spirituel de David déjà si fortement visé au premier cycle (Ps 122). Voyez alors comment le maître éclaire son disciple en linvitant à entrer dans lidentité dIsraël : la libération (que tu cherches) viendra par Yhwh, qui la fait croître, et lui libérera Israël, cest-à-dire toi, oui, mais toi par et dans la communauté.
Au Ps 131, nous voyons le psalmiste protester de sa bonne foi : il ne cherche rien dextraordinaire, aucune merveille ! Ce nest pas lui qui envie ceux dont les pieds se sont tenus dans les murs de Jérusalem (122, 2), ou qui guette une manifestation surnaturelle. Non, il na pas dambition, il nest pas orgueilleux : il suit parfaitement la règle de vie dIsraël. Aussi, devant cette absence de résultat, pour manifester son étonnement de nêtre pas encore en contemplation de la face divine, il proteste de son humilité (verset 2a). Il se dit frustré par le silence de Dieu ! Comprenez notre pèlerin : il est dans la situation ambiguë du sevrage. Pourquoi, dit-il, les plus hautes nourritures spirituelles me sont-elles encore refusées, alors que jai renoncé à tout ce qui me faisait vivre jusquici ? La réponse est encore celle du psaume pécédent : Mets ton attente en Yhwh, et non dans les biens qui viennent de lui. Tu exiges un résultat, tu cherches une efficacité, tu revendiques comme le léopard qui rugit ! Tu dois plutôt te comporter « Comme le Lion », qui se réjouit, comblé par ce quil a déjà reçu. Cette réponse est un nouveau recentrage sur la spiritualité dIsraël que Juda, puis David, Lion de Juda, ont reçue en héritage. Lhéritage dIsraël est ton guide dès maintenant et jusquau temps secret, comme il a été dit au cycle Primaire : si tu abandonnes cette voie, comment Yhwh pourrait-il « garder ta vie, ta sortie et ton entrée jusquau temps secret » ? (Ps 121, 7-8).
Les deux premiers psaumes du cycle Secondaire ont invité le pèlerin à constamment approfondir sa méditation sur la question : « Qui est mon Dieu ? » ; les deux derniers vont lamener à cette autre question : « Où est mon Dieu ? ». Et dans ce second cycle, comme dans le premier, la seconde partie revêt une forme plus concrète, plus pratique. Nous avions vécu avec lui les premiers pas du pèlerin dans sa communauté ; nous allons maintenant vivre les premiers pas de la communauté ayant intégré le pèlerin en son sein.
Au Ps 132, le dialogue semble se poursuivre comme au cycle Primaire. Mais ce dialogue, désormais, nest plus entre maître et disciple : il est dialogue dhommes libérés au sein de leur unité. Un débat sinstaure, interne à la communauté, et qui porte sur le lieu de résidence de Yhwh. Ce lieu est dabord compris comme le temple que David avait fait vu de construire pour Yhwh (versets 1 à 5), temple construit plus tard par Salomon ; puis il se déplace en Éphrata, qui est Bethléem (versets 6 et 7), et qui est aussi le lieu des origines de David et de son onction par Yhwh ; il aboutit enfin en Sion (versets 13 à 18), cité de David, résidence de larche dalliance de Yhwh jusquau jour de son transfert par Salomon, dans le temple quil a fait construire selon le vu de son père David. La référence, on le voit, est toujours David, roi de lunité dIsraël. Et cest bien lunité dIsraël qui est en jeu dans ce débat, au moment de lintégration du pèlerin venu dailleurs, et qui demande où réside Yhwh. Cest encore à lesprit de David que la communauté se réfère pour débattre de sa réponse. À David, chef spirituel de tout Israël, dont la communauté est une cellule, un membre vivant ; elle sadressse à son messie, oint de Yhwh, son adonaï, son « seigneur », pour la guider vers la connaissance et la vérité : « Où réside Yhwh ? ».
La troisième évocation du lieu de Yhwh en Sion semble fixer le choix de cette recherche géographique : ni le temple, résidence visible, peut-être trop visible, ni le lieu de la naissance physique et spirituelle du messie, mais une montagne, symbole éternel invoqué trois fois dans ces psaumes (121, 1 - 125, 1 et 2), celle de Sion, dont le nom vient à sept reprises dans ces quinze chants mais une fois seulement en tant que mont de Sion (125, 1). Pourtant, cette conclusion, si cen est une, nest pas venue sans la prière de la communauté, qui sexprime aux versets 8, 9 et 10. Après avoir hésité entre le Temple et le berceau de David, la communauté demande à Yhwh lui-même de se prononcer. Sa prière implore son Seigneur : « à cause de David, tu ne repousseras pas la face de ton messie ». Qui donc est ce messie ? Non plus David, aujourdhui, mais Israël dont il est le chef spirituel pour léternité, cest-à-dire, en cet instant, la communauté qui prie. La réponse à sa prière lui est en effet donnée par cette même communauté dIsraël une autre voix, au sein de la même unité qui cite la Torah, la Parole divine que le peuple dIsraël a pour mission de transmettre.
En première lecture, cette réponse à sa prière a de quoi surprendre Israël. La communauté demande où réside Yhwh, et Yhwh répond que les fils de David hériteront de son trône ! (verset 11). La prière a-t-elle été bien entendue ? Oui, lisons toute la réponse : il sagit des héritiers spirituels de David, puisque la promesse ne vaut que pour des « fils qui gardent mon alliance et mon témoignage » (verset 12). Cest donc, en cet instant, la communauté en prière qui devient elle-même cet héritier spirituel, cest elle qui siège sur le trône de David, cest de sa bouche que sort la parole divine qui nourrit le peuple dIsraël et qui désigne le mont Sion comme résidence de Yhwh.
Un mot, pourtant, le tout premier dans la parole de Yhwh, suscite notre étonnement : le « fruit de tes entrailles ». Simple périphrase sans doute, pour désigner les fils de David. Mais rien nest jamais gratuit dans lÉcriture : pourquoi cette expression est-elle employée ici ? Dans la promesse évoquée, Yhwh nemploie pas ces mots pour parler à David (1 Sam 7, 12), pas plus que lÉcriture, en aucun autre des passages où cette promesse est rappelée. Dautre part, cette expression est plutôt rare dans la Bible, sept occurrences en tout, et lon est dautant plus surpris den trouver une ici que les six autres sont toutes au Deutéronome. Elle viennent de la bouche de Moïse parlant au peuple dIsraël : « Si vous observez ces commandements , si vous les mettez en pratique, alors Yhwh ton Dieu te bénira, te multipliera, te rendra prospère ; il te comblera de biens, [ ] il bénira le « fruit de tes entrailles » et le fruit de ta terre, ton blé, ton moût, ton huile, tes troupeaux, [ ] dans le pays quil a promis à tes pères de te donner ». Si tu gardes mon alliance et mon témoignage que je tenseigne dit le Psaume. Mais oui ! cest bien cette promesse de Yhwh à son peuple qui est rappelée ici, aux versets 11 et 12 du Ps 132 : fécondité et richesse pour tout homme qui vit au sein de la communauté à lécoute de la voix de son Dieu.
Faut-il encore chercher où réside Yhwh ? Nest-ce pas là, au milieu de son peuple, plutôt que dans un temple ? Et nest-ce pas ce que déjà Yhwh promettait à son peuple quand il sortait dÉgypte sous sa conduite ? Quand ils auront fait pour moi un sanctuaire, jhabiterai au milieu deux (Ex 25, 8). Le sanctuaire, cest la communauté unie. Qui prie, et qui cherche dans le témoignage de ses pères « Qui ? » est son Dieu.
Et Sion ? demandera-ton. Patience, voici confirmation dans le Psaume de clôture du cycle. Le Psaume 133 chante dabord le bonheur, la joie pour des frères, dêtre unis et dhabiter ensemble. Cette communauté, est-il besoin dinsister, nest pas nimporte quelle famille de frères et surs vivant avec leurs parents sous un même toit. Ces frères vivent en fraternité spirituelle : ils ont un même père, Yhwh, qui les guide, une même mère, la Torah, qui les nourrit de son lait. Ils vivent de la même onction reçue pour la première fois par le grand prêtre Aaron, frère de Moïse, onction qui descend sur eux, comme une rosée de lHermon, sur les monts de Sion (Ps 131, 3). Ce sont eux, membres de la communauté, qui sont « monts de Sion » ! Sion nest pas le nom dune colline proche de Jérusalem, car cette colline a pour nom lHermon, comme il est rappelé ici, en mémoire du temps qui vit naître ce nom, là-même où Moïse présenta la Torah aux fils dIsraël, [ ] après leur sortie dÉgypte ; de lautre côté du Jourdain, [ ] sur leur territoire, [ ] jusquà la montagne de Sion qui est lHermon (Ex 4, 44 48) ; mais aussi en mémoire du temps où David prit possession de la place forte de Sion : cest la cité de David (2 Sam 5, 7). Sion nest pas la résidence de Yhwh parce que larche de lalliance y séjourna avant dentrer au temple, mais parce que Sion est le nom qui symbolise la communauté dIsraël vivant de la Torah donnée par Yhwh. Israël est fille de Sion qui la nourrit de son lait : la Torah.
Nous pouvons maintenant revenir vers les cinq Chants qui constituent le noyau des quinze psaumes, noyau dont le cœur est le Ps 127.
Le mot Sion, dont nous venons de souligner toute limportance symbolique, y figure, une fois et une seule, dans chacun des quatre Psaumes 125, 126, 128 et 129. Ces quatre occurrences symétriques dans ces quatre psaumes aux titres identiques, soulignent à nouveau limportance du symbole, présent ensuite, nous lavons vu, en 132 et 133, et enfin, septième de ces sept occurrences, au dernier verset du dernier Chant, Ps 133. De Sion vient la bénédiction de Yhwh. Impossible déchapper à ce signe puissant qui traverse tout : la maison de David, située en Jérusalem par le Ps 122 du premier cycle, nest que le signe visible qui pointe sur la maison de Yhwh, sur Sion, sur la communauté dIsraël. Communauté dont les ressorts de lunité nous apparaissent dès lentrée dans le noyau, au Ps 125. Ceux qui mettent leur confiance en Yhwh, comme le mont Sion, ne chancelle pas. Ce verbe au singulier, dont le sujet est un pluriel, reflète lunité de la communauté, en Sion, comme en ce passage fondateur de la Torah évoqué précédemment, qui a fait dire à Moïse : Si vous observez ces commandements, Yhwh ton Dieu te bénira . Même transformation : cette action de chacun, qui suit la voix divine, fait de ces hommes au pluriel une assemblée au singulier. Yhwh saura trier les bons des mauvais (versets 4 et 5). Yhwh conduit ainsi Israël à la Paix !
On est frappé de trouver cette même incise Paix sur Israël ! en même conclusion du Psaume 128, reproduisant symétriquement celle du Psaume 125. Cest une marque forte, dabord parce que cette incise ne figure nulle part ailleurs dans la Bible ; ensuite, parce que la singularité de ces deux chants est confirmée par la présence unique du mot « Jérusalem » en chacun deux, mot absent partout ailleurs en dehors de sa triple présence au Ps 122. Et Jérusalem est précisément le lieu de la paix (les deux mots sont issus de la même racine). Ce rapprochement signifie donc, pour le pèlerin, Israël, lapproche imminente du lieu de son repos.
Mais pourquoi ces deux psaumes, si semblables par leur forme et par les mots clés qui les jalonnent, si appariés dans la symétrie qui les renvoie lun à lautre, pourquoi ces deux Chants nous entraînent-ils vers des lieux apparemment si différents ? Le premier (125) chante la maison de Yhwh en Sion, la communauté dIsraël unie dans une même vie spirituelle, tandis que le second (128) célèbre la communauté familiale, sa richesse et sa fécondité. De plus, au psaume suivant, une distinction semble se faire jour entre « ceux qui vont au-delà » (129, 8) et les autres, qui semblent ne pas y aller. Les autres ? Quels autres ? La montée vers Dieu serait-elle « à deux vitesses » ? Y aurait-il dune part les « traversants » qui vont au-delà, et dautre part ceux que leur insuffisance condamne au travail de leurs mains pour vivre ici-bas, qui doivent se contenter de peupler la terre, louant la fécondité féminine que Yhwh leur accorde en les bénissant, mais sans jamais espérer aller au-delà ? Ne faut-il pas que ceux-ci travaillent pour nourrir ceux-là et pour les reproduire ?
Une telle lecture, hélas, est aujourdhui largement partagée. Elle est accréditée par le fait quune grande majorité de mystiques, quelle que soit leur religion, sont issus de communautés religieuses composées de célibataires. Une telle lecture est pourtant une profonde aberration. Non seulement parce que la voie mystique est loin dêtre réservée au célibat (les prêtres et les Lévites qui ont écrit ces psaumes vivaient en famille, comme le décrit le Psaume 128), mais surtout parce que la recherche du sens, jusquau cœur du Psaume 127, va nous montrer que bien au contraire, cest au sein même de la communauté physique où Dieu fait naître lhomme, que cette communauté, du fait même de la qualité de sa vie spirituelle, engendre des fils qui vont au-delà, reçoit en récompense le fruit de ses entrailles.
( à suivre : Troisième et dernière Partie ) |