Il convient de bien distinguer le nom propre Élohim (Dieu) de lexpression avec article ha-élohim (les dieux, la divinité). Élohim est le Dieu unique créateur du ciel et de la terre (Gn 1, 1), inconnu des hommes jusquà ce quil se révèle à eux (Ex 6, 2-3 et 20, 1-2). Les élohim, au sens étymologique, désignent ce « que lon adore » (le mot vient de la racine alah, adorer), cest-à-dire ce que lhomme connaît de Dieu, ce quil en a reçu comme révélation.
Les élohim désignent parfois des idoles, car les hommes égarés adorent parfois des idoles. Mais le plus souvent, les élohim, forme sous laquelle Élohim se révèle, désignent en particulier le Nom divin, comme en témoigne lexpression ha-élohim Yhwh (1 R 18, 39 ; 1 Ch 13, 6 et 2 Ch 30, 19) cest-à-dire « la divinité Yhwh » ou « le[s] dieu[x] Yhwh ».
Après Moïse, Yhwh ayant proscrit les représentations imagées (Ex 20, 4), les Hébreux ont eu tendance à considérer les élohim comme des idoles. Mais pour les patriarches, et pour Abraham, Isaac et Jacob, les élohim ne sont pas des idoles, cest la révélation du vrai Dieu, notamment sous le nom El Shaddaï, comme Élohim le dit à Moïse en se présentant sous le nom de YHWH (Ex 6, 2-3) :
Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob en El Shaddaï ; mais sous mon nom YHWH, je ne me suis pas fait connaître deux.Les élohim dAbraham sont matériellement mentionnés dans la Genèse : Pourquoi as-tu volé mes élohim? demande Laban à Jacob (Gn 31, 30). Pour Abraham, Isaac et Jacob, ce nétaient pas des idoles.
Le nom propre et le nom commun se trouvent tous les deux ensemble dans le même verset pour la première fois en Gn 5, 24 :
Hénoch marchait avec les élohim ; puis il ne fut plus parce que Élohim le prit avec lui.La distinction entre les deux mots est ici essentielle. Hénoch (comme tout homme) suit (marche avec) la divinité qui sest révélée à lui (révélation dont nous ignorons le contenu) ; il ne peut pas suivre Dieu (Élohim) quil ne connaît pas, mais qui va le prendre avec lui en raison de sa (bonne) foi.
On peut faire la même observation en Gn 20, 17 :
Abraham pria les élohim et Élohim guérit Abimélec, sa femme et ses servantes.Abraham adresse sa prière à la révélation de Dieu, mais cest Dieu qui guérit.
Ces quatre lettres de lalphabet hébreu, yod, he, waw, he, composent le Nom révélé à Moïse au Buisson ardent (Exode, chapitre 3). Cest lun des mots les plus fréquents de la Bible : dans le seul livre des Psaumes, on le rencontre six cent quatre-vingt-quinze fois.
Dans la traduction des Textes bibliques, nous avons choisi de laisser ces quatre lettres dans leur graphisme dorigine, comme ils sont dans lÉcriture, sans chercher à traduire ou à transcrire. Cest seulement dans les Commentaires, les Études et les Notes, que nous désignons le tétragramme par les lettres correspondantes de lalphabet latin employé dans ces textes, YHWH, car nous nous situons alors en dehors de lÉcriture, pour la commenter.
Ce parti a été pris pour deux raisons principales :
le Nom divin est un mystère inépuisable. Quand le lecteur non juif se trouve devant ce signe, certainement le plus fort de toute lÉcriture hébraïque, il est arrêté dans sa lecture, ne sachant pas comment le prononcer. Cest précisément ce quenseigne la Tradition dIsraël à son propos : le Nom divin ne peut ni ne doit être prononcé. Certains chrétiens ont pu reprocher aux juifs de ne pas prononcer du tout le Nom afin déviter de l invoquer à tort , comme le demande la Torah (Exode 20, 7) ; bien que ce risque ne soit pas nul, en effet, il existe un danger bien plus grand de banaliser linvocation du Nom divin, de croire en être quitte avec sa traduction vocale, voire de prendre pour idole cette invocation sonore. Dieu ne regarde pas les apparences (ici : vocales) mais regarde le cœur (cf 1 Samuel 16, 7). Cest au plus secret de son cœur que lhomme invoque son Dieu, dans le silence de la contemplation. Quel signe, mieux que ce signe imprononçable, pourrait nous inviter à la méditation silencieuse sur cet immense mystère ?
cest le peuple juif (les Juifs) qui reçoit et transmet la Révélation de Dieu. Avant même daborder la lecture du texte, ce signe mystérieux, témoin, pour celui qui cherche, dune présence divine révélée dans lÉcriture, ce signe est de langue hébraïque. Rappel essentiel des racines de la révélation. Car on prie les Psaumes avec David, et le Psautier, livre de prière des juifs, est aussi celui des chrétiens. À lire des textes en langue française, on oublierait vite ces racines spirituelles et la place unique du peuple juif dans leur transmission. Le signe hébraïque nous rappelle ce que le Christ lui aussi Juif, comme David disait à la Samaritaine qui elle, nétait pas Juive : le salut vient des Juifs.
Ce sont les deux premières lettres du tétragramme, qui forment un abrégé du Nom divin. Cette forme abrégée revient souvent, surtout dans les noms composés, et notamment dans la plus connue des exhortations : hallelu-Yah, alléluia, cest-à-dire : louez Yah, louez Yhwh, louez Adonaï, louez le Seigneur.
Le mot adonaï a pour racine le verbe din ou doun, qui signifie « décider, gouverner, juger ». Lun des principaux dérivés de cette racine est le mot adôn, « maître, seigneur », cest-à-dire celui qui juge et qui décide pour dautres hommes.
Le mot adonaï dérive directement de adôn par ajout du suffixe aï. Les grammairiens divergent sur le sens de ce suffixe, qui peut aussi bien représenter le possessif « mon », que la terminaison adjectivale « eur » (celui qui). On est ainsi conduit à traduire le mot, au choix, par « mon juge » ou par « jugeur ». Dans les deux cas, ce nom désigne celui à qui je madresse pour gouverner ma propre vie, parce que je reconnais en lui une compétence supérieure à la mienne.
La signification ainsi mise en évidence est bien celle du mot français maître (ou magister, de magis « plus ») cest-à-dire celui qui a autorité sur dautres ; mais cest aussi le sens des mots seigneur et monseigneur (ou senior, de senis « âgé », doù viennent encore sire et sieur), qui se sont substitués au latin dominus « chef, souverain ». Le titre « monseigneur », ainsi que les autres dérivés de senor, « messire » et « monsieur », traduisent, comme lhébreu adonaï, la reconnaissance personnelle que lon porte à qui lon sadresse : il est lautorité que je sollicite, et non une autorité qui mest imposée de lextérieur.
De même que le mot seigneur, en français, semploie pour sadresser à Dieu ou à certains hommes, le mot adonaï, dans la Bible, sapplique à Dieu ou à celui qui le représente sur terre, cest-à-dire le roi messie. C'est ce mot adonaï qui est généralement vocalisé quand on lit le nom divin YHWH, mais il est souvent écrit en toutes lettres pour parler de Dieu (Ps 2, 4) ou pour sadresser à lui (Ps 51, 17).