Le Chant des Montées

(Troisième Partie)


Schéma d’organisation des Psaumes des Montées
(rappel)

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122 ]
123 ]
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 ( 125 )
 ( 126 )
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129 ) 
130 ]
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 134



Si Yhwh ne bâtit la maison

C’est au Psaume 127, au cœur du cycle des quinze Chants des Montées, que se noue le lien de cohérence du noyau, éclairant tout l’ensemble autour de ces trois mots-clés : la maison, le fils, le fruit des entrailles.

La maison.
Le mot apparaît sept fois dans les quinze psaumes. Nous l’avons déjà rencontré trois fois au Psaume 122, pour nous dire que la « maison de David » (occurrence centrale) est le chemin de la « maison de Yhwh » (les deux autres occurrences). Il est à nouveau en 128, 3 puis 132, 3 et enfin 134, 1, dans une disposition semblable où nous trouvons la tente d’habitation de David (occurrence centrale) entre la maison de l’homme « craignant Yhwh » et la dernière occurrence de la « maison de Yhwh ». Ce parallélisme avec le Psaume 122 est un signe. Il invite à voir en la maison de l’homme “ qui craint Yhwh et marche dans ses voies ” (128, 3), un lieu concret où réside la divinité, au même titre que dans les trois occurrences symétriques de l’expression « maison de Yhwh », dans la mesure, bien entendu, où cette maison se configure à la maison de David, et vit donc dans sa spiritualité. Enfin, septième occurrence du mot au centre (127, 1) de ces deux tercets, c’est Yhwh lui-même qui bâtit la maison, la maison qu’il viendra habiter. C’est donc Yhwh qui bâtit Sion, la Jérusalem céleste, comme il bâtit la maison de David, et comme, par elle, il bâtit tout l’homme, qui deviendra maison de Dieu. Le verbe bâtir (banah, considéré par certains grammairiens comme la racine du mot beit, maison) est présent trois fois dans les quinze psaumes : en 122, pour Jérusalem, dont l’unité est bâtie “ toutes parties liées ensemble ” ; puis deux fois en 127, où il nous dit que Yhwh seul bâtit (occurrence centrale) cette unité, et non les bâtisseurs humains, qui s’acharnent en vain.

Le fils.
Le mot fils, ben, vient précisément du verbe banah, bâtir, construire. Il est lui aussi présent sept fois dans les quinze psaumes : deux fois en Ps 127, trois fois en Ps 128, deux fois en Ps 132. Le point de départ de la série est bien en 127, 3, au verset central du psaume central. Le sens se resserre : la maison que Yhwh construit (verset 1) c’est aussi la maison de l’homme, c’est-à-dire sa descendance, citée trois fois au Ps 128 qui célèbre la famille. Toute construction, aussi physique soit-elle, comme les murs de la ville ou les enfants de l’homme, toute construction, jusqu’à l’édification de la cité céleste, en Sion, tout est œuvre de Dieu, sans qui l’homme ne peut rien faire. Et en 132, 12 il est rappelé, entre les occurrences très proches des deux mots fils, qu’il leur suffit de garder l’alliance et le témoignage de Yhwh, et Yhwh, pour eux, gardera la ville. C’est en gardant la Parole que se garde la ville. De même en 127, 3-4, les occurrences très proches des deux mots fils entourant l’expression rare fruit des entrailles, font en même temps de ces fils une récompense, comme ce fruit des entrailles : un cadeau du Ciel. Ce ne sont pas les efforts de l’homme qui assurent sa descendance, mais sa fidélité à la Parole.

Le fruit des entrailles.
Déjà rencontrée dans le cycle secondaire (132, 11) sous la forme « fruit de tes entrailles », l’expression est ici précédée de l’article défini, sans pronom possessif : « le fruit des entrailles ». Cette forme est unique dans toute la Bible. Accolée à la première occurrence du mot « fils », dans ce verset central au cœur du cycle, cette référence est assurément la plus significative de toutes. Sa présence ici n’est sans doute pas sans rapport avec 132, 11, mais du fait de son article défini qui exige une cible, l’expression nous renvoie à cette notion — connue de tout fidèle “ qui murmure la Torah de Yhwh jour et nuit ” — : les six autres occurrences du « fruit de tes entrailles » déjà rencontrées, dans le livre du Deutéronome. Quel est le sens suggéré par ce renvoi ? Sans doute nous est-il encore rappelé, par la proximité de l’expresssion avec la toute première occurrence du mot « fils » (ainsi qu’avec les deux dernières en 132, 12), que les fils engendrés par l’homme sont œuvre et don de Dieu, quels que soient nos efforts humains. Mais plus profondément, ce renvoi nous dit que toute notre fécondité, physique aussi bien que spirituelle, est le résultat de notre foi, de notre recherche de Dieu, de notre écoute de sa parole, et non de nos efforts pour être féconds. La volonté humaine s’épuise à se tendre vers un résultat quand il lui faudrait se tendre à l’écoute et à la recherche de son Dieu, de son Seigneur, à qui seul appartient toute efficacité. Ici s’éclairent les chemins qui mènent du Ps 125 au 126 et du Ps 128 au 129. Une même fécondité spirituelle récompense l’homme de foi, qu’il mette sa confiance en Yhwh (125) ou qu’il craigne Yhwh et marche dans ses voies (128) : il donne du fruit, il porte sa brassée de gerbes au temps de la moisson, quelle que soit l’adversité que nous voyons s’opposer à cette heureuse fin. C’était déjà la leçon du Psaume 1 : l’homme qui médite sa Torah jour et nuit, comme un arbre planté près du cours des eaux, est assuré de porter du fruit, à son heure, et tout ce qu’il entreprend conduit au succès. Cet homme aura sans doute aussi remarqué que le Psaume 128, celui qui célèbre sa famille et sa descendance, commence lui aussi, comme le Psaume 1, par le mot asheré : « heureux ». Heureux l'homme…

Promesse faite à Abraham

Les fils que Dieu donne comme un cadeau à l’homme de foi (127, 3) ne sont pas seulement une récompense pour qu’il en jouisse (128, 6), ils sont aussi la garde avancée qui pourra maîtriser des « ennemis devant le portail » (127, 5). Quel est le sens de cette conclusion du Psaume 127 ?

Le mot ennemi, pourtant si fréquent dans les Psaumes (en moyenne une fois tous les deux psaumes), n’apparaît que deux fois dans les Montées, au dernier verset des Ps 127 et 132, les deux mêmes où nous avons trouvé l’expression « fruit des entrailles ». Est-ce un hasard ? Ou un signe ? Car le contrôle des ennemis quand ils sont aux portes n’est pas évoqué uniquement dans ce psaume. C’est un des éléments de la Promesse faite à Abraham :

Je veux te bénir, je veux multiplier ta descendance comme les étoiles des cieux, comme le sable au bord des mers ; et ta descendance contrôlera le portail de ses ennemis.
(Gn 22, 17)

Le portail est le lieu de contrôle le plus efficace pour la maîtrise de l’ennemi. C’est le point d’entrée dans la cité, et tant que l’ennemi est maintenu à l’extérieur il n’y a pas péril en la demeure. Traiter hors les murs, en hommes libres, vaut mieux que s’épuiser en luttes contre un envahisseur, quand il est trop tard. Ces images empruntées à la guerre de positions décrivent très à propos les enjeux de la vie spirituelle. On en trouve déjà une amorce dès la première leçon que Dieu donne à l’homme en la personne de Caïn : la faute est tapie à ta porte (Gn 4, 7). La faute, l’ennemi spirituel.

La faute ennemie est entrée chez Caïn. Elle n’entrera pas chez la descendance d’Abraham, puisque c’est la promesse divine. À condition, bien sûr, que cette descendance se comporte comme son père Abraham, car c’est de filiation spirituelle qu’il s’agit, et non de filiation génétique : qui pourrait prétendre à l’héritage spirituel sans suivre le chemin du père ?

Promesse faite au père de la foi parce qu’il avait obéi à la voix divine qui le mettait à l’épreuve :

Toutes les nations de la terre seront bénies en toi, parce que tu as obéi à ma voix.
(Gn 22, 18)
Aussi sa descendance spirituelle n’en pourra-t-elle recueillir l’héritage qu’en écoutant et en suivant, elle aussi, la parole divine. Elle aussi connaîtra l’épreuve. Saura-t-elle écouter la voix, comme Abraham ? Ou refusera-t-elle, comme Caïn, pour laisser la faute ennemie pénétrer en elle, envahir sa vie ?

C’est ici que la leçon du Ps 127 prend tout son sens. L’homme avisé saura contenir les assauts ennemis, en traitant avec eux « au portail ». Ce ne sont pas des fils selon la chair, bouillants guerriers armés pour la croisade, qui partiront défendre un père contre ses envahisseurs. Non, lisons bien. Ce sont des « fils de la jeunesse ». Des « fruits » selon l’esprit, fruits des entrailles de l’homme avisé qui vit confiant en Yhwh (125, 1) et marche dans ses voies (128, 1), le fruit de son éducation spirituelle, acquise au cours de ses jeunes années, comme il est dit dans les premiers versets du Psaume 129. Un fruit précieux acquis, certes, au prix de durs combats, mais un fruit de sagesse, grâce auquel l’homme avisé saura trouver, sans effort, la parole qui maintiendra l’ennemi au-delà des portes de la cité.

A contrario, l’insensé, celui qui favorise ses penchants pervers (125, 5) ou qui déteste Sion (129, 5), celui-là ne porte aucun fruit. Il n’a rien construit pendant sa jeunesse, ou plutôt, Yhwh n’a rien construit pour lui puisqu’il n’a pas écouté la voix divine. Rien ni personne n’est venu l’aider au portail quand s’est présenté l’ennemi. La porte était ouverte, l’ennemi est entré. Il a fallu lutter contre un envahisseur dans la place. Les insensés ont été confondus. Sanction négative inévitable : c’est l’envers de la Promesse. Yhwh les envoie avec les artisans de la nullité (125, 5). Les insensés sont confondus (129, 5) quand les hommes avisés ne le sont pas (127, 5), qui goûtent le meilleur de Jérusalem (128, 5). Après avoir, il est vrai, souffert dans leur jeunesse une éducation contraignante, mais (126, 5) :

Ceux qui sèment dans les larmes en jubilant moissonneront.



HebraScriptur - Mars 2004




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