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Cest au Psaume 127, au cur du cycle des quinze Chants des Montées, que se noue le lien de cohérence du noyau, éclairant tout lensemble autour de ces trois mots-clés : la maison, le fils, le fruit des entrailles.
La maison.
Le mot apparaît sept fois dans les quinze psaumes. Nous lavons déjà rencontré trois fois au Psaume 122, pour nous dire que la « maison de David » (occurrence centrale) est le chemin de la « maison de Yhwh » (les deux autres occurrences). Il est à nouveau en 128, 3 puis 132, 3 et enfin 134, 1, dans une disposition semblable où nous trouvons la tente dhabitation de David (occurrence centrale) entre la maison de lhomme « craignant Yhwh » et la dernière occurrence de la « maison de Yhwh ». Ce parallélisme avec le Psaume 122 est un signe. Il invite à voir en la maison de lhomme qui craint Yhwh et marche dans ses voies (128, 3), un lieu concret où réside la divinité, au même titre que dans les trois occurrences symétriques de lexpression « maison de Yhwh », dans la mesure, bien entendu, où cette maison se configure à la maison de David, et vit donc dans sa spiritualité. Enfin, septième occurrence du mot au centre (127, 1) de ces deux tercets, cest Yhwh lui-même qui bâtit la maison, la maison quil viendra habiter. Cest donc Yhwh qui bâtit Sion, la Jérusalem céleste, comme il bâtit la maison de David, et comme, par elle, il bâtit tout lhomme, qui deviendra maison de Dieu. Le verbe bâtir (banah, considéré par certains grammairiens comme la racine du mot beit, maison) est présent trois fois dans les quinze psaumes : en 122, pour Jérusalem, dont lunité est bâtie toutes parties liées ensemble ; puis deux fois en 127, où il nous dit que Yhwh seul bâtit (occurrence centrale) cette unité, et non les bâtisseurs humains, qui sacharnent en vain.
Le fils.
Le mot fils, ben, vient précisément du verbe banah, bâtir, construire. Il est lui aussi présent sept fois dans les quinze psaumes : deux fois en Ps 127, trois fois en Ps 128, deux fois en Ps 132. Le point de départ de la série est bien en 127, 3, au verset central du psaume central. Le sens se resserre : la maison que Yhwh construit (verset 1) cest aussi la maison de lhomme, cest-à-dire sa descendance, citée trois fois au Ps 128 qui célèbre la famille. Toute construction, aussi physique soit-elle, comme les murs de la ville ou les enfants de lhomme, toute construction, jusquà lédification de la cité céleste, en Sion, tout est uvre de Dieu, sans qui lhomme ne peut rien faire. Et en 132, 12 il est rappelé, entre les occurrences très proches des deux mots fils, quil leur suffit de garder lalliance et le témoignage de Yhwh, et Yhwh, pour eux, gardera la ville. Cest en gardant la Parole que se garde la ville. De même en 127, 3-4, les occurrences très proches des deux mots fils entourant lexpression rare fruit des entrailles, font en même temps de ces fils une récompense, comme ce fruit des entrailles : un cadeau du Ciel. Ce ne sont pas les efforts de lhomme qui assurent sa descendance, mais sa fidélité à la Parole.
Le fruit des entrailles.
Déjà rencontrée dans le cycle secondaire (132, 11) sous la forme « fruit de tes entrailles », lexpression est ici précédée de larticle défini, sans pronom possessif : « le fruit des entrailles ». Cette forme est unique dans toute la Bible. Accolée à la première occurrence du mot « fils », dans ce verset central au cur du cycle, cette référence est assurément la plus significative de toutes. Sa présence ici nest sans doute pas sans rapport avec 132, 11, mais du fait de son article défini qui exige une cible, lexpression nous renvoie à cette notion connue de tout fidèle qui murmure la Torah de Yhwh jour et nuit : les six autres occurrences du « fruit de tes entrailles » déjà rencontrées, dans le livre du Deutéronome. Quel est le sens suggéré par ce renvoi ? Sans doute nous est-il encore rappelé, par la proximité de lexpresssion avec la toute première occurrence du mot « fils » (ainsi quavec les deux dernières en 132, 12), que les fils engendrés par lhomme sont uvre et don de Dieu, quels que soient nos efforts humains. Mais plus profondément, ce renvoi nous dit que toute notre fécondité, physique aussi bien que spirituelle, est le résultat de notre foi, de notre recherche de Dieu, de notre écoute de sa parole, et non de nos efforts pour être féconds. La volonté humaine sépuise à se tendre vers un résultat quand il lui faudrait se tendre à lécoute et à la recherche de son Dieu, de son Seigneur, à qui seul appartient toute efficacité. Ici séclairent les chemins qui mènent du Ps 125 au 126 et du Ps 128 au 129. Une même fécondité spirituelle récompense lhomme de foi, quil mette sa confiance en Yhwh (125) ou quil craigne Yhwh et marche dans ses voies (128) : il donne du fruit, il porte sa brassée de gerbes au temps de la moisson, quelle que soit ladversité que nous voyons sopposer à cette heureuse fin. Cétait déjà la leçon du Psaume 1 : lhomme qui médite sa Torah jour et nuit, comme un arbre planté près du cours des eaux, est assuré de porter du fruit, à son heure, et tout ce quil entreprend conduit au succès. Cet homme aura sans doute aussi remarqué que le Psaume 128, celui qui célèbre sa famille et sa descendance, commence lui aussi, comme le Psaume 1, par le mot asheré : « heureux ». Heureux l'homme
Les fils que Dieu donne comme un cadeau à lhomme de foi (127, 3) ne sont pas seulement une récompense pour quil en jouisse (128, 6), ils sont aussi la garde avancée qui pourra maîtriser des « ennemis devant le portail » (127, 5). Quel est le sens de cette conclusion du Psaume 127 ?
Le mot ennemi, pourtant si fréquent dans les Psaumes (en moyenne une fois tous les deux psaumes), napparaît que deux fois dans les Montées, au dernier verset des Ps 127 et 132, les deux mêmes où nous avons trouvé lexpression « fruit des entrailles ». Est-ce un hasard ? Ou un signe ? Car le contrôle des ennemis quand ils sont aux portes nest pas évoqué uniquement dans ce psaume. Cest un des éléments de la Promesse faite à Abraham :
Je veux te bénir, je veux multiplier ta descendance comme les étoiles des cieux, comme le sable au bord des mers ; et ta descendance contrôlera le portail de ses ennemis.
(Gn 22, 17)
Le portail est le lieu de contrôle le plus efficace pour la maîtrise de lennemi. Cest le point dentrée dans la cité, et tant que lennemi est maintenu à lextérieur il ny a pas péril en la demeure. Traiter hors les murs, en hommes libres, vaut mieux que sépuiser en luttes contre un envahisseur, quand il est trop tard. Ces images empruntées à la guerre de positions décrivent très à propos les enjeux de la vie spirituelle. On en trouve déjà une amorce dès la première leçon que Dieu donne à lhomme en la personne de Caïn : la faute est tapie à ta porte (Gn 4, 7). La faute, lennemi spirituel.
La faute ennemie est entrée chez Caïn. Elle nentrera pas chez la descendance dAbraham, puisque cest la promesse divine. À condition, bien sûr, que cette descendance se comporte comme son père Abraham, car cest de filiation spirituelle quil sagit, et non de filiation génétique : qui pourrait prétendre à lhéritage spirituel sans suivre le chemin du père ?
Promesse faite au père de la foi parce quil avait obéi à la voix divine qui le mettait à lépreuve :
Toutes les nations de la terre seront bénies en toi, parce que tu as obéi à ma voix.Aussi sa descendance spirituelle nen pourra-t-elle recueillir lhéritage quen écoutant et en suivant, elle aussi, la parole divine. Elle aussi connaîtra lépreuve. Saura-t-elle écouter la voix, comme Abraham ? Ou refusera-t-elle, comme Caïn, pour laisser la faute ennemie pénétrer en elle, envahir sa vie ?
(Gn 22, 18)
Cest ici que la leçon du Ps 127 prend tout son sens. Lhomme avisé saura contenir les assauts ennemis, en traitant avec eux « au portail ». Ce ne sont pas des fils selon la chair, bouillants guerriers armés pour la croisade, qui partiront défendre un père contre ses envahisseurs. Non, lisons bien. Ce sont des « fils de la jeunesse ». Des « fruits » selon lesprit, fruits des entrailles de lhomme avisé qui vit confiant en Yhwh (125, 1) et marche dans ses voies (128, 1), le fruit de son éducation spirituelle, acquise au cours de ses jeunes années, comme il est dit dans les premiers versets du Psaume 129. Un fruit précieux acquis, certes, au prix de durs combats, mais un fruit de sagesse, grâce auquel lhomme avisé saura trouver, sans effort, la parole qui maintiendra lennemi au-delà des portes de la cité.
A contrario, linsensé, celui qui favorise ses penchants pervers (125, 5) ou qui déteste Sion (129, 5), celui-là ne porte aucun fruit. Il na rien construit pendant sa jeunesse, ou plutôt, Yhwh na rien construit pour lui puisquil na pas écouté la voix divine. Rien ni personne nest venu laider au portail quand sest présenté lennemi. La porte était ouverte, lennemi est entré. Il a fallu lutter contre un envahisseur dans la place. Les insensés ont été confondus. Sanction négative inévitable : cest lenvers de la Promesse. Yhwh les envoie avec les artisans de la nullité (125, 5). Les insensés sont confondus (129, 5) quand les hommes avisés ne le sont pas (127, 5), qui goûtent le meilleur de Jérusalem (128, 5). Après avoir, il est vrai, souffert dans leur jeunesse une éducation contraignante, mais (126, 5) :