Une exégèse du Psaume 51


  “ pour donner à son peuple de connaître le salut par la rémission de ses péchés, grâce à la tendresse, à l'amour de notre Dieu ”
  (Luc 1, 77-78)

Le Psaume 51 est un modèle de prière liturgique, et sans doute l’une des plus belles introductions à la théologie du salut. Cependant, sa composition de forme très achevée, ses références à l’Écriture presque toutes implicites, et la profondeur spirituelle de sa méditation, en rendent la lecture particulièrement difficile. L’exégète est confronté à de tels obstacles qu’il croit souvent se trouver en présence d’un texte corrompu, et il renonce à résoudre l’énigme.

On se propose ici d’examiner les principaux problèmes soulevés par la lecture du texte hébreu de ce psaume, pour en déduire un texte français aussi fidèle que possible ; de lire ensuite ce texte, de manière à faire apparaître la démarche spirituelle de David ; et d’y trouver, au terme de la prière, l’annonce du salut par le sacrifice du messie grand prêtre.

L’incipit de situation

Comme beaucoup de psaumes, le Psaume 51 s’ouvre sur le mot hébreu  Lamenatséah  (voir Glossaire). Ce n’est pas une rubrique destinée « au chef des chantres », mais un appel adressé au psalmiste, une invitation à emprunter le chemin qui mène « vers la perfection » et qui guidera notre marche « pour l’excellence ». Nous sommes invités à épouser l’attitude du psalmiste dans notre recherche de la vie en éternité, invités à suivre David, lorsque nous sommes dans la même situation que lui.

Aucun psaume n’est aussi clairement enraciné dans l’Histoire que l’est le Psaume 51. Si bien que la tentation est forte de considérer l’incipit des versets 1 et 2 comme une indication historique, n’ayant pas d’autre objet que de dater et de signer la composition. On écarte alors cet incipit du corps de la prière, comme on écarte une rubrique (« au chef des chantres », par exemple) afin de s’intéresser uniquement aux versets jugés seuls porteurs de sens. Cet abandon est grave. Il a pour conséquence de rendre incompréhensibles certaines incises dont le sens vient de la situation concrète dont on s’est détaché. Et il tend à réduire le psaume à une prière idéalisée, théorique, pour un modèle abstrait d’homme pécheur, dénué d’intérêt.

L’incipit du Psaume 51 ne nous enseigne pas que ce psaume a été composé « par David quand le prophète Natan est venu le voir, à la suite de sa relation avec Bethsabée ». Mais il nous dit, dans cette situation concrète, vécue par David en effet, ce que doit être la prière du psalmiste aux meilleures fins, pour l’excellence qui conduit vers Dieu. Peu importe qui a composé le psaume : c’est peut-être David, c’est peut-être Natan, ou un autre prophète après lui. Un “ Psaume de David ” est avant tout une prière de spiritualité davidique, et ce qui compte pour notre progrès spirituel, c’est de comprendre comment Dieu agit sur l’esprit du roi et au-delà, au moyen de cette défaillance de l’homme. Bien entendu, pour comprendre un tel lien entre le ciel et la terre, il ne faut pas rompre les fils qui relient l’esprit à son lieu de vie.

Dès le verset 5 surgissent les références à la situation concrète. Ayant entendu la parabole de Natan qui lui met sa faute sous les yeux — “ ma faute exposée devant moi ” (verset 5b) — David comprend qu’il a transgressé la loi divine : “ ces transgressions sont les miennes ” (verset 5a). Cette découverte est essentielle : Dieu révèle à David son péché, car il n’en a pas eu conscience.

Le verset 6 nous dit ensuite que David n’a pas péché contre Hurie mais contre Dieu. C’est pourquoi, dans la seconde partie du verset, il reconnaît ses torts en disant que Dieu est juste dans sa parole, pur dans son jugement. Quel jugement ? quelle parole ? Là encore, il faut se reporter à la situation. Devant Natan venu lui raconter cette parabole de l’homme qui a pris la brebis du pauvre, David s’insurge : “ Cet homme mérite la mort! ” ; et il entend Natan lui répondre : “ Cet homme, c’est toi! ” (2S 12, 7). Le jugement de David pécheur vient d’être prononcé par David roi, dont c’est la charge de juger : il est le messie inspiré par Dieu.

Les murs de Jérusalem

Au verset 20, rares sont les traductions

L’Exil
Période de la première partie du VIème siècle avant notre ère pendant laquelle le peuple Juif fut exilé à Babylone. Une première déportation eut lieu en 598, quand Yoyakhin, roi de Juda, se rendit aux armées de Nabuchodonosor à Jérusalem. L’Exil fut total dès la fin du règne du roi Sédécias, lors de la destruction de Jérusalem, en 586.
En 538, les exilés furent autorisés par le monarque Perse Cyrus à revenir dans leur patrie pour reconstruire le Temple. Selon la Tradition d’Israël, leur exil avait duré soixante-dix ans.
qui respectent le verbe banah, bâtir, sans le transformer en « reconstruire ». Glissement un peu opportuniste, car il a étayé la thèse du rajout de ce verset (voire de l’écriture de tout le psaume) pendant l’Exil (voir encadré ci-contre) ou dès son retour. On a voulu par là « expliquer » une construction dont on ne voyait pas comment la justifier au temps de David. En vérité, il ne s’agit pas des murs physiques qui servaient de remparts à la ville, mais de la clôture spirituelle analogue à celle qui entoure les monastères, protection que Yhwh édifie autour de ceux qu’il aime, autour des justes, c’est-à-dire ici autour de la communauté religieuse vivant sous la conduite de David, unie dans Jérusalem, la “ ville où tous ensemble ne font qu’un ” (Ps 122, 3).

Observons encore que ce verbe bâtir n’est pas à l’impératif (construis) mais à l’inaccompli (tu construiras). L’impératif du verset se trouve à l’incise précédente: “ Fais donc du bien..., à Sion ”, car en effet, c’est en exauçant cette prière, en accordant ses faveurs à Sion, à ceux qui cherchent Dieu en l’adorant sur cette montagne, que Yhwh édifie sa maison, Jérusalem, fondation de la Paix.

Ils offriront des taureaux

Depuis Moïse, Israël immole des taureaux sur ses autels, d’abord en sacrifice d’action de grâce à Yhwh (Ex 24, 5), puis en sacrifice d’expiation (Nb 8, 12) pour le salut du peuple. Le mot hébreu parim, “ des taureaux ”, est donc assez fréquent dans la Bible. Il est pourtant curieux de le rencontrer ici, au dernier verset du psaume, comme complément de ce verbe à la troisième personne du pluriel : ils offriront. Car c’est en effet le roi qui offre le sacrifice (ou est censé l’offrir, par le service du grand prêtre) comme nous le rappelle le verset 18, où le même verbe est à la première personne du singulier. Alors pourquoi ce pluriel ? quelle est la raison de cette anomalie ?

Par ailleurs, les versets 18 et 19 viennent de nous rappeler ce que le psaume précédent (Ps 50) avait abondamment développé : Dieu ne prend pas plaisir aux sacrifices sanglants, mais demande plutôt un sacrifice de reconnaissance, d’action de grâce (Ps 50, 14), un cœur brisé (Ps 51, 19), un sacrifice de justice (Ps 51, 21). Alors pourquoi David prierait-il pour demander à son Seigneur le retour de pratiques dont il sait parfaitement qu’elles n’ont pas la faveur divine ?

Les mots hébreux cachent fréquemment un double sens. Au lieu de la vocalisation parim (des taureaux) on peut lire la vocalisation pireyam, qui signifie « leur fruit », et qui se rencontre ailleurs : ... ils planteront des vignes et mangeront leur fruit (Is 65, 21 ; voir aussi Is 37, 30 et 2R 19, 29). Cette vocalisation conduit à lire ainsi la dernière incise du psaume : « Alors ils offriront leur fruit sur ton autel ». C’est le peuple tout entier, vivant dans les murs de Jérusalem, qui se trouve alors désigné par ce pluriel. Et les « taureaux » qu’ils offriront, dans cette Jérusalem céleste que David implore Dieu d’édifier, sont d’authentiques “ sacrifices de justice ”, désignés ici par ce symbole imagé des « taureaux » qu’ils sont venus remplacer.

Cet emploi symbolique du mot “ des taureaux ” pour désigner un authentique sacrifice d’oblation n’est pas unique en Bible. On le rencontre chez le prophète Osée : Venez avec des actions quand vous vous convertissez à Yhwh. Dites-lui : “ Pardonne nos actions mauvaises et reçois les bonnes! ” C’est de nos lèvres, que nous nous acquitterons « des taureaux » (Os 14, 3).

Des mots usés

Les mots “ amour ” et “ péché ” sont chargés d’un tel poids, dans la théologie comme dans le langage courant, qu’on a préféré les exclure du vocabulaire de la traduction, pour chercher le plus possible à se rapprocher du sens étymologique des mots hébreux. Les termes retenus sont les suivants :

—  verset 3 : faire grâce pour hanan. Synonymes : avoir pitié, être miséricordieux, pardonner.

—  verset 3 : bonté pour héçed. Synonymes : bienveillance, bénévolence. Dieu seul est bon : il veut le bien de l’homme.

—  verset 3 : tendresse pour raham. C’est la tendresse viscérale d’une mère pour son enfant.

—  versets 3 et 5 : transgression pour pesh’a. Synonymes : rébellion (rebelles, verset 15), révolte. La transgression est une action de rébellion contre l’autorité, contre les hommes choisis par Dieu, c’est-à-dire contre la loi de Dieu.

—  versets 4, 5, 6, 7, 11, 15 : faute pour hata. « Faute » s’entend ici au sens le plus général de la langue française : action de faillir. Dans la Bible, il s’agit moins du “ but manqué ” que du refus de cet échec, et finalement du refus de la Parole ou de l’action divine. Il y a au verset 9 une septième occurrence de la même racine, au verbe que nous traduisons par “ expier ”. Expier, c’est en effet souffrir en reprenant le droit chemin, de cette souffrance initialement refusée au moment de l’échec ou de la frustration.

—  versets 4, 7 et 11 : perversion, perversité pour ’awon. Ce mot est issu d’une racine verbale décrivant une action volontaire dont la finalité est de renverser, de tordre le réel. L’origine du mot français “ tort ” est bien conforme à cette idée, mais la volonté de refuser le réel n’y est pas évidente. Au contraire, le pervers cherche clairement (même s’il le cache) à falsifier un mal en bien, à détourner une réalité mal ressentie en quelque chose de bon pour lui.

La forme du Psaume 51

Les structures relevant de la forme littéraire des Psaumes sont souvent considérées comme fruits du hasard, au mieux comme éléments esthétiques, ou encore comme moyens mnémotechniques, ce que peuvent suggérer certains psaumes à structure alphabétique. Pourtant, la forme est souvent un guide précieux pour le sens.

On fera d’abord l’inventaire des mots importants du psaume. La racine hata’ (faute) s’y trouve sept fois, comme pour nous dire que “ le juste pèche sept fois par jour ”. Les deux autres racines décrivant le péché, ’awon et pesh’a s’y trouvent chacune trois fois, comme on trouve aussi trois fois la racine ÇDQ qui désigne la justice et le juste. C’est bien l’action de Dieu qui fait du pécheur un juste, au moyen des trois attributs divins cités : la grâce, la bonté, la tendresse. Trois attributs cités une fois et une seule, comme la racine QDSh de la sainteté : seul le Dieu unique est saint.

Trois et sept apparaissent donc comme des signes caractéristiques de l’unité de ce psaume. Nous les retrouvons dans le schéma de son écriture : ses vingt-et-un versets sont construits en trois groupes de sept versets chacun. Un parcours rapide du texte nous confirme en effet que le premier groupe de sept versets nous parle exclusivement de l’action pécheresse de David devant Dieu. À partir du verset 8 le point de vue se renverse, jusqu’au verset 14 : c’est alors l’action sanctifiante de Dieu sur David qui est évoquée (excepté au verset 11, centre du psaume : nous y reviendrons). Enfin, après ces deux strophes consacrées l’une comme l’autre à la relation personnelle entre David et Dieu, dans la troisième et dernière strophe intervient une troisième personne, le peuple de Dieu, dont David est le roi.

Dans une structure ternaire, l’élément central occupe une position privilégiée. Il est la noix précieuse entourée des deux parois de sa coquille protectrice, le cœur de la nourriture spirituelle ; mais c’est aussi l’amande difficile à atteindre, et donc un texte qui ne se livre pas d’emblée. Ainsi, la seconde strophe, qui nous parle de l’action sanctifiante de Dieu sur l’homme, ne livrera tous ses secrets que lorsque nous aurons ouvert le sens des deux volets qui l’enserrent : la première strophe, visage maculé, effondré, de David homme-roi pécheur ; la dernière strophe, visage éclairant de David messie-prêtre purifié, médiateur de la liturgie du sacrifice par lequel Dieu sauve son peuple.

Observons encore qu’en groupant les versets par centres d’intérêt homogènes, on fait apparaître une succession asymétrique 2+2+3 dans les sept versets de la première strophe, succession que l’on retrouve inversée en miroir dans les sept versets de la troisième lorsqu’on lui applique les mêmes critères. Ainsi, la symétrie formelle du texte, visible encore dans la strophe centrale, autour du verset 11, se révèle parfaite. En lisant maintenant le psaume pas à pas, nous allons détailler cette succession des idées, la structurer au moyen des formes mises en évidence, qui en éclaireront l’articulation et la synthèse d’ensemble. Mais nous pouvons d’ores et déjà observer qu’une telle perfection de structure prouve l’unité de cette composition dans l’état où son texte nous est parvenu. Un texte qui ne doit rien aux faiblesses de transmission d’héritage, rien aux corrections, aux pertes ou aux rajouts, mais qui témoigne au contraire d’un achèvement spirituel incomparable, d’une sagesse dont on voit mal comment elle aurait pu fleurir en dehors de cet âge d’or que fut le règne du roi Salomon.

( à suivre )