Une exégèse du Psaume 51

Deuxième partie


J’ai péché

Le premier réflexe de David, après avoir entendu Natan lui faire comprendre qu’il mérite la mort, c’est d’invoquer Yhwh, en l’appelant par ces noms que le Dieu d’amour révèle à Moïse sur la montagne :

YHWH descendit dans une nuée, se tint là près de lui, et proclama le nom de YHWH. Et YHWH passa devant lui et dit : YHWH, YHWH le Puissant tendre et miséricordieux, lent à la colère, riche en bonté et en vérité ; et qui garde bonté pour des milliers, assumant perversité, transgression et faute, sans pour autant les innocenter...
(Exode 34, 5-7)

La référence à ce passage de la Torah, dans les premiers mots que prononce David aux versets 3 et 4 du psaume, est attestée par l’appel à trois des premiers attributs de Yhwh — miséricorde, bonté, tendresse — parmi les treize que la Tradition d’Israël a vus dans ce passage de l’Exode, et surtout par l’emploi des trois mêmes termes — transgression, perversité, faute — que Yhwh supporte sans retirer son amour. Observons que cette toute première prière de David n’est nullement le signe de faiblesse d’un homme terrorisé qui implore pitié (sinon il ne reconnaîtrait pas la justesse du jugement qui le condamne, à la fin du verset 6), mais bien le réflexe d’un homme qui médite la Torah, la récitant jour et nuit (Ps 1, 2), au moment où il vient de réaliser: “ J’ai péché contre Yhwh! ” (2S 12, 13). David pécheur invoque le Dieu d’amour et de pardon.

Aux versets 5 à 7, il fait son introspection. Il se reconnaît coupable de transgressions qui lui sont notifiées par Natan :

Pourquoi as-tu dédaigné la parole de YHWH, pour faire ce qui est mal à ses yeux? Tu as frappé de l’épée Urie, le Hittite : tu as pris sa femme pour en faire ta femme, et lui, tu l’as tué par l’épée des fils d’Ammon.
(2S 12, 9)
et qui sont passibles de la peine de mort :
Si un homme commet un adultère avec une femme mariée, s’il commet un adultère avec la femme de son prochain, l’homme et la femme adultères seront punis de mort.
(Lv 20, 10)

S’il l’a frappé avec un instrument de fer, et que la mort s’ensuive, c’est un meurtrier : le meurtrier sera puni de mort.
(Nb 35, 16)

David connaît la Loi : c’est lui qui juge dans le peuple. Il ne cherche pas à échapper au verdict qui le condamne (verset 6).

Tu m’as créé pécheur
En réalité, David ne dit pas qu’il a été « créé » pécheur, mais « engendré » pécheur. Le seul homme non engendré, Adam, est devenu pécheur après avoir été créé. L’homme est créé juste, mais engendré pécheur.
Mais il achève sa brève réflexion en constatant amèrement que même roi, même messie de Dieu, il n’en est pas moins homme et donc pécheur de naissance (verset 7). Le ton est presque celui du reproche : « Comment pourrais-je ne pas pécher, Seigneur, puisque tu m’as créé pécheur? ». Pécheur, condamné à mourir. La situation semble sans issue, le constat désespéré. Pour David, mais aussi pour nous. Dieu voudrait-il la mort du pécheur?

Mais tu veux, Seigneur, me sanctifier

      Non. Dieu veut sauver le pécheur, faire de lui un juste. Les sept versets de la strophe centrale (8 à 14) vont nous dire comment.

La vérité, ce n’est pas que l’homme soit condamné dès sa naissance ; la vérité, c’est que l’homme doit mettre sa foi en Dieu pour être sauvé (verset 8a). David a “ dédaigné la parole de Yhwh, pour faire ce qui est mal à ses yeux ”. Est-ce là ce que Yhwh désire? est-ce là un “ geste de confiance ” ? Heureux plutôt qui écoute la Parole et la met en pratique, voilà ce que Dieu attend. Alors, à celui qui s’en remet à lui, Yhwh enseigne la sagesse (verset 8b) qui lui fera connaître les chemins de Dieu.

Mais David s’est égaré, loin de ces chemins. Il le sait. Il ose à peine demander son retour dans l’intimité divine (verset 13) ; il voudrait repartir sur la bonne voie, sous la conduite de l’Esprit (verset 14b). Ce retour passe par une expiation (9a), par la souffrance d’un combat spirituel, dans lequel les résistances que l’homme oppose à la pénétration de la grâce seront brisées. L’Écriture exprime cette réduction des résistances au moyen de l’image des “ os broyés par Dieu ” (verset 10b). Après cela, mais après seulement, viendra la joie (versets 10 et 14a).

Tout ce travail de transformation se déroule dans le secret des cœurs (verset 12a), au souffle de l’Esprit (versets 12b, 13b, 14b), mais il est rendu visible par une liturgie aux signes roboratifs : l’hysope, stimulant respiratoire, et la lessive des blanchisseurs (verset 9), une liturgie à laquelle le pécheur doit adhérer, et non pas assister de manière passive. En effet, si c’est bien l’action sanctifiante de Dieu qui sauve, et elle seule, elle ne peut pas sauver celui qui ne désire pas être sauvé. Voilà pourquoi, sagesse cachée au cœur de cette méditation sur la sanctification, le verset 11 nous enseigne que David ne sera pas sauvé sans avoir reconnu sa détresse de pécheur et demandé à Dieu la grâce du pardon. C’est le verset central du psaume. En apparence, il s’agit d’une redite du verset 4 (qui lui aussi est au centre de sa strophe) : David, encore, demande à Dieu d’oublier son péché, dans les mêmes termes, « faute » et « perversité ». Mais les deux mots ne sont plus ici au singulier comme au verset 4, où ils qualifiaient les actions délictueuses mises en évidence par Natan ; ils sont maintenant au pluriel, car ils englobent toute la vie de pécheur de David. En effet, l’homme a besoin non pas d’être purifié de telle ou telle faute, mais d’être sanctifié tout entier dans sa nature de pécheur, pour être sauvé de la mort.

La détresse de David et son désir d’en être libéré viennent donc de la révélation de sa condition de pécheur “ de naissance ”, et non du constat de son adultère et de son meurtre. Ce constat, auquel Dieu le convie par la voix de Natan, n’est que le moyen par lequel il lui fait prendre conscience de sa condition, et lui fait comprendre que Dieu seul peut le sauver (verset 14), par la foi (verset 8). Dieu révèle à l’homme son péché pour le conduire à demander le salut.

Pour sauver tout l’homme

Cependant le plan de Dieu va bien au-delà de David. Il nous faut ici nous souvenir de la qualité de celui qui parle : le psaume est de David, et David est beaucoup plus qu’un homme pécheur dont la prière nous serait donnée en exemple à suivre. David est roi d’Israël. Roi, chef des armées, il a reçu l’onction pour succéder au prophète (1S 10, 1.6.10) — dire le droit, exercer la justice —, mais il est également messie, choisi par Dieu pour remplir la fonction du grand prêtre : offrir le sacrifice pour le salut du peuple. Cette double fonction est attestée au Psaume 2, qui présente le messie comme investi de l’autorité divine (verset 2) et rappelle que c’est Yhwh qui l’a sacré roi (verset 6). Sa fonction de grand prêtre est précisée par ailleurs (Ps 110, 4) : “ Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchi-Sédeq ”. Melchi-Sédeq, lui aussi, était à la fois “ roi de Salem ” et “ prêtre du Puissant Très-Haut ” (Gn 14, 18). Voici donc maintenant, dans la troisième et dernière partie du Psaume 51, les deux missions principales du roi-messie : la première, celle du prophète, faire connaître aux pécheurs les chemins de Dieu (verset 15) ; la seconde, celle du prêtre, offrir le sacrifice (verset 21).

“ Libère-moi du sang! ” Ce cri, au cœur des trois versets qui ouvrent la troisième strophe du psaume, ce cri est le même que le cri de la première strophe : “ Fais-moi grâce! ”. Il se rapporte, c’est certain, au crime de David, à la peine de mort dont il est passible. Le mot « sang », en effet, est ici au pluriel. Dans la Bible, le pluriel ne s’emploie que lorsqu’il s’agit du sang de l’homme répandu par l’homme. Dans la Genèse, en particulier, le pluriel ne se rencontre que deux fois sur onze occurrences, et ce sont les deux premières : elles concernent le sang d’Abel répandu par Caïn. Comme Caïn, qui se plaint auprès de Yhwh de ne pas pouvoir supporter le poids de sa faute, David, pour les mêmes raisons sans doute, demande à Dieu de l’en libérer. Et il invoque à cet effet le “ Dieu de ma victoire ” (verset 16a).

“ Ma victoire ” ? Mais de quelle victoire David parle-t-il? Ne faudrait-il pas plutôt dire “ mon salut ” ? Car c’est bien de salut, de délivrance, qu’il est question ici. Le mot qu’on attendait au verset 16, c’est celui du verset 14, yesh’a, ce salut que David a reçu du Ciel “ le jour où Yhwh l’eût délivré de la main de tous ses ennemis et de la poigne de Saül ” (2S 22, 1 et Ps 18, 1), c’est-à-dire le salut pour lui, David, un salut dont il désire aujourd’hui retrouver la joie (verset 14). Au contraire, David emploie ici le mot teshou’ah (de même racine), qui désigne la victoire donnée par Yhwh (1S 11, 13) à celui qui vient d’être consacré roi d’Israël (1S 10, 1), à celui qui va devenir le guide spirituel du peuple en succédant au prophète Samuel (1S 9, 16-17), à son roi-messie, à Saül, mais pas à David.

Le « salut » que demande David (verset 16) est donc celui du peuple, c’est-à-dire la victoire que donne Yhwh, par son roi-messie, sur les ennemis d’Israël. Le sens caché de ce verset est confirmé par les deux versets qui l’enserrent, et qui désignent tous les deux le peuple comme bénéficiaire de cette victoire : au verset 15 l’ennemi d’Israël est ciblé, c’est le péché, qui empêche le peuple d’accéder aux chemins de Dieu ; au verset 16, libéré par la victoire accordée à son roi, le peuple pourra rendre gloire à Dieu, par la bouche de son messie (verset 17) qui entonnera pour lui l’hymne de louange, l'hymne d’action de grâce pour la victoire.

Par le sacrifice de justice

Ainsi se trouve éclairée la “ justice ” que David acclamera dans cette victoire (fin du verset 16). Ce n’est pas la justice qui condamne le pécheur, mais bien celle qui fait d’un peuple de pécheurs un peuple saint. Le mot justice, ici au féminin, çedaqah, désigne cette action divine qui a fait d’Abraham un juste en raison de sa foi (Gn 15, 6). Ici encore, c’est bien la foi du peuple en son messie, c’est-à-dire son adhésion au sacrifice offert à Dieu par ce messie, qui fera de lui un peuple saint.

Mais nous n’en sommes pas encore là. Le messie, le roi, David, le meurtrier de Hurie, est-il encore « Oint de Yhwh » ? C’est tout le drame qui se joue aux versets 18 et 19. En cet instant, la conscience d’avoir failli à sa mission “ brise le cœur ” de David. Peut-il encore croire qu’il est le messie de Dieu ? son grand prêtre ? Quel sacrifice peut-il encore offrir ? Rien, si ce n’est de renoncer à se prévaloir de ce choix que Yhwh a fait de lui pour être son messie. C’est le sens du verset 19 : David se dépouille entièrement de toute prérogative, pour s’en remettre uniquement à celui qui juge.

Dieu acceptera-t-il le sacrifice offert par David ? Confiant, et sûr que Dieu ne peut pas l’abandonner à la mort (verset 13), que Dieu, surtout, ne peut pas abandonner son peuple à la mort, David reprend sa prière au verset suivant : “ Fais donc du bien ” (verset 20).

À première vue, il demande encore à Dieu d’oublier son péché pour obtenir son salut ; il plaide : « C’est ton plaisir, Seigneur, de faire le bien ». Mais il ajoute : “ à Sion ”. Or Sion est le lieu (spirituel) où David a été sacré roi-messie (Ps 2, 6). C’est dire qu’en pardonnant le péché de David, Dieu accordera ses faveurs à son peuple. Que Yhwh choisisse à nouveau son messie, qu’il le confirme dans son onction, afin que le messie, revenu à la vie, intercède pour le salut du peuple, et le peuple alors sera sanctifié. Vérité de la prière, David ici ne demande plus le salut pour lui, mais bien pour le peuple.

Intercéder pour le salut d’autrui, c’est s’offrir soi-même en sacrifice. Un “ cœur brisé ”, un “ esprit brisé ”, qui abandonne toute prérogative entre les mains de Dieu, n’est-ce pas là le plus parfait des sacrifices ? Le seul agréable à Dieu. C’est un “ sacrifice de justice ”, car c’est ici l’acte de foi parfaite de l’homme déchu qui s’en remet entièrement à son Seigneur. En agrément, la justice sanctifiante peut alors s’exercer à son bénéfice, car il a renoncé à toute recherche pour soi : Dieu fait de lui un juste. Et si son sacrifice est offert pour le peuple, si le peuple enfin, en y adhérant par la foi, en entrant dans cette liturgie, participe à l’offrande de son roi-messie, Dieu, en agréant le sacrifice offert, sanctifiera tout le peuple. Offrande totale qui ouvre à la communauté les portes du salut et fait d’elle un peuple saint : ainsi se construit la Jérusalem céleste, le rassemblement des justes. Alors, quand son offrande est acceptée par Dieu, ce n’est plus David seul qui offre le sacrifice, mais le peuple tout entier, par et avec son messie-prêtre. Alors ils offrent « leur fruit » sur l’autel de Dieu.


Mais Yhwh a dit à David :

tu ne bâtiras aucune maison à mon nom, car tu as versé devant moi beaucoup de sang sur la terre.
(1 Ch 22, 8)

Non, ce n’est pas David qui bâtira cette maison, cette Jérusalem, Temple de Sainteté. Après que Yhwh aura longtemps accordé ses faveurs à Israël, à cette vigne qu’il a plantée en Sion, alors la terre va donner son plus beau fruit : le Messie, fils de David, viendra, enseigner les chemins de Dieu aux rebelles et à ceux qui sont en faute. Il offrira sa vie en sacrifice d’oblation parfaite, en sacrifice de justice, et par lui, le peuple sanctifié, accèdera au salut dans le pardon de ses péchés. Avec lui, par lui et en lui, ils t’offriront, ô Seigneur, leur plus beau fruit sur ton autel, pour la gloire de Dieu et le salut du monde.




HebraScriptur - 1999
révision décembre 2004



Revenir au Début du texte
Revenir au Catalogue