Ce psaume nest pas un Psaume de David . Il na aucun rapport avec la vie du roi. Il a pourtant tous les caractères dun « psaume », mizmor, comme le dit la racine de ce mot, le verbe zamar : « tailler, émonder ». Tel un jardinier qui taille un arbre fruitier pour en discipliner la croissance et lui faire porter du fruit, Dieu guide lhomme sur le chemin de la fécondité des temps futurs, en élaguant les conduites aberrantes où le malheureux a tendance à ségarer.
Pour cela, le Psaume 50 se présente comme une convocation en assemblée, convocation générale, que Dieu adresse sans doute au peuple dIsraël mais beaucoup plus largement à « tous les hommes », à tous « ceux qui scellent dun sacrifice » son alliance divine. Dieu invite les croyants rassemblés à écouter sa parole, afin de remettre les égarés sur la bonne voie.
Ce sont donc les deux idées majeures qui émergent de ce texte : (1) Dieu sadresse au monde entier, Israël compris, qui est pris à témoin pour sa mission particulière ; (2) le seul sacrifice que Dieu demande, cest de reconnaître que tout, absolument tout, hormis le péché de lhomme, est œuvre divine. Simplicité biblique. Et ouvrant sur le Paradis. Mais Dieu ! que cest loin dêtre évident !
Dieu appelle son peuple en assemblée. Qui donc est ainsi convoqué ? On pense dabord au peuple dIsraël, que Yhwh désignait à Moïse (Ex 3, 10) : Je tenverrai auprès de Pharaon, et tu feras sortir dEgypte mon peuple, les enfants dIsraël. Mais le verset 7 nous invite à élargir ce point de vue. Si la parole divine y désigne bien Israël par son nom, cest apparemment pour un traitement particulier Je vais te prendre à témoin qui le distingue des autres peuples, et surtout, Dieu sy présente sous le nom Élohim, cas unique dans toute la Bible, où Dieu se présente toujours à Israël sous le Nom, YHWH. Cet appel vise donc bien au-delà dIsraël, au-delà du peuple de YHWH, ce que lon pouvait pressentir dès les versets 4 et 5 qui parlent de convoquer la terre entière, ou plus exactement (v. 5) ceux qui offrent à Dieu un sacrifice, cest-à-dire les croyants pratiquant un culte, et non les seuls fils dIsraël.
On peut encore sinterroger sur la convocation des « cieux den-haut » (verset 4). De qui sagit-il ? Les morts ne peuvent plus entendre, et sils vivent dans lau-delà, comme les anges, ils nont pas besoin dêtre gouvernés. La formule ne viserait-elle pas plutôt les hommes qui ne sont pas encore nés, les générations futures qui, elles, auront besoin dêtre gouvernées ? Cest de nous quil sagit, de nous qui avons bien besoin aujourdhui des conseils célestes. On comprend alors cette précision à la fin du verset 1, comme un commentaire plein dhumour, et il convoque du monde ! . Loin de sadresser aux seuls fils dIsraël, mais sadressant aussi à eux, dune manière particulière à découvrir, Dieu appelle à lécoute de sa parole la totalité du monde créé. Cest le peuple dÉlohim, le peuple de Dieu.
Cependant, les fils dIsraël ne connaissent que Yhwh. Et même sils nignorent pas le nom Élohim, pour eux, ce nom est plutôt réservé aux autres peuples, à qui Élohim ne sest pas révélé sous le nom YHWH. Cest pourquoi, après avoir cité le Nom au verset 1, au verset suivant le Psaume présente Élohim comme ayant replendi depuis Sion. Voilà une référence forte pour « accrocher » les fils dIsraël, car ils savent tous que Sion est le lieu où réside Yhwh (Ps 132, 13), et aucun ne peut dire, après avoir entendu cela, que les paroles qui vont suivre viennent dun Dieu quils ne connaissent pas. Réciproquement, ceux qui ne sont pas fils dIsraël et ne connaissent pas Yhwh, découvrent ici que la Parole de Dieu vient de Sion. Cest ce que dira la voix divine, plus tard, par son prophète :
Alors viendront des peuples nombreux qui diront :
« Venez, montons à la montagne de Yhwh, à la maison du Dieu de Jacob,
« quil nous enseigne ses voies, que nous marchions dans ses sentiers.
« Car de Sion vient lenseignement, et de Jérusalem la Parole de Yhwh. »
(Isaïe 2, 3)
Mesurons que le prophète met ces versets sur les lèvres des peuples nombreux : ce sont eux, les « étrangers », qui déclenchent le mouvement, ce nest pas Israël ! En revanche, cest bien dIsraël que ces peuples attendent maintenant quelque chose, une réponse à cet appel que le Ciel leur inspire. Par leur voix, Dieu appelle le peuple de YHWH à transmettre la parole divine, la Torah, à tous les autres peuples. Ne serait-ce pas là cette mission particulière pour laquelle Dieu veut insister auprès dIsraël (verset 7), obtenir son témoignage ?
Cela signifierait-il que lÉcriture demande à tous les peuples dembrasser la religion des fils dIsraël ? Certainement pas. Mais il faudra prendre garde à cette erreur possible : il ne sagit pas de prosélytisme. Il sagit de découvrir ce qui est universel sous le vêtement dans lequel Dieu sest révélé à Israël ; il sagit de pénétrer le mystère caché derrière lhistoire, les rites, la culture et la langue hébraïques. Il sagit, pour le peuple de Dieu convoqué par cet appel, dentrer dans le mystère universel de la parole divine, dans ce mystère caché au sein de la torah de Moïse, qui en est la révélation particulière faite au peuple de YHWH.
Et en tout premier lieu, il conviendra de contempler le mystère du nom sous lequel Dieu se révèle, un nom qui nest pas le même pour tous les peuples de tous les temps, parce que ce nom est lié à leur culture (cf. étude Les noms divins ). Cest ce qui apparaît si bien dans le Psaume 50, où le premier mot qui désigne la divinité nest même pas le mot « Dieu », mais « Le Puissant », désignation aussi vague et générale quil est possible afin que la terre entière sy reconnaisse, et désignation aussitôt suivie des deux noms révélés les plus connus : Élohim, Dieu Créateur et Juge universel pour la plupart des peuples ; YHWH, Dieu de tendresse et de miséricorde, pour le peuple des fils dIsraël. Le même Dieu, nommé par chacun, selon lenseignement quil a reçu de ses ancêtres.
Voyez ce salut à lentrée du verset 3 : Notre Dieu vient . Quel est ce « nous » ? Israël sy reconnaîtra certainement, puisque Dieu se manifeste depuis Sion. Mais est-ce tout ? Non bien sûr. Ce « nous » comprend maintenant les peuples nombreux rassemblés par cet appel et qui, pour monter à la montagne de Yhwh, à la maison du Dieu de Jacob, sont venus rejoindre Israël puisque pour eux lenseignement vient de Sion. Cest pour eux que le vocabulaire sadapte. Cest pour eux que le saint nom YHWH nest cité quune seule fois, tandis que le nom divin Élohim sy trouve sept fois. Cest pour eux, enfin, quune huitième mention dÉlohim est faite au singulier, Éloah (v. 22), forme demploi biblique tardif, fréquente au livre de Job, issue de la même racine sémitique qui a donné Allah en langue arabe.
On peut se demander pourquoi les signes duniversalité de cet appel sont si discrets, au point quil soit nécessaire de les décoder. On se demande encore pourquoi un appel si général se manifeste aussi tard, lorsque parle Isaïe (citation ci-dessus) ; et pourquoi, enfin, il ne deviendra parfaitement clair quavec lun des tout derniers prophètes, Zacharie (8, 23) :
Ainsi parle YHWH Sabaoth : En ces jours-là, dix hommes de toutes langues des nations, saisiront un homme juif par le pan de son manteau, disant : « Nous venons avec vous, car nous avons compris que Élohim est avec vous »
Ce verset balaye nos doutes. Cest bien Yhwh, Dieu dIsraël, qui parle et qui annonce la démarche des nations. Celles-ci viennent solliciter, pour une mission particulière, ceux quelles nappellent plus des Hébreux parce quils sont maintenant devenus les Juifs, ceux dont la religion est le judaïsme. Or, comme il apparaît à la lecture du Psaume, le message divin contient une critique majeure de la religion dIsraël, critique de son rite des sacrifices sanglants. Il est donc certain que Dieu ne sadresse pas à des hommes de religion, tenus par des rites et des traditions propres à lhéritage de leurs ancêtres ; Dieu sadresse à des hommes de foi, quelle que soit leur religion, qui craignent le Puissant, non parce quils ont peur de son jugement mais parce quils sont à lécoute de sa parole, pour en discerner lenseignement et pour engager leur vie sur la vérité universelle quelle contient.
Nous voici maintenant prêts à entendre ce que Dieu veut nous dire, sachant bien, quelle que soit notre religion, y compris judaïque, quil nous faut écouter sa parole en faisant abstraction de nos rites et de nos traditions. Non pour les récuser, bien sûr, mais pour apercevoir en quoi nous les vivons sans les comprendre assez, pour découvrir luniversel sous leurs formes religieuses particulières, et pour choisir, enfin, dy adhérer maintenant, libres des contraintes dappartenance qui nous entravent.
Quest-ce quun sacrifice ? Les latinistes nous exposent que le sacrifice, sacrum facere, a pour objet de rendre sacrée la chose que lon sacrifie. Très bien, mais nous nen sommes pas là. Nous sommes à lépoque du peuple de Yhwh, et le verbe sacrifier, zabakh, a le sens de « tuer, abattre, massacrer des animaux ». Cest donc bien du côté de la boucherie que nous devons rechercher le sens du mot au départ de notre réflexion, et non dans le symbolisme évolué dune civilisation postérieure. Car cest précisément lobjet du Psaume 50 que de nous introduire à la valeur universelle du sacrifice, lequel commence très bas dans sa première expression culturelle, avant même les Hébreux, par le massacre des plus beaux spécimens du règne animal. Il nous faut donc écouter ce que Dieu nous en dit, en faisant abstraction de ce que nous en savons déjà par notre civilisation, laquelle a peut-être (bénéfice du doute accordé) manqué certains éléments importants présents dans ce psaume, en voulant parvenir rapidement à sa conclusion par souci defficacité spirituelle.
Pourquoi les peuples anciens (car les Hébreux étaient loin dêtre les inventeurs de cette pratique) sacrifiaient-ils des animaux ? Parce quils croyaient que Dieu le leur demandait. Ils ont même commencé par immoler des êtres humains, plus proches deux que les animaux. Ce qui peut paraître facile lorsquil sagit dêtres humains auxquels on tient assez peu, étrangers, inconnus, voire ennemis (cest encore plus facile), mais ce qui devient de plus en plus douloureux lorsquil sagit de sa propre fille (cest le drame dIphigénie) ou de son fils aîné, comme avait cru le comprendre Abraham. Et nous voici de retour dans la Bible. Abraham, lui aussi, partait sacrifier son fils parce quil croyait que Dieu le lui demandait (Genèse, chapitre 22). Et si les Hébreux ont été les inventeurs de ce progrès spirituel extraordinaire, qui a fait évoluer lhumanité du sacrifice humain au sacrifice animal, cest grâce au premier dentre eux, Abraham lHébreu.
Grâce à qui ? Abraham ? Encore une conclusion trop rapide. Ce nest pas lhomme qui a arraché ce progrès à la barbarie de ses ancêtres, cest Dieu qui sest servi dAbraham pour nous faire comprendre, à vous, à moi, en le faisant comprendre dabord à Abraham, quil ne mest pas demandé de tuer ce que jai de plus cher pour faire plaisir à Dieu, mais quil mest demandé de cesser de my attacher, parce que cet attachement entrave ma montée spirituelle (cf. en rubrique Études : Le sacrifice dAbraham ). Cest ainsi que Dieu a fait abandonner à lhomme la consommation du sacrifice humain, pour la sublimer en un détachement spirituel, qui sera inscrit dans la loi de Moïse six siècles plus tard : Consacre-moi tout premier-né parmi les fils dIsraël, homme ou bête, il est à moi (Exode 13 ,2). On est passé du sacrifice qui consomme au sacrifice qui consacre, en faisant entrer lobjet du sacrifice dans le domaine du sacré au lieu de le détruire. Mais est-ce bien tout ce que Dieu attend de nous ?
Le verset Exode 13 ,2, on le voit, vise les animaux tout autant que les hommes, mais il ne leur a pas été appliqué de la même façon. Les sacrifices danimaux ont longtemps perduré, comme en témoigne le Psaume 50, plus de trois siècles après Moïse, et il en subsiste encore aujourdhui la trace dans bien des rites dont nous avons peut-être oublié lorigine : lagneau de la Pâque juive, le mouton de lAïd-el-kébir musulmane, la dinde de Noël ou de Thanksgiving des chrétiens dEurope ou du Nouveau monde. Aujourdhui, dans la mesure où la consommation de ces animaux relève plutôt des agapes festives que du sacrifice, cela revient à dire, quelle que soit la considération que nous portons à ces rites respectables, que la raison première de leur institution nous a échappé, et nous échappe encore.
En faisant évoluer le sacrifice depuis la consommation (la vie supprimée pour plaire à la divinité) jusquà la consécration (la vie consacrée à la divinité), Dieu a-t-il modifié sa demande à lhomme ? En degré, oui, semble-t-il, mais pas en nature. Car la finalité de ce qui reste un sacrifice, donc un renoncement, est encore quil faut plaire à Dieu. Cela fait sans doute moins mal (à lhomme, oui, chacun peut le dire, lanimal, lui, ne dit rien), mais en quoi cela fait-il du bien à Dieu ? Et si cette question na pas de sens (elle nen a pas, Dieu est toute félicité), pourquoi le sacrifice ? Cest donc que le sacrifice, ainsi compris, précisément nest pas compris. Le sacrifice ne vise pas le bonheur de Dieu, mais le nôtre. Il nous dit que pour entrer dans la félicité promise, il nous faudra passer par un certain renoncement, plus ou moins douloureux.
Le verset 8 du Psaume est une sorte de verset consolateur. Il nous montre que Dieu ne méprise pas la valeur de renoncement que nous éprouvons dans nos sacrifices, car Dieu sait que ce moteur est bien celui qui nous fait monter vers le Ciel. Mais aussitôt, les cinq versets suivants nous convient au bon sens : ny voit-on pas que le sacrifice naugmente en rien le bonheur de Dieu ? Oui, bien sûr, admettons, mais alors quoi ? Ceci : Offre à Dieu le sacrifice de todah. Ce qui veut dire, en clair, « Reconnais que tout ce qui est en toi, tout ce qui vient de toi, est en vérité lœuvre de Dieu ». Voilà qui exige, en effet, un sacrifice énorme. Reconnaître que mon fils, ma maison tout entière, ce que la Bible appelle le fruit des entrailles (Ps 127, 3), tout cela est lœuvre de Dieu ? Plus encore, reconnaître que ma liberté daction, parfois si chèrement acquise ou recouvrée dans leffort et le renoncement, arrachée aux éléments paralysants venus de la nature ou des autres hommes, ma liberté se réduit à accepter tout ce qui méchoit et me voici alors approchant la félicité de Dieu ou à le refuser et men voici plus éloigné encore ! On comprend que tant dhommes, plutôt que dapprofondir le sens et lexigence de la todah, aient préféré croire quelle ne consistait en rien dautre que de chanter des alléluias. Ils y voient un aimable passe-temps doisif, ainsi que les apparences leur donnent à croire quand ils effectuent leur visite de contrôle dans les lieux de culte.
Ce nest pas à ces hommes-là que le Psaume 50 est destiné, mais à ceux qui, jamais lassés de chercher Dieu, voudront découvrir ce qui se cache dans la Bible sous la todah : un aveu, une reconnaissance, une confession qui nest ni culte, ni religion. Cela demande du temps. Pour le comprendre, un peu de temps ; pour lassimiler et le vivre, toute la vie. Les notes du Glossaire, qui développent le contenu de ce mot et de ceux qui sy rapportent, pourront aider le lecteur à sy retrouver :
Dieu façonne en nous un homme nouveau, transformant notre regard sur le monde. Il nous invite au sacrifice de louange, nous faisant lentement découvrir que cest toujours lui qui agit. Lentement, car nous ne savons pas regarder. Nous ne savons pas voir que sans le sacrifice, il nest pas de louange. La louange, toujours, suit laveu. Faute de quoi, devenue prosternement desclave, elle ne sera pas agréée. Dieu nattend pas quon le flatte, mais demande quon le cherche. Il voit celui qui le cherche, il voit le craignant-Dieu qui déchiffre sa parole. Il comprend le désir de cet homme qui veut se rapprocher du Ciel. Persévère-t-il ? il se verra bientôt entraîné dans lépreuve, provoqué alors au sacrifice de reconnaître que seul Dieu peut le tirer de sa détresse. Point nest besoin de chercher quoi offrir à Dieu. Lui seul sait, mieux que nous, ce qui nous colle à la terre et nous empêche de monter. Il saura nous le faire comprendre. Chercher Dieu, seulement, en tout ce que nous vivons, reconnaître sa main derrière tout. Tout, y compris ce qui semble banal, incongru même, voire scandaleux. Apprendre à voir en tout laction divine et oublier nos célébrations vides et nos louanges de convenance :
Tout y est, la lyre ou la harpe, le tambourin, la flûte, et le vin de leurs festins ;
mais pour lœuvre de YHWH ils nont aucune considération,
parce quils ne voient pas laction de ses mains.
(Isaïe 5, 12)