Laction de Dieu commence avec le verbe créer, et se prolonge très au-delà de la création. Bien que les apparences nous installent solidement dans la conviction que lhomme est le principal acteur dans le monde, et que Dieu nagit que de manière miraculeuse et exceptionnelle, en vérité, cest toujours Dieu qui agit, quelles que soient les circonstances. Lhistoire des hommes est celle de laction divine « faisant » le monde. Mais cette action se déroule selon un plan dune telle amplitude que sa compréhension échappe nécessairement à la conscience humaine ; dailleurs, celle-ci nen est-elle pas le produit ? Mais lesprit nie la réalité dont il nest pas conscient. Ce que nous croyons faire nest pourtant quune petite partie de ce que Dieu réalise, et lhomme qui se vante de son action nest rien, rien dautre que lun de ces innombrables artisans de nullité que la Bible destine à loubli.
Tout y est, la lyre ou la harpe, le tambourin, la flûte, et le vin de leurs festins ;
mais pour lœuvre de YHWH ils nont aucune considération,
parce quils ne voient pas laction de ses mains.
(Isaïe 5, 12)
Le verbe créer est le premier verbe de la Bible, celui du tout premier verset :
En un commencement, Élohim crée les Cieux et la Terre.
(Gn 1, 1)
Le sujet est ici Élohim, cest-à-dire Dieu. Dans toute la Bible, où ce verbe peu fréquent apparaîtra trente-huit fois à la forme active (qal), il aura toujours, comme ici, Dieu pour sujet. À la forme passive (niphal, dix occurrences), lorsque le sujet nest pas précisé le contexte ne laisse aucun doute : Dieu est toujours le créateur.
Seul Dieu crée. Dieu est le créateur de toute chose.
Contrairement au verbe créer, le verbe faire est extrêmement fréquent. Laction de faire, dont le sens est aussi général en hébreu quen français, est loin dêtre réservée à Dieu. Au contraire, elle peut avoir pour sujet la quasi totalité de ce qui est vivant, depuis Dieu c'est la première occurrence, Dieu fait la surface (le firmament) séparant les eaux den bas des eaux den haut (Gn 1, 7) jusquà la vie végétale la plus banale, dans la seconde et dans la troisième occurrences : arbre faisant fruit (Gn 1, 11.12).
Cet usage du participe actif faisant pour relier le fruit à larbre est cependant assez surprenant. Les versets 11 et 12 de la Genèse sont les seuls où lon trouve cette forme ; ailleurs, larbre donne du fruit (Lv 26, 4 et 20 ; Ps 1, 3 ; Ez 34, 27) ou plus rarement porte du fruit (Joël 2, 22). Il y a donc lieu de se demander si cette forme insolite ne cache pas une signification particulière, à découvrir.
Observons, dans la Genèse, la succession des premières occurrences du verbe avec son sujet. Ce nest quà partir de la treizième que lhomme fait quelque chose : Adam et Ève, ayant découvert quils étaient nus, se firent des pagnes (Gn 3, verset 7). Puis Dieu demande à la femme ce quelle a fait (14ème occurrence, verset 13) et explique ensuite au serpent quelles seront les conséquences de ce quil a fait (15ème, verset 14). Pour finir, Dieu reprend linitiative et fait (16ème, verset 21) lui-même des tuniques de peau pour Adam et Ève.
Si lon excepte les « arbres faisant fruit », les douze premières occurrences ont toutes Dieu pour sujet. Doù la question : cette forme empruntée, pour des arbres, ne serait-elle pas là pour nous dire que cest laction divine qui fait porter du fruit à la nature ? Cela semble évident. Mais pourquoi la Bible attire-t-elle notre attention sur une chose aussi banale, que nul ne songe à disputer ? Cest quil sagit, en fait, dun rappel, pour nous préparer à la suite. Quand Dieu est explicitement sujet du verbe, on observe que laction divine vise toujours à faire ce qui est bon pour lhomme (le firmament, les luminaires, les animaux), à faire lhomme lui-même (Gn 1, 26), à lui faire un aide (Gn 2, 18) : tout ce que Dieu crée ou fait est très bon (Gn 1 ,31) ; et cela reste vrai même si lon ne voit pas laction divine (les fruits des arbres). Au contraire, laction humaine, à terme, finit toujours par se révéler nuisible au bien de lhomme : masquer notre nudité, cest refuser de voir combien nous sommes fragiles et dépendons de la providence divine, dépendance que la désobéissance dAdam et Ève première action au détriment du bonheur de lhomme avait pourtant bien mise en évidence. Ce qui nous conduit à cette interrogation : Quelle prenne les formes dun refus dobéir à Dieu ou dune simple initiative mal motivée, laction humaine, est-elle finalement autre chose quun obstacle, que lhomme, inconscient, apeuré ou cupide, dresse à son détriment sur la voie des bonheurs où Dieu lentraîne ?
La succession des entrées du verbe faire dans la Bible annonce ainsi un principe fondamental, que lon retrouvera sous bien des formes dans lÉcriture : malgré les apparences qui nous incitent à voir les choses différemment, cest toujours Dieu qui agit (Ps 22, 32, le dernier mot : cest lui qui agit), cest à chaque instant laction divine qui construit lHomme, qui le conduit vers le bonheur de la vie éternelle. Dieu agit sur sa création pour la faire évoluer, faisant cieux et terre (Ps 121, 2 ; 124, 8 et 134, 3 ) comme un arbre faisant fruit, transformant tout ce quil a créé (Gn 1, 1) pour accomplir son projet. En dernière analyse, laction humaine nest que réaction aux sollicitations divines, réponse à lappel divin. Quand il répond positivement, Fiat! , lhomme devient serviteur, il devient le bras de Dieu faisant cieux et terre ; quand il récuse lappel divin, lhomme se sépare de Dieu, ne faisant rien, nen « faisant » quà sa tête pour courir vers la mort.
Ce verbe, qui marque une action planifiée plus précise et plus structurée que le verbe faire, nest pas très fréquent dans la Bible : 56 occurrences, dont 24 pour la seule expression « artisans de nullité ». En particulier, le verbe paal napparaît que trois fois dans le Pentateuque. Mais trois fois, il a Dieu pour sujet.
La première occurrence du Pentateuque est au cantique de Moïse. Moïse rend grâce à Dieu pour le peuple qui vient déchapper aux Égyptiens en franchissant la mer Rouge :
Tu les fais entrer, et tu les implantes, à la montagne de ton héritage :Tout est dit, ici, sur laction divine qui seule donne au peuple accès à la sainteté. Yhwh fait de lhomme quil a créé une fondation de sainteté , afin quil devienne un sanctuaire la demeure de Dieu au terme de la réalisation du plan divin. Mais lesprit humain, toujours tiraillé entre la peur et la convoitise, est lent, très lent à comprendre. Cest pourquoi, nous dit loracle de Balaam (seconde occurrence du verbe) : Le temps venu, on dira à Jacob et à Israël, ce que le Puissant a réalisé (Nb 23, 23b). « Le temps venu » Quand viendra-t-il, ce temps de dire à lhomme lœuvre de Dieu ?
fondation pour ta demeure, que tu as réalisée, YHWH,
de sainteté, Adonaï, que tes mains ont fondée.
(Exode 15, 17)
À la fin du Deutéronome, alors que sachève la mission de Moïse, le peuple na toujours pas compris. Dieu a proposé à Moïse de le récompenser, et den finir avec ce peuple à la nuque raide. Moïse, affligé, a prié Yhwh de nen rien faire, intercédant en leur faveur. Yhwh a renoncé à les exterminer (Exode 32, 7-14). Il aurait pu donner libre cours à la fureur ennemie, jusquà anéantir les fils dIsraël (Dt 32, 15-26), mais il ne la pas fait, de peur que leurs ennemis ne disent : « Notre main a frappé fort ! ce nest pas YHWH qui a réalisé cela ! » (Dt 32, 27).
Cette troisième et dernière occurrence du verbe paal au Pentateuque se trouve dans le cantique final de Moïse, testament quil laisse aux fils dIsraël avant de les bénir et de quitter cette terre. Moïse nous confirme ainsi quIsraël na pas encore compris que cest toujours Dieu qui agit. Lui-même la si bien compris quil nous dit, là, dans cet aveu de sa propre bouche, que ce nétait pas sa prière qui avait dissuadé Yhwh dexterminer Israël : cette prière, elle aussi, résultait de laction divine qui, par elle, a rapproché de Dieu lhomme Moïse. Enfin, ce verset nous montre que la vision des autres peuples sur laction divine est aussi bornée que celle dIsraël. Le temps nest pas encore venu, de dire à lhomme ce que le Puissant a réalisé.
Cette expression est construite avec le verbe paal (réaliser, exécuter) au participe actif pluriel (« fabriquants »), suivi dun complément formé sur le mot rien, qui traduit la vanité, la vacuité de laction ou de la conduite des hommes que ces deux mots décrivent.
Lexpression poalé awèn se rencontre à 22 reprises dans la Bible, dont 15 fois au Psautier (et 1 en Isaïe, 1 en Osée, 3 en Job, 2 en Proverbes). On la trouve encore une fois avec larticle (poalé ha-awèn) en Ps 125, 5 et une fois sous forme composite :
Hélas ! stratèges de nullité (awèn), artisans (poalé) de malheur, sur leur couche !
(Michée 2, 1)
Lexpression est toujours au pluriel. Elle stigmatise un comportement moutonnier, habituel et vain, une conduite persistante qui ne mène à rien. Elle ne condamne personne, mais devant une telle attitude, Dieu se détourne :
Les vantards ne tiennent pas à tes yeux : tu détestes les artisans de nullité.Dieu se détourne car les artisans de nullité se vantent, cest-à-dire glorifient ce quils font et ce quils en obtiennent, comme si le mérite leur en revenait. Ils ne rendent jamais gloire à Dieu.
(Ps 5, 6)
Nont-ils pas compris, tous ces artisans de nullité,Ils nont pas compris, en effet, que cest toujours Dieu qui agit, que cest toujours Dieu qui nourrit sa création son peuple. Ils se contentent de prendre sans demander, de profiter de tout, même de ce qui invoque la divinité pour sa nourriture, tel le lionceau (Ps 104, 21). Sans doute ne violent-ils pas les prescriptions de la loi, du moins en apparence ; mais Dieu ne regarde pas les apparences, il regarde le cœur. Voilà pourquoi :
quen dévorant mon peuple, ils mangent du pain ?
Yhwh ? jamais ils ne linvoquent.
(Ps 14, 4)
Cest une joie pour le juste de faire ce qui est prescrit
mais cest la ruine pour les artisans de nullité.
(Proverbes 21, 15)