Après les Psaumes 1 et 2, qui constituent une sorte de Prologue théologique ou philosophique au livre de prières dIsraël, le Psaume 3 est le premier texte à porter le titre de Psaume de David . Cest la première des prières que le roi adresse à Dieu, ce Dieu qui se révèle à lui par lÉcriture, dans la Torah reçue de ses ancêtres : son Nom est Yhwh.
Dans ce Prologue, à peine lhomme en quête de la vie vient-il dentendre le conseil du Psaume 1, de vivre selon la Torah pour sengager sur le « chemin des bonheurs », que la révolte de lhomme impie lui est annoncée, dès les premiers versets du Psaume 2. Il sait, au moment précis où il sengage sur ce chemin, que la persécution va bouleverser son désir dêtre fidèle à la Parole. Le Psaume 3 illustre la soudaineté déconcertante de cette adversité, son caractère incompréhensible pour lhomme de bonne volonté qui, dans sa quête de Dieu et pour seule réponse, se voit infliger par le Ciel une épreuve insupportable. Lexemple de David, lexemple de sa prière en de telles circonstances, est à la fois le viatique consolateur pour ce temps de détresse, et le départ dun apprentissage de la foi indispensable à toute montée vers Dieu.
La révolte de lhomme impie explose dès le premier verset du Psaume 3. Illustration terrifiante de cette conspiration contre Yhwh, et contre son messie (Ps 2, 2) : refusant la paternité de Dieu, lhomme tente darracher le pouvoir au messie. Le messie, cest David ; lhomme impie, son fils Absalom.
Cruelle situation que celle de David ! Mais rien ne pourrait, mieux que le drame vécu par le roi dans ce psaume, nous faire comprendre lamour que nous porte notre Père invisible. Son fils chéri, héritier désigné du trône, certain de succéder à son père, son fils Absalom refuse dattendre le jour promis pour recevoir la royauté : il veut larracher de ses propres mains, dès maintenant. Il conspire, il cherche à tuer le messie de Dieu, son propre père. Autrefois, David oint par Samuel, avait lui-même été dans cette situation de royauté promise ; non seulement ne chercha-t-il jamais à renverser Saül pour prendre sa place sans attendre, mais encore, persécuté par ce dernier, il lui laissa la vie sauve alors quil le tenait à sa merci (cf Ps 63 : en désert de Juda). Quel abîme entre le père et le fils !
Déjà, sous la persécution de Saül, lattitude de David avait été exemplaire. Elle avait plu au Seigneur qui, fidèle à sa promesse, avait donné la couronne à ce jeune homme plein de confiance en Dieu et ne revendiquant rien pour lui. Aujourdhui encore, lattitude de David est exemplaire. Sa foi en Yhwh na pas chancelé ; dans une adversité aussi absurde que douloureuse, il lui garde toute sa confiance. Cest dire que malgré les apparences catastrophiques de sa situation permise par Dieu, car rien narrive sans la permission de Dieu , David comprend que cette épreuve ne signifie nullement que Yhwh labandonne, mais quil éprouve et fortifie sa foi. Comme autrefois fut éprouvée la foi dAbraham. Autrefois, Dieu disait à Abraham « naie pas peur ! je suis ton protecteur » (Gn 15, 1) ; aujourdhui David répond « je ne crains pas ces foules qui me cernent ; viens Seigneur, sauve-moi ! » (Ps 3, 7-8). Aucune crainte, en effet, mais aucune bravade guerrière non plus, de la part du roi, devant ces foules qui lassaillent. Car elles ne sont pas ses ennemis : ce sont des révoltés inconscients, les partisans dAbsalom, des factions du peuple dont David est le roi, qui conspirent contre lui. Ils ne savent pas ce quils font. Les véritables ennemis de David, ceux que Dieu « frappe à la mâchoire » pour quils lâchent prise, ce sont les satellites de ladversité : découragement, angoisse, souffrance, tout ce qui tue la confiance quand on cède à la peur. Voilà les ennemis que Yhwh rend inoffensifs pour le juste, en désarmant les pointes blessantes qui le menacent.
Certaines critiques ont cru voir en David un favori de Dieu (son nom le donne à penser : David signifie chéri), un geignard plaintif que Yhwh protége de manière partiale, au détriment des autres hommes. Cette thèse, très répandue, conduit à considérer le Dieu de la Bible hébraïque comme un Dieu injuste, cruel et vengeur avec les hommes, sauf pour son « chéri », David. Cette thèse nest pas acceptable. Car Dieu aime tous les hommes dun même amour, depuis les origines de la création. Ce nest pas par favoritisme que David est protégé mais parce que son action est juste, en ceci quelle sappuie sur la Parole. Et cette protection ne lèse aucun des autres hommes. David est même si peu favorisé quil aurait au contraire, si sa foi nétait pas si grande, de sérieuses raisons de croire que Dieu lui en veut. Bien des parents, en effet, dans une situation moins dramatique que la sienne, ont demandé « ce quils avaient fait au Bon Dieu pour mériter un fils pareil ». David, lui, ninsulte pas le Ciel. Il ne cesse de dire à Yhwh sa confiance et den appeler à son salut. Dans les psaumes qui suivent le Psaume 3, rien ne viendra semer le doute dans son esprit, malgré les épreuves qui se succèdent. Sa plainte saccentue, mais cest toujours le même appel à Yhwh, la même certitude qui conclut chaque prière : si défavorables que soient les apparences, le salut viendra, et de Dieu seul. De même quAbraham est devenu juste par la foi, la foi fait de David un homme juste.
Si sa prière est un modèle pour notre foi, David est aussi le messie qui nous fait comprendre comment Dieu aime ses fils. Car à aucun moment le roi ne cessera daimer ce fils révolté contre lui, et la mort dAbsalom, loin de lui apporter lapaisement, plongera son père dans un profond chagrin. Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais quil se convertisse (Éz 18, 23). Cest aussi pour cela que David fuit. Non par peur daffronter son fils, mais pour ne pas lanéantir : peut-être Absalom va-il se reprendre Notre propre révolte, devant Dieu qui ne nous donne pas ce que nous exigeons sans délai, produit les mêmes effets : Dieu fuit devant nous, mais cest pour nous protéger de son jugement. Oh, son amour pour nous nest pas entamé. Mais notre tentative est aussi vaine que celle dAbsalom : Dieu est insaisissable. Comme le fils révolté, quand nous croyons tenir lhéritage, nous courons à notre mort. Ce nest pas Dieu qui nous la donne, cest notre aveuglement. Comme David, inconsolable de la mort dAbsalom, Dieu ne se réjouit pas de la mort.
Si David ne fait lobjet daucune protection divine arbitraire, il nest pas davantage ce geignard plaintif dont lapparente faiblesse (calculée ?) appellerait les faveurs dun Dieu partial et naïf. Toute son histoire nous le dit, David na rien de pusillanime. Peut-être pensons-nous que si nous étions à sa place, notre réaction dhomme voire notre volonté de « surhomme » nous conduirait à nous ressaisir, à nous prendre en charge, à réagir contre ladversité. Mais pour quelle action ? pour nous attaquer à quel adversaire ? celui, naturellement, en qui nous voyons lennemi à réduire au silence. Mais comment David pourrait-il sen prendre à cet adversaire, qui est son fils ? Cest pour cela quil fuit ! Aussi bien, Dieu nattend pas de nous la moindre action. Cest pour affermir notre foi quil nous éprouve. Il veut que nous lui demandions la force, que nous la tenions de lui, que nous apprenions à ne pas compter sur nous-même, mais sur Dieu seul. Cest lui qui assure notre protection : il choisira, au temps voulu, le moyen de notre salut.
Or cette apparente faiblesse révèle une force spirituelle. Le cri de David nest pas une plainte stérile, mais un appel au secours : Viens vite Seigneur, mon Dieu, sauve-moi! (Ps 3, 8). Dieu seul entend ce cri de notre foi, lui seul comprend que cet appel exprime la reconnaissance de notre dépendance, signe de juste louange : Vers lui jai crié de ma bouche, et lexaltation était sous ma langue (Ps 66, 17). Et dans la bouche de David, en effet, la complainte va devenir louange ; il chantera la gloire de Yhwh manifestée loin des victoires militaires, la force de Yhwh qui saccomplit dans la faiblesse : Tu fais de la bouche des enfants et des nourrissons, la force qui, face à tes adversaires, fera cesser celui qui hait ou cherche à se venger (Ps 8, 3). Rafraîchissante clarté au cœur dune sombre litanie de détresse, le Psaume 8 nous confirme que cest bien ce Dieu damour qui nous invite à lui adresser notre plainte. Cest sous les apparences de la faiblesse que réside la force spirituelle.
La montée spirituelle est fondée sur la foi. Elle passe par la nécessaire épreuve du temps de la désolation, épreuve qui nous enseigne à nous détacher de ce que nous tenons pour acquis, de ce que nous croyons être notre force. Éprouver la détresse, cest comprendre la nécessité dêtre secouru, pour quelque chose qui nous manque. Car en vérité, tout nous manque, et rien nest insignifiant. Même un besoin imperceptible, objet daucune plainte, et dont le remède paraît à portée de la main : à Dieu seul, encore, il faut le demander. Invoque-moi au jour de détresse, je te délivrerai et tu me rendras gloire (Ps 50, 15). Ce nest ni sur nous-même, ni sur les autres que nous devons nous appuyer, mais sur Dieu seul. Cest lui qui prend soin de notre bonheur, pas nous. En toute circonstance Dieu seul suffit. Invoquer son nom est au cœur de toute prière : demander la vie, la subsistance, le salut. Et dun bout à lautre du Psautier comme dailleurs dans toute lÉcriture, jusquà son dernier verset retentit ce cri : Viens Seigneur ! Cest la prière de David.