Asheré est le pluriel à létat construit du substantif èshèr, dont la racine verbale ashar signifie : aller droit, avancer, faire des progrès, être en bonne direction. Le mot exprime les bonheurs de celui qui marche en bonne voie, et la forme retenue ici, « Lhomme sur la bonne voie », pourrait aussi sécrire, littéralement : Bonheurs de lhomme. En pratique, asheré est généralement traduit par « heureux », tout comme est traduit le mot de Jésus au début de son enseignement des Béatitudes (Mat 5, 3-11), mot dont lorigine est probablement la version araméenne de ce Psaume.
Cependant, si « heureux » traduit bien le bonheur, la béatitude, en effet, de celui qui, en étant sur la bonne voie, jouit déjà de ce quil cherche, le caractère statique du mot français trahit la dynamique du mot hébreu en laissant croire que lon est déjà arrivé. La traduction « en marche » de Chouraqui a heureusement contribué à rectifier cette insuffisance, mais au prix de labandon de la première connotation, pourtant essentielle. Afin de ne rien perdre, nous choisissons cette périphrase, sur la bonne voie , qui semploie dans notre langue à légard de celui qui cherche : « Continuez ! cest tout droit ! Vous êtes sur la bonne voie ! ».
On trouvera au Glossaire une note sur ce mot et sur sa racine rasha, « faire le mal ».
Le mot reshaïm est le pluriel commun aux deux mots résha (méchanceté, impiété, malveillance) et rasha (méchant, impie, malfaisant). Il est donc légitime, conforme à la grammaire, de traduire ce verset : « qui ne va pas au conseil des méchants », ou encore : « qui ne suit aucun conseil dimpies ».
Il semble pourtant préférable, ici, de parler de méchancetés plutôt que de méchants, car les conseils ne sont pas bons ou mauvais suivant le jugement que nous portons sur ceux qui les donnent : cest limpiété qui est condamnable, et non limpie.
Littéralement : « chemin de fauteurs ».
Le mot dèrèkhe évoque un chemin très fréquenté (de la racine darakhe, fouler, piétiner), au sens figuré dans ce verset : une habitude.
On trouve ici et au verset 5 le même mot hatta (pluriel hattaïm) : « qui commet des fautes, pécheur ». Ce mot vient de la racine verbale hata, « faillir », au sens le plus large de « commettre une faute » dans le langage courant : manquer, trébucher. Mais lhabitude de la faute conduit hors de « la bonne voie », doù le terme de dévoyé. Le pécheur est ici celui qui persiste dans sa faute, sans essayer den sortir.
Bien que le mot torah soit le même quen première partie du verset, il sagit ici du texte du « livre de la Torah », séfer ha-torah, que le fidèle est invité à méditer en le murmurant jour et nuit :
Que ce livre de la Torah ne séloigne pas de ta bouche. Tu le rumineras jour et nuit, afin de toujours agir selon ce qui y est écrit,Le verbe que nous traduisons ici par « ruminer » est le verbe hébreu hagah, à la fois murmure et méditation. Car le but de cet exercice spirituel est bien la méditation, mais la participation du corps reste primordiale : ruminer dans le Livre, cest réciter avec les lèvres les mots du séfer ha-torah (livre de la Torah) afin de découvrir en esprit lenseignement divin quil exprime : torat Yhwh, la Torah de Yhwh, lenseignement du Dieu révélé.
Car alors, tu réussiras dans ce que tu feras
(Jos 1, 8)
On peut sinterroger sur lattribution de « sa » Torah. Sagirait-il encore une fois de la Torah de Yhwh ? La répétition, totalement inutile, apparaîtrait alors comme une faiblesse du texte, incompatible avec lélaboration très subtile, au contraire, de tous les textes poétiques et notamment des Psaumes. Il est beaucoup plus satisfaisant pour la critique littéraire, et spirituellement plus juste, de comprendre la Torah de « cet homme sur la bonne voie », cest-à-dire le livre dont il a hérité de ses pères, le séfer ha-torah cité plus haut (Jos 1, 8), véritable nourriture qui ne doit pas séloigner de sa bouche. Le sens du verbe hagah, ruminer, confirme ce point de vue.
Le verbe hébreu qui se trouve ici nest autre que le verbe « être ». Mais à la différence du français, le verbe être hébreu nest jamais employé comme auxiliaire : il traduit toujours une réalité forte. Il apporte ici beaucoup plus quune simple comparaison avec larbre : lexpression dune existence vivante et véritable.
Dautre part, la comparaison avec larbre est séparée de ce verbe être par un signe disjonctif fort (rebiae gadol), et le verbe est au contraire rattaché au verset précédent par un waw de conjonction : il fait donc partie de la phrase précédente, dont il est le verbe principal. Le rejet du verbe, à la première place du verset suivant, met singulièrement en valeur son caractère affirmatif, en conclusion de toute la séquence qui le précède.
On a tenu compte du waw conjonctif dintroduction du verbe en répétant le démonstratif sujet, « celui », afin de renvoyer le lecteur au démonstratif initial : « Celui qui ». Ces démonstratifs sont tous les deux sous-entendus dans lhébreu ; on pourrait les supprimer, ce qui conduirait à la proposition : « Qui ne poursuit aucun dessein etc, vivra. ». Mais devant la longueur de la phrase, on a préféré souligner son architecture, estimant que le lecteur contemporain nest plus en mesure de saisir cette forme de maxime (pourtant familière : Qui a bu, boira ) lorsquelle comporte de tels développements et emprunte une syntaxe aussi subtile. Le siècle de Salomon avait apparemment assez de finesse littéraire pour sy trouver très à laise.
De la racine alah, « monter », le feuillage est ce quil y a de plus élevé dans larbre, à la pointe de la vie.
Le même mot évoque aussi lesprit, ce quil y a de plus élevé dans lhomme, à la pointe de la vie. Cest précisément dans ce sens que le texte place ce mot au centre de la proposition principale : la vitalité spirituelle de lhomme qui rumine la Torah garantit sa fécondité, comme le feuillage vivace dun arbre planté au bord des eaux garantit le fruit quil portera, le moment venu.
À ce sujet, on notera la forme appuyée des possessifs, « son » fruit, à « son » heure, pour souligner le caractère unique de chaque homme.
Même mot quau verset 1, mais il sagit bien ici de « méchants » et non de « méchancetés ». Ces malfaisants, impies (coupables) au verset 4, ne seront peut-être plus impies au verset 5.
Le mot impies est ici adjectif, attribut du sujet, et non substantif sujet du verbe, car dans ce cas il serait précédé de larticle défini comme au verset précédent, les malfaisants (même mot). Le sujet du verbe est précisément « les malfaisants » du verset 4.
Même remarque pour le mot suivant, pécheurs : adjectif attribut et non substantif sujet.
Lévocation du jugement dernier est clairement confirmée à la fin du verset, puisque cest en même temps le rassemblement des justes.
La majorité des témoins lisent ainsi le verset : Car Yhwh connaît le chemin des justes, mais le chemin des impies ne mène nulle part . Cette lecture, qui sonne comme un jugement avant lheure, est contradictoire avec le verset précédent qui laisse à limpie la chance dune conversion possible. Mais elle est aussi contradictoire avec la grammaire, car les deux verbes sont sous deux formes différentes (participe actif pour le premier, forme inaccomplie pour le second) : le waw qui ouvre la seconde incise est consécutif et non copulatif. Le sens est bien : cest en raison de la présence bienveillante de Yhwh sur le chemin des justes, que le chemin des impies naboutit à rien.
Pour comprendre ce verset, il faut se souvenir que les actions impies visent toujours le juste (cest en cela quelles sont impies) car le juste gêne (Ps 37, 12 et 32). Ce verset exprime que Yhwh favorise le juste en empêchant daboutir laction impie qui le vise. Le sens séclaire de manière décisive si lon remplace impies par impiétés (cf. malveillances, verset 1, 1) ; le texte devient : car Yhwh connaissant le chemin des justes, le cours des malveillances naboutit pas. Pourquoi ? Parce que Yhwh, sachant ce que va faire le juste, lentoure de sa protection (Ps 5, 13) et, à cet effet, brise les pointes des malveillances (Ps 3, 8b) qui visaient le juste.
Au verset 6 comme au verset 1, ce sont les actions impies qui sont condamnées et non ceux qui les commettent : Yhwh ne veut pas la mort de limpie, mais quil se convertisse (Éz 18, 23).
Le mot hébreu goy ne doit pas être pris, ici, dans le sens post-biblique quil a conservé jusquà nos jours. Il sagit avant tout des organes de gouvernement, corps constitués qui secondent le roi dans lexercice de son pouvoir politique.
On peut consulter au Glossaire une note détaillée sur le mot « nation ».
La plupart des témoins traduisent ainsi : « et (pourquoi) des peuples murmurent en vain », ce qui fait de cette seconde partie du verset une paraphrase de la première : « peuples » répond à « nations » et « murmurent en vain » répond à « protestent ». Cette lecture est difficile à accepter, car les deux verbes ne sont pas sous la même forme : le premier est à la forme accomplie (action terminée), le second à la forme inaccomplie (action non terminée, future ou subordonnée). Il est donc impossible demployer le même présent pour les traduire tous les deux : la seconde action doit être subordonnée à la première et non se situer en parallèle. La conjonction waw, qui relie ce demi-verset à celui qui précède, a valeur de subordination entre deux propositions qui ne sont pas de même nature grammaticale.
En même temps, la plupart des témoins lisent comme un seul mot : leoummim, « peuples », ce qui gagne à être lu en deux mots : « le-oummim », « pour des peuples » ou « de peuples ». La nature consécutive de cette seconde incise se trouve alors confirmée. Par ailleurs le mot « peuples » traduit généralement lhébreu ammim, mot très fréquent, alors quil sagit ici du mot très rare oummim qui sera mieux rendu par « communautés ».
Enfin le verbe hagah ne peut pas prendre ici le sens négatif de « murmurer » quon lui prête en le lisant comme un synonyme de « protester » ; ce verbe figure au début des deux psaumes, en Ps 1, 2 comme en Ps 2, 1 , et doit y recevoir le même sens, comme en sa toute première occurrence (Jos 1, 8) citée ci-dessus en note Ps 1, 2 : ruminer la Torah jour et nuit.
Inversement, on ne peut pas donner le même sens aux deux mots différents que sont goyim, « nations » et oummim, « communautés » (voir au Glossaire ces deux mots). Issu de la racine gawah, « former un corps consistant », la nation est un corps organisé composé de membres différenciés, aux fonctions distinctes, notamment des chefs, régisseurs et hauts personnages qui seront visés au verset suivant ; tandis que le mot oummim, « communautés », vient de la racine ém, « mère » (ou de ammam, être apparentés, avoir la même mère), pour nous dire que les membres de cette communauté sont tous, sans distinction, issus de la même mère, et sont donc nourris du même lait, ici le lait de la Parole, de la Torah.
Régisseurs de domaines et hauts personnages se soulèvent.
N.B. En hébreu, les mots « nation » et « communauté » sont tous les deux du genre masculin, comme « régisseur » et « haut personnage ». Pour le texte hébreu, ce sont bien les nations , sujet de la proposition principale précédente, qui se soulèvent.
Littéralement : « rois-de-terre » et non pas « rois de la terre » (malekhé ha-arèç). Lorsquelle est avec article, lexpression désigne des rois de pays étrangers à Israël, les rois du monde, comme ceux qui venaient honorer le roi Salomon (1 R 10, 23 ; 2 Ch 9, 22-23). Ici, lexpresssion sans article (et avec trait dunion) désigne plutôt ceux qui règnent sur des subdivisions territoriales ou domaniales dIsraël.
Il sagit donc dans ce psaume dune rébellion des pouvoirs civils contre lautorité religieuse, probablement à lintérieur même dIsraël, sans pour autant exclure des nations étrangères reconnaissant ou appelées à reconnaître la même autorité religieuse.
On trouvera au Glossaire une note sur le mot seigneur.
Observons que le tétragramme est absent de ce verset. Demeurant dans les cieux peut apparaître comme une périphrase qui renvoie à la plus haute divinité reconnue par ceux qui contestent, quils soient à lintérieur ou à lextérieur dIsraël.
Le titre Adonaï convient aussi bien à Dieu quau messie roi, mais encore à toute autorité reconnue par celui qui cherche un guide spirituel, quil soit fils dIsraël ou non. Ainsi, derrière ces titres compris par tous les hommes, et au-delà de sa réplique amusée et moqueuse, la divinité prépare lavertissement solennel par lequel son élu sur terre le roi messie va, au nom de Yhwh le Dieu dIsraël , répondre (versets 7 à 12) à ceux qui contestent Yhwh et son messie. Cette délégation de parole est authentifiée par le rappel (verset 6) des origines du sacre du roi messie.
La colère de Dieu ou encore le jour de colère sont toujours annonciateurs dun jugement qui sans être nécessairement le jugement dernier nen est pas moins une condamnation sans retour, assortie dune extermination dont le déluge ou la destruction de Sodome et Gomorrhe sont les premières révélations. Cest ce jour de colère que le Seigneur évoque comme un rappel à lordre devant ces puissants afin de les remettre à leur place ; il ne sagit pas dun emportement colérique.
Même rappel au verset 12.
Et non pas « ma montagne sainte », ce qui serait une erreur grammaticale doublée dune erreur spirituelle, car Dieu seul est saint : la montagne est signe de la sainteté de Dieu.
Sur le mot sainteté on consultera le Glossaire.
La montagne a toujours été pour lhomme le lieu où il adore la divinité, depuis la préhistoire jusquà Jésus-Christ (cf Jn 4, 20), car la montagne est à la fois proche du ciel et loin du tumulte de la plaine ; cest donc naturellement le sanctuaire, cest-à-dire le lieu où le Dieu saint rencontre lhomme pour le sanctifier.
Il ne sagit pas des « extrémités de la terre » (hébreu afecé ha-areç, avec larticle défini) que lon trouve en Ps 59, 14, mais de limites de territoire. Ces domaines, ou ces territoires, sont ceux que visait déjà le verset 2, 2 ; le pouvoir de leurs régisseurs, qui sétend jusquà ces limites, leur sera retiré parce quils en contestent la tutelle.
En dépit du contexte qui voit peser la menace de la colère de Dieu, craindre Dieu, cest craindre de le blesser, de loffenser, et non pas craindre dêtre anéanti par lui. Tout le verset le confirme, car Dieu aime celui qui donne ( Servez Yhwh ) avec joie ( exultez, frémissez de joie ), et non celui qui donne par peur ou par intérêt.
Littéralement « embrassez (le) fils ». Mais le sens premier du verbe nashaq est « rejoindre, adhérer », cest-à-dire « embrasser » au sens figuré. En outre, le mot bar (très rare en hébreu) est employé ici pour « fils » au lieu du mot habituel ben, que lon trouve au verset 7. Ben vient de banah, « construire », comme le père construit sa race par engendrement du fils, tandis que bar vient de barah, « créer », action divine par excellence.
Dérivant dune autre racine, le même mot bar peut encore signifier choisi, bien-aimé, ou encore pur, clair, transparent dans un sens moral. Cest pourquoi on lit dans certaines traductions : embrassez la transparence (Chouraqui). Nous préférons garder le mot fils et, à la faveur de ces sens multiples dont fourmille lhébreu biblique, enrichir la signification de cette filiation adoptive à laquelle Dieu appelle son messie, et par lui, tout homme de bonne volonté. Cette filiation apparaît alors comme lélection, le choix dun Dieu père, qui demande à son élu dembrasser la transparence, cest-à-dire de sabandonner à la volonté de son père, devenant ainsi perméable à la grâce, et en effet transparent. On peut donc aussi traduire : « Adhérez à la filiation ».
Par ailleurs, on observe quen évoluant vers laraméen lhébreu a perdu lusage du mot ben, et nemploie plus que le mot bar pour dire « fils ». Mais cette perte a été progressive, et le mot bar peut aussi semployer en hébreu avec le sens de « fils » : il figure à trois reprises en Proverbes 31, 2 ; a contrario, le mot ben se trouve aussi dans le même passage, avec le sens de « fils selon la chair » (Pr 30, 17 et Pr 31, 5). Dans ce contexte hébreu, sans doute contemporain du Psaume 2, le mot bar a donc pris le sens particulier dun fils spirituel, auquel ce roi entend transmettre la sagesse divine qui le fait vivre.
Au Psaume 2, Dieu sadresse à lhomme par la voix de son messie : « Deviens fils (bar) spirituel de Yhwh qui tengendre comme le fils (ben) de sa chair ». En disant à lhomme quil oint : « Tu es mon fils (ben), aujourdhui je tengendre » (verset 7), Dieu crée une nouvelle filiation et demande à celui quil choisit, celui qui reçoit son onction, dy adhérer, de se comporter en fils (bar), cest-à-dire dappeler Dieu : Père. Pour devenir effective et perceptible dans sa réalité, la filiation créée par Dieu doit être agréée et accueillie par lhomme appelé à se comporter en fils.