Habaquq chapitre 3 Notes
- verset 3, 1
Intercession
hébreu : tephillah
Intercéder pour le salut de ses frères est le rôle principal du prophète. Dans le premier exemple biblique de prière dintercession, Dieu demande à Abimélek, frappé dun mal pernicieux, de faire appel à Abraham pour sa guérison, car il est prophète et il intercédera en ta faveur (Gn 20, 7). Abraham, premier prophète nommé par la Bible, intercéda auprès de la divinité et Dieu guérit Abimélek (Gn 20, 17).
Lintercession est une forme de prière, mais ce nest pas la seule. En particulier, il ne faut pas confondre la prière dintercession tephillah, de racine PLL (incriminer ; disculper, intercéder) avec la prière de louange tehillah, de racine HLL (faire briller, célébrer, louer : glorifier). La première est une supplication adressée à Dieu en faveur de quelquun ; la seconde est un aveu public de lhomme qui reconnaît avoir bénéficié de laction divine et qui en rend grâce à Dieu.
Prophète en Israël au moment où le royaume est en perdition sous la férule Assyrienne puis Perse, où Jérusalem est promise à la destruction et Israël à la déportation à Babylone, Habaquq intercède auprès de Yhwh en faveur de son peuple gravement éprouvé.
- verset 3, 1
Habaquq
Le nom de ce prophète peut provenir de plusieurs racines.
1 - HaBaQ (embrasser, étreindre). Ce verbe apparaît avec lhistoire de Jacob. Après son rêve, alors quil fuit le courroux de son frère Ésaü, Jacob est accueilli par les embrassades de son oncle Laban (Gn 29, 13, première occurrence). Vingt ans plus tard, il fuit la maison de Laban : il revient chez son père. En chemin, il lutte avec celui qui le bénit et le nomme Israël avant de le quitter. Jacob est alors accueilli par les embrassades dÉsaü quil redoutait de retrouver (Gn 33, 4, deuxième occurrence). Il dira à son frère : Jai vu ta face comme on voit la face de Dieu (Gn 33, 10).
2 - HouQ (entourer, embrasser), forme (passive) probablement issue de la précédente (active). Le principal dérivé de houq est héq : le sein, le giron ; lâtre ; un pli creux le lieu dune protection intime, affectueuse.
3 - BaQaQ (verser, se vider, se répandre). Ce verbe, qui évoque labondance dun flux que rien narrête, a pour dérivé : BaQBouQ (une bouteille, une outre), et parmi les noms propres : Yabboq, nom de ce gué où Jacob livra le combat à lissue duquel, ayant franchi lépreuve avec succès, il reçut le nom dIsraël.
4 - Pour mémoire, signalons la référence souvent citée de QiQayon (concombre, courge ou ricin suivant les sources), mot de racine inconnue considéré comme emprunté aux Égyptiens, qui appelaient qiqi la palme de ricin. Il est douteux quun prophète dIsraël ait pu porter un nom si étranger à la langue hébraïque.
Ces observations conduisent à attribuer au mot Habaquq le sens le plus probable de « étreinte », « tendre effusion ».
- verset 3, 1
sur des complaintes
hébreu : al-shighyonot
Le mot complainte (nom féminin, au singulier shighayon) tire sa racine du verbe shaghah, errer par ignorance, physiquement ou spirituellement, par aveuglement dû au péché.
Le prophète intercède ici en faveur de son peuple Israël, qui subit la colère divine sans la comprendre, et qui se plaint de son malheur. Habaquq endosse la cause dIsraël.
- verset 3, 2
je comprends ce que tu entends
hébreu : shamati shimeaka
Littéralement : jentends ton entendement.
Fondée sur le tout premier sens du verbe shema (entendre cf. Genèse 3, 15 : jai entendu ta voix dans le jardin, dit Adam), cette lecture littérale demande à être affinée. Le même verbe a ensuite le sens de écouter puis celui de comprendre.
Dieu est à lécoute des hommes. Il se penche sur les fils dAdam pour voir sil en est un davisé, qui cherche Dieu (Ps 14, 2). Or, en cette sombre période de lhistoire dIsraël, Dieu nentend guère invoquer ou louer son Nom ; au contraire, les princes et les prêtres font ce qui est mal aux yeux de Yhwh, et le peuple est livré à lui-même. Alors Yhwh a décidé de sortir pour sauver son messie (verset 13).
Tout cela, Habaquq le comprend parfaitement, lui qui entend et voit laction divine (verset 16).
- verset 3, 2
je respecte
hébreu : yaréti
Littéralement : je crains. Il sagit ici de la crainte de Dieu, qui nest nullement la peur dêtre anéanti par le ciel (la suite contredit une telle lecture) mais la crainte de ne pas accorder assez de considération à Dieu et à son œuvre.
- verset 3, 2
tu manifesteras
hébreu : todi'a
Littéralement : tu feras connaître ou tu feras savoir.
On attend un complément qui viserait, comme au verbe précédent, laction divine ou peut-être Yhwh lui-même (tu te feras connaître ?). Ainsi les LXX ont lu « elle [ton action] sera connue », tiwadé'a au lieu de todi'a. Mais ce mot (qui suppose la suppression de la lettre yod dans todi'a) apparaît alors accordé au féminin ; il ne peut pas se rapporter à laction divine (pa'alekha) qui est un masculin.
Il faut se rendre à lévidence : le texte ne comporte aucun complément contrairement à ce que lisent toutes les traductions.
Manifester, cest faire connaître sa désapprobation. Ici, ce que Dieu rend manifeste (Habaquq va nous le décrire), cest son jugement, qui sanctionne linconduite des fils dIsraël.
- verset 3, 2
tu te souviens
hébreu : tizekor
« Tu te souviens », ou « tu te souviendras ».
Cette forme est bien linaccompli (futur ou présent), et non limpératif comme on lit partout. Il ne sagit pas dune supplique mais dun acte de foi.
- verset 3, 3
Téman
Le mot hébreu Téman a le sens général de la direction Sud. Il a pour origine le mot yamin, dextre ou main droite, mot qui peut lui-même désigner la direction sud.
La parenté entre les deux mots sexplique par le fait que lhomme qui fait face au soleil levant a le sud à sa main droite. Ce verset exprime donc que le chercheur de Dieu, qui attend son Seigneur plus quun veilleur ne guette laurore (Ps 130, 6), tourné vers lorient sait que la lumière qui le guide est à sa dextre.
- verset 3, 3
mont Paran
Le mot Paran (de paar, creuser) désigne un « lieu où abondent les cavernes ». Il sagit dune zone montagneuse désertique située au sud du pays de Canaan, région où les fils dIsraël séjournèrent à plusieurs reprises après leur sortie dÉgypte avec Moïse, et où ils se trouvaient encore peu avant leur entrée en terre de Canaan (Nombres 13, 3.26). Cest déjà au désert de Paran que sétaient établis Ismaël et sa mère Agar, lÉgyptienne (Gn 21, 21), après avoir été chassés de chez Abraham. Cest au désert de Paran que David se retira, à la mort de Samuel (1 Sam 25, 1), avant de succéder à Saül.
En Dt 33, 2, alors quil bénit les fils dIsraël, Moïse leur enseigne, dans les premiers mots quil leur adresse, que YHWH est venu du Sinaï [
] et quil a resplendi du mont Paran. Habaquq se réfère donc ici à la plus haute tradition dIsraël.
- versets 3, 3 ; 3, 9 et 3, 13
sélah
Mot hébreu intraduisible, qui marque en général une pause pour reprendre courage, pour se ressaisir.
- verset 3, 4
puissance
hébreu : qarenaym
Qarenaym est le duel (pluriel de ce qui va par deux, comme les yeux, les oreilles, etc.) du mot qéren, qui désigne une corne.
La corne qéren est symbole de force spirituelle, en particulier quand le mot est employé au duel. Le verset précise ensuite que cette puissance vient de la main de Dieu, car cest là que se cache sa force. On retrouve ainsi sous une autre forme ce que disait le verset 3 : Dieu vient de Téman, cest-à-dire à main droite, de la dextre.
On trouvera au GLOSSAIRE une étude détaillée du mot qéren et du verbe qaran.
- verset 3, 6
Il est là.
hébreu : amad
Littéralement : Il se tient (debout). Le mot hébreu évoque une forte présence, très visible.
- verset 3, 7
les demeures dobscurité
hébreu : ohalé koushan
On lit généralement : « les tentes de Koushan », le mot Koushan étant assimilé au nom Koush de lÉthiopie. Cette confusion est dénoncée à juste titre par de nombreux témoins. Si Koushan désignait une contrée, il faudrait la localiser sur une carte ; personne nen est capable.
En réalité, le mot koushan (unique en Bible) gagne à être compris selon son sens premier : noir, sombre, obscur (arabe : terreur), cette couleur ayant valu leur nom aux Éthiopiens. On est alors orienté vers un sens symbolique, la tente représentant une demeure spirituelle. Cette demeure est qualifiée dobscure par le prophète qui dénonce des adorateurs didoles.
Une situation analogue se rencontre au Ps 120 avec lexpression « tentes de Qédar » qui gagne à être lue comme « refuges de trouble ».
- verset 3, 7
Madian
Le pays de Madian porte le nom de lun des fils quAbraham eut avec Ketura après la mort de Sarah. Madian sétablit au Nord de la péninsule Arabique. Il est le fondateur de la tribu des Madianites, tribu Arabe qui eut une longue histoire daffrontements avec les fils dIsraël le mot madian signifie querelle. Cest au pays de Madian que sétait réfugié Moïse en fuyant Pharaon ; cest là quil prit pour femme la fille dun prêtre madianite. Cest enfin de Madian que Moïse fut envoyé par Dieu (qui se révèle à lui au Buisson ardent sous le nom de YHWH) pour faire monter dÉgypte les fils dIsraël.
Bien quIsraël, à cause de son infidélité à Yhwh, ait eu à souffrir de la main de Madian (Juges 6, 1), la tradition a plutôt gardé de Madian le souvenir dun ennemi que Yhwh punit, au besoin par la main dIsraël (Nb 31, 3, Juges 8, 28). Le psalmiste (Ps 83, 10) aussi bien que le prophète (Isaïe 10, 26) invoquent Yhwh pour être délivrés de leur ennemi comme à Madian. Cest peut-être cette référence au jugement divin qui vient à lesprit de Habaquq au moment où il décrit la colère divine. Cette colère lui paraît justifiée pour punir un ennemi qui adore des idoles (début du verset), mais elle appelle, par la voix du prophète, la clémence de Yhwh pour son peuple.
- verset 3, 13
ton messie
hébreu : meshièHka
Le Messie : celui qui a été oint, lOint.
Le messie de Dieu cest lensemble de son peuple, comme le rappelle opportunément la forme de ce verset. Cela comprend notamment les prêtres et les rois, qui recevaient physiquement lonction. Et bien sûr le prophète, choisi par Dieu pour manifester lonction divine.
La situation politique délicate dans laquelle se trouve Habaquq, au milieu dune élite corrompue dont les rois ont fait ce qui est mal aux yeux de YHWH, donne à penser que cest surtout le prophète lui-même qui se désigne ainsi, alors quil intercède en solidarité avec le peuple dont seules les élites sont fautives. Les versets suivants peuvent confirmer ce point de vue (versets 14 et 16), mais le prophète nest pas seul (cf. commentaires).
On trouvera au GLOSSAIRE le verbe oindre avec le mot messie.
- verset 3, 16
Jai compris
hébreu : shamati
Cest exactement le même mot quau verset 2. Au début de son intercession, Habaquq concède quil comprend ce que fait Yhwh pour punir les coupables, mais il craint que le peuple nen souffre. À la fin de sa méditation, il a compris que le juste sera sauvé quoi quil arrive, du moment quil met toute sa confiance (sa foi) dans laction divine.
- verset 3, 16
à la montée du peuple
hébreu : la'alot le'am
Littéralement : au monter du peuple.
Les Septante ont lu le verbe qui suit cette expression (yegoudènou, cf. note suivante) comme un complément du mot peuple : le peuple « de mon séjour (sur terre) ». Cette précision suppose une modification considérable de lhébreu, dans un manuscrit qui ne nous est pas parvenu.
- verset 3, 16
on nous pressera
hébreu : yegoudènou
Forme du verbe goud ou gadad : inciser, presser, notamment être pressé ou se presser ensemble en foule. On trouve ce verbe en Ps 94, 21 (Ils se pressent en foule contre la vie du juste, ils condamnent le sang innocent), ou en Jér 5, 7 (ils se pressent en foule à la maison de la prostituée).
Le sujet de ce verbe est ici limpersonnel on, ou mieux encore le jour dangoisse (hébreu : yom çarah), cest-à-dire le jour du Jugement, jour de détresse dont la venue fera pression sur les foules. On pourrait aussi traduire : Il nous pressera ou il le pressera (le jour de détresse pressera le peuple), mais il semble préférable de garder le nous qui signe la solidarité du prophète avec le peuple.
Il faut noter ici que les massorètes, qui ont transcrit la Bible hébraïque au VIe siècle de notre ère, ont placé leurs signes diacritiques de telle sorte que ce verbe apparaît rattaché au mot peuple qui le précède, sans doute pour fournir un sujet à ce verbe (auquel il manquerait alors la lettre waw en tête du mot). Les massorètes ont donc lu : « au peuple [qui] nous presse », ce que la quasi totalité des témoins a traduit : « au peuple qui nous assaille ». Cette thèse a fait du peuple, pour lequel Habaquq est censé intercéder, un agresseur incompréhensible (certains commentateurs, pour expliquer cette aberration, imaginent, en note, que la famine a rendu le peuple agressif !).
La notation des massorètes a en outre complètement isolé le mot la'alot, à la montée, ce qui fait quon ne sait plus quelle fonction lui donner. Certains témoins lutilisent pour renforcer l« opposition » au peuple : « pour monter contre le peuple qui nous assaille », ce qui correspond malheureusement à une grammaire presque correcte avec cette césure douteuse.
Toutes ces lectures nauraient même pas été envisagées si le premier mot de cette prière, intercession, avait été lu avec exactitude, et quon ait pu garder, tout au long du texte, le sujet annoncé en titre. Mais déjà les Septante lavaient traduit par « prière », ce qui est beaucoup trop vague et ouvre la porte à toutes les dérives.
- verset 3, 17
le figuier ne fleurira pas
Il sagit bien dun futur (inaccompli). Parallèlement, les verbes qui suivent dans ce verset sont au contraire à la forme accomplie. Il ne faut pas rendre tous ces verbes par un même présent ou un même futur, comme on lit communément dans nos bibles, ni ajouter un verbe dans les incises qui nen contiennent pas. Tout cela prétend à clarifier une description de situation catastrophique ; certes, mais ce lissage a détruit le sens caché du verset, qui dès lors échappe au lecteur.
Si lon veut bien les respecter, ces aspérités du texte nous font comprendre que derrière les apparences dun désastre agraire se cache un désastre spirituel beaucoup plus grave, mais non désespéré, Habaquq en témoigne. Sur ce point, on trouvera de plus amples développements dans les commentaires.
- verset 3, 19
pour lexcellence
hébreu : lamnatséah
« Pour lexcellence » ou : « vers la perfection ».
On trouvera au GLOSSAIRE une note sur cette expression que lon rencontre par ailleurs toujours en tête des psaumes.
- Note 2
hébreux
hébreu : iberim
Le mot iberi, « hébreu », vient de la racine abar, « traverser, aller au-delà ».
Le nom des hébreux nous le dit : il ne sagit pas dune race, ni dun peuple, ni même des descendants du patriarche Héber. Il sagit dune qualité particulière de lesprit, propre aux héritiers spirituels dAbraham. Abraham fut le premier hébreu désigné par la Bible, et le seul de sa génération : son neveu Lot, descendant pourtant des mêmes ancêtres, nétait pas hébreu (cf. Gen 14 versets 12-13).