Agir de manière juste
Hébreu : çadaq

Le verbe çadaq n’est pas un verbe d’état ( être juste ) mais un verbe d’action : « faire un choix équitable », « agir de manière juste », « prendre une décision juste ». L’action décrite par ce verbe doit s’apprécier par rapport aux lois et aux usages en vigueur (les coutumes, la morale, la parole donnée).

Le verbe çadaq fait son entrée dans la Bible en Gn 38, 26 lorsque Juda, reconnaissant les preuves qui l’accablent, dit de sa belle-fille Tamar qu’il venait de condamner : “ Elle a agi de manière plus juste que moi! ”. On sait comment Tamar, deux fois veuve sans avoir eu de descendance avec les deux premiers fils de Juda, voyant celui-ci lui refuser — en manquement aux usages — son troisième et dernier fils, se fit passer pour une prostituée auprès de son beau-père. Elle en conçut des jumeaux dont le premier né, Péreç, est l’ancêtre du roi David. Mais en apprenant qu’elle avait conçu sans son accord, son beau-père voulut la faire brûler, puis y renonça lorsqu’elle lui dévoila son stratagème. La conduite de Tamar était juste puisqu’elle n’avait circonvenu son beau-père que pour obtenir de lui l’héritier de son sang qu’il refusait de lui accorder, au mépris de la loi.





Justice
Hébreu : çèdèq (et çedaqah?)

Les deux mots çèdèq (masculin) ou çedaqah (féminin) viennent de la même racine verbale, çadaq : « agir de manière juste ». Si ces deux mots sont de sens assez voisin, en raison de leur racine commune, ils ne sont pas pour autant employés indifféremment l’un à la place de l’autre.

Çèdèq est le substantif qui désigne la qualité de ce qui est juste, équitable, c’est-à-dire la justice, l’équité. Premières occurrences au chapitre 19 du Lévitique : “ Juge ton prochain avec équité ” (19, 15) et “ Ne trichez pas en jugeant, dans les mesures de longueur, de poids, de capacité : balances justes, poids justes, éphah (mesure à grain) juste, et hin (capacité) juste ” (19, 36). Ce qui est en cause dans ce verset, ce n’est pas tant la justesse ou l’exactitude technique des poids et mesures, que la justice de ceux qui les fabriquent et les emploient : le juste emploie des poids non biaisés, le tricheur des poids biaisés à son avantage.

La toute première référence du mot çèdèq se trouve en fait dans la Genèse, au cœur d’un nom propre : “ Melki-çèdèq, roi de Salem ”, qui était “ prêtre du Dieu Très-Haut ”. Ce nom ne se rencontre que deux fois dans la Bible, en Gen 14, 18 et en Ps 110, 4 ; il signifie « Mon-roi-est-justice ». Melki-çèdèq est la plus haute référence de justice. Il est « roi de Salem », c’est-à-dire de la ville dont David fera sa capitale, Jérusalem, et dont le nom shalem signifie unifié, apaisé, en plénitude. Cette rencontre de la Justice et de la Paix est chantée dans la prière d’Israël :

Bonté et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent. (Ps 85, 11)
La justice et la paix sont les attributs du roi prêtre. Au dernier jour, quand l’homme pacifié par l’action divine est devenu parfaitement juste, justice et paix coïncident [s’embrassent].

Le mot çedaqah est considéré comme le féminin de çèdèq, formé à partir de celui-ci en ajoutant la désinence -ah, qui caractérise en effet le féminin singulier. Mais l’existence de deux mots distincts amène à se demander quelle nuance de sens apporte le féminin par rapport au masculin : pourquoi y aurait-il deux mots différents s’ils disent la même chose ? D’un autre point de vue, si l’on considère la terminaison -ah non plus comme la marque du féminin mais comme une désinence indiquant une direction (cette forme se rencontre ailleurs, par exemple, en 1 Roi 19, 15 : midbar-ah, vers le midbar, vers le désert), on peut alors comprendre çedaq-ah comme un mouvement vers çèdèq, « vers la justice », vers une attitude plus juste. Cette lecture du mot éclaire très à propos sa première occurrence :

“ Abram eut foi en Dieu, qui le considéra comme « juste » ” (Gn 15, 6).

On se souvient en effet comment Abram avait manqué de foi lors de la première annonce de l’Alliance. Dieu vient de lui promettre de faire de lui une grande nation et de combler sa postérité (Gen 12, 2 + 7) quand survient l’épreuve de la famine (Gen 12, 10). Abram descend alors en Égypte pour y trouver nourriture, mais là, craignant que les Égyptiens ne le tuent pour s’emparer de sa femme qui est belle, il demande à celle-ci de se faire passer pour sa sœur (Gen 12, 13). N’ayant pas encore de postérité, il avait cru nécessaire de se protéger, non par manque de courage mais pour que la promesse divine puisse se réaliser : il n’avait pas confiance en Dieu pour le garder du malheur. C’est pourquoi Dieu lui dit, plus tard : “ N’aie pas peur, Abram, c’est moi ton protecteur! ” (Gn 15, 1). Alors, nous dit l’Écriture, en écoutant Dieu lui renouveler sa promesse, — mais alors seulement — “ Abram eut foi en Dieu, qui le considéra comme devenant juste ” (15, 6). Après cela, Dieu pourra lui dire “ Je vais te faire multiplier à l’infini ” (17, 2b), prenant le mouvement de foi d’Abram vers la justice comme modèle spirituel pour l’humanité. La vocation nouvelle d’Abraham est d’être « père d’une multitude » (17, 4).

Observons que la demande d’Abram à sa femme était « juste » au regard de la justesse, (Abram ne mentait pas, car sa femme était aussi sa sœur, cf. Gn 20, 12), mais n’était pas juste au regard de la justice, car Abram cherchait à tromper pour se prémunir : il n’avait pas assez foi en la parole de Dieu pour le garder en vie. Plus tard, en mettant sa foi dans la promesse divine d’une descendance (Gen 15, 4-5) alors qu’il était toujours sans héritier, Abram a progressé vers une plus grande justice. Entre ces deux attitudes, il avait rencontré Melki-çèdèq, « mon-roi-est-justice ».





Le juste
Hébreu : çadiq

L’adjectif çadiq dérive de la racine verbale çadaq, « agir de manière juste ». En hébreu comme en français, cet adjectif peut devenir substantif : le juste est un homme dont toutes les actions sont conformes à la justice çèdèq.

Le premier exemple d’homme juste (première occurrence du mot çadiq) est Noé :

Noé, homme juste, vivait intègre au milieu de sa génération ; Noé marchait avec les élohim. (Gn 6, 9)
Ce verset contient une première définition du juste : le juste est celui qui “ marche avec les élohim ”, c’est-à-dire celui qui se laisse guider par la révélation de la divinité, telle qu’il la reçoit : les élohim. « Marcher avec » elle, ou la « suivre », ou encore la « prendre pour guide », c’est avoir foi en la parole reçue de la divinité révélée. C’est de cette manière que l’homme, alors juste, est conduit jusqu’à Dieu, emmené auprès d’Élohim, comme le patriarche Hénokh, sans connaître la mort :
Hénoch marchait avec les élohim ; puis il ne fut plus parce que Élohim le prit avec lui. (Gen 5, 24)

Mais ce n’est pas tout. Le verset décrivant Noé comme juste nous dit encore qu’il vivait intègre au milieu de sa génération. Cela signifie que le juste n’est pas celui qui s’enferme dans une tour d’ivoire pour conserver son intégrité, ni celui qui s’assure en prenant toutes précautions pour préserver sa vie ; le juste est celui qui vit dans un monde corrompu (Gen 6, 5-13) sans perdre son intégrité, ne cédant ni aux compromissions, ni aux tentations, ne craignant pas pour sa vie, ne comptant que sur Dieu pour la préserver. C’est ce que Abram a appris en devenant plus juste