Lire ce qui est écrit

Le Psaume 23 est sans doute l’un des plus beaux témoignages de la vie mystique, qui s’épanouit quand elle s’appuie sur une totale confiance en Dieu. Le roi David y exprime toute la joie, la sécurité, la liberté, le bonheur qu’il éprouve, en se laissant entièrement guider

Les massorètes
sont les rabbins qui transmirent la Bible hébraïque à partir du VIème siècle de notre ère. Afin de préserver la lettre du texte dans les copies successives, ils annotèrent celui-ci. À côté du texte uniquement composé de consonnes, ils ajoutèrent des signes de vocalisation (voyelles à lire) et de prosodie (cantilation, ponctuation), ainsi que des remarques marginales, véritables statistiques destinées à vérifier la bonne transcription des textes (massorah).

Avec les massorètes, est née ce qu’on appelle aujourd’hui la critique textuelle, dont l’objet est de publier, à partir de toutes les sources connues (les manuscrits), une édition critique de la Bible hébraïque. Aujourd’hui, l’édition critique la plus complète, reconnue par la majorité des biblistes, est la Biblia Hebraica Stuttgartensia. C’est à cette édition que nous faisons généralement référence, sans pour autant négliger d’autres sources, notamment en cas de désaccord.
Les Septante
Traduction de la Bible hébraïque en langue grecque, réalisée au IIIème siècle avant J.C. à Alexandrie, par soixante-dix (ou soixante-douze) sages de la diaspora d’Israël, d’où son nom de Septante. Cette traduction de la Bible est indifféremment appelée “ la Septante ” ou “ les Septante ”, et souvent notée LXX.
par Yhwh.

La lecture du texte ne présente aucune difficulté, à l’exception d’un seul mot, dans le dernier verset, le mot hébreu weshaveti, que la quasi-totalité des témoins traduisent par « je demeurerai » ou « j’habite », lecture qui prête pour le moins à discussion. En effet, pour justifier cette lecture, il faut ajouter la lettre yod en seconde position du mot qui devient weyashaveti, ou encore changer la vocalisation weshaveti indiquée par les massorètes en weshiveti, afin de rattacher le mot, dans un cas comme dans l’autre, à la racine yashab (demeurer) au lieu de la racine shoub (retourner).

On trouve ces lectures altérées chez des témoins 

Note
sur la racine shoub
Un certain nombre de témoins signalent cependant le rattachement à la racine shoub, « retourner », en indiquant (dans leurs notes) la forme du futur « je retournerai » ou « je reviendrai ». Or la forme écrite ici n’est pas la forme inaccomplie de l’hébreu, celle que l’on traduit presque toujours par un futur, mais la forme accomplie précédée d’un waw conversif à laquelle correspond en général beaucoup mieux le présent ou le conditionnel d’une subordonnée. Cette facilité consistant à traduire systématiquement par un futur la forme de l’accompli avec waw conversif, a pour résultat, sur le mot qui nous intéresse ici, de rendre la situation encore plus difficile à comprendre. David se trouve dans une situation neuve, survenue à la fin du psaume précédent, et dont il découvre le caractère universel d’une loi divine : tout est merveilleux « quand je reviens » à la maison de Yhwh. Au contraire, le futur « je reviendrai » renvoie à l’on ne sait quoi, ce qui conduit à chercher des explications. Ainsi, un témoin en vient-il à s’interroger : peut-être le psalmiste est-il un prêtre ou un lévite en exil à Babylone ?…  L’éloignement du texte écrit a rendu l’interprétation très aléatoire.
aussi anciens que les textes grecs des Septante (3ème siècle avant notre ère), ou les versions Syriaques, contemporaines des massorètes. Mais ces interprétations ne s’appuient sur aucun manuscrit hébreu connu.

Pourquoi ces témoins, suivis en cela par la quasi-totalité des traducteurs modernes, ont-ils refusé de lire ce que la Tradition, ou au moins une Tradition — les massorètes — a transmis, weshaveti, « je reviens » ? pourquoi ont-ils retenu cette lecture injustifiée : « je demeure » ?

La critique textuelle et l’exégèse traditionnelle ont coutume de retenir pour hypothèse principale — explicite ou inconsciente — que les textes nous rapportent la pensée de leurs auteurs, et qu’ils véhiculent avec eux toutes les déformations d’une transmission multi-séculaire. Il résulte de cette position que le sens logique le plus probable prend toujours le pas sur la littéralité transmise : si le texte n’offre pas un sens immédiat assez clair, alors on rectifie le texte, pour atteindre la leçon compréhensible la plus facile, et retrouver ainsi — croit-on — la pensée originelle des rédacteurs, que les aléas de la transmission avaient corrompue. C’est bien le cas ici. À suivre la lettre, on ne voit pas du tout de quel endroit David « reviendrait » (lecture littérale), puisque rien, mais vraiment rien ne l’évoque dans les versets qui précèdent ; en revanche, à rectifier la lecture en « je demeure », on comprend mieux que David se réjouisse à la perspective des beaux jours qu’il a devant lui, guidé par Yhwh.

Le principe de telles corrections n’est pas acceptable.

Tout d’abord, en raison des traditions orales. Car ces traditions orales sont à l’origine des versions vocalisées que les massorètes ont fixées par l’écriture, sans modifier l’Écriture, conformément à leur mission. La mission première d’Israël, en effet, n’est-elle pas de transmettre ? — et non d’interpréter. N’oublions pas que des générations de scribes se sont vu refuser des rouleaux entiers pour un iota en trop ou en moins, ce qui montre à quel point la transmission de la lettre prime sur le sens — et d’ailleurs, quel sens ? combien de lectures en Israël pour un même verset ?

Certes, des erreurs ont traversé le crible, et il existe des versions différentes sur beaucoup de textes. Mais la majorité des manuscrits concordants permet en général de reconnaître la lettre, et d’écarter la plus grande partie des erreurs. C’est le cas ici. Il faut suivre la lettre transmise, même si elle nous paraît obscure.

Plus radicalement, quand on cherche à comprendre, comme ici, le sens d’une pièce qui fait partie d’un ensemble, on doit l’observer dans son contexte. Il est indispensable de prendre du recul, de s’élever pour apercevoir depuis le ciel les structures enveloppantes, et découvrir ainsi quelle place logique occupe la pièce étudiée dans cet ensemble qui la contient.

C’est ainsi que nous allons trouver en dehors du Psaume 23, ce que nous n’avons pas trouvé dans les cinq premiers versets, pour expliquer le sixième ; c’est ainsi que nous allons comprendre à quel « retour » David fait allusion. Le Psautier n’est pas une collection de textes alignés par le hasard et indépendants les uns des autres. David vient de vivre les psaumes précédents, et de manière plus immédiate : le Psaume 22. C’est dans ce psaume qu’il retrouve, dans une vision mystique survenant après un long processus de purification, l’intimité divine qu’il avait perdue en recherchant son bonheur ailleurs qu’en Yhwh. À la fin du Psaume 22 David est revenu à la maison de Yhwh, comme Jacob était revenu sain et sauf à la maison de son père, après de longues épreuves (Gen 28, 21).

Il est donc capital, dans cette conclusion du Psaume 23, de ne pas s’éloigner du texte écrit en conservant la racine shoub, retourner, car cette racine est celle du mot teshouvah, la conversion, le retournement, c’est-à-dire le retour à Dieu, que David vient de vivre au Psaume 22 et qui est à la base de toute vie spirituelle.

Il sera nécessaire d’approfondir l’exégèse du Psaume 22 pour comprendre comment on aboutit à un tel bonheur au Psaume 23. Le lecteur est invité, s’il nous a suivis jusque là, à cette découverte dans une étude consacrée à ce sujet :

Une exégèse du Psaume 22.




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