Le mot hébreu hatat (féminin : 291 occurrences) ou héte (masculin : 35 occurrences), très rarement hatah, est le terme le plus communément employé dans la Bible pour désigner un écart de conduite de lhomme par rapport à la volonté divine. Il dérive du verbe hébreu hata, dont le sens premier est « rater, manquer le but ». Il est le plus souvent traduit par « péché », mais ce mot, trop marqué par le latin chrétien dont il est issu, est aussi employé pour traduire deux autres termes de sens différent, awon et pesha, qui sont examinés par ailleurs. On préférera donc employer le mot faute, à la fois plus neutre et plus précis, dont le sens, « action de faillir » (du latin fallere : manquer, tomber), correspond mieux à celui de la racine hébraïque : défaillance, échec, faux pas. Cependant, si le sens de la racine constitue une bonne indication, il nest pas suffisant pour connaître tout le sens du mot dérivé ; celui-ci doit être recherché dans le contexte de son emploi.
Le mot faute, hatat, entre dans la Bible avec lavertissement donné par Yhwh à Caïn blessé davoir essuyé le refus de son offrande : « Cest une faute de laisser ta blessure à labandon. » (Gn 4, 7, cf. Caïn et Abel). Cet avertissement devient la loi divine pour Caïn : la Parole. Avant la Parole, il ne peut pas y avoir faute. On entre dans la faute en ne respectant pas la Parole. Cest la persistance consciente à négliger sa blessure, voire à la refuser, qui constitue la faute de Caïn, puisque Dieu lui demande de ne pas la laisser à labandon. Plus tard, en tuant son frère, il entreprendra une action nouvelle, différente. Il ne lui suffit plus alors de négliger ou de refuser sa blessure, il cherche encore à la nier, et surtout à supprimer ce quil croit en être la cause : il tord la réalité quil refuse. Dans ce cas lÉcriture ne parle plus de faute, car ce nouvel écart de conduite est dune autre nature, puisquil ny a pas encore de loi à lui opposer, aucune parole divine. Caïn dira que son « tort est grand » (Gn 4, 13) ; ce mot est examiné plus loin.
La brève histoire de Caïn éclaire encore les contours de la notion de faute. Initialement, le but de Caïn était de plaire à la divinité par son offrande ; ce but a certes été manqué, mais il ny a aucune faute à cela, car la « règle » de plaire à Dieu que Caïn sétait fixée ne venait que de lui, pas de Dieu. À ce point, il na pas enfreint la Parole : « manquer le but », en soi, nest pas une faute, mais relève plutôt de lerrance. Dautre part, la colère et le dépit de Caïn ne sont pas davantage fautifs. Il nest pas défendu dexprimer sa souffrance, au contraire : ce réflexe naturel de plainte est une prière, un appel à Dieu. Dieu a entendu cet appel, et a répondu par une parole. La faute commence avec le refus conscient de suivre cette parole, car cest un refus de ce que Dieu donne, cest refuser de le recevoir comme un bien.
Le mot awon (230 occurrences dans la Bible) est issu de la racine awah, qui signifie « agir de manière tordue, avec perversité ». Le mot français « tort » (du latin torquere, tordre) traduit correctement cette notion, qui soppose à la conduite droite. À condition, cependant, de ne pas réduire le mot tort au sens (affaibli) qui loppose à « raison » dans beaucoup dexpressions courantes. On peut aussi traduire le mot awon par « iniquité » (action qui nest pas équitable, action injuste), ou par « perversité », conformément à la racine verbale de lhébreu.
Le tort est différent de la faute ; il ne contrevient pas à la loi. Mais le tort est plus grave que la faute : il est perversion, car il consiste en un détournement de la loi. Le tort est une tentative de tordre la réalité refusée, afin que la loi nait plus à sappliquer.
Le mot tort entre dans la Bible avec la plainte de Caïn, qui vient de tuer son frère Abel : « Mon tort est trop grand à supporter » (Gn 4, 13). De quel tort parle-t-il ? Après avoir tué son frère, Caïn vient dentendre Dieu lui exposer toutes les souffrances que va entraîner pour lui son refus de la parole initiale « Ne ferais-tu pas bien dassumer ? ». Non, il na pas voulu assumer et souffrir. Il na pas voulu supporter la blessure morale que lui causait sa déception de voir Yhwh ignorer son offrande. Il a donc commis la faute de refuser cette blessure ouverte. Puis il a tenté de la nier, et enfin de la supprimer, en éliminant son frère quil tenait pour cause de sa disgrâce, et donc de sa souffrance. Son calcul était, en supprimant sa souffrance, de ne plus avoir à lassumer, ne plus avoir à en faire un bien, ne plus avoir à suivre cette parole divine si pénible. Cest dans ce calcul que réside sa perversité. En écoutant Yhwh lui en commenter le résultat, il prend conscience de son erreur, de sa faute initiale avoir refusé découter et de suivre la parole , et il mesure la gravité de son tort, infiniment plus lourd à porter que cette obéissance, aux apparences douloureuses, à laquelle il avait cru pouvoir échapper. Caïn souffrira davoir manqué de foi en la parole de Dieu.
Le mot pesha vient du verbe pasha qui signifie « se rebeller, se révolter ». Il est lun des trois mots, avec hatat (faute) et awon (tort), à désigner ce que les traditions religieuses appellent le « péché ». On préfèrera, pour le mot pesha comme pour les deux autres, employer un terme plus approprié, ici la transgression, ou la rébellion. Encore convient-il de préciser que le mot « transgression » (sens étymologique : franchir un limite) signifie moins, ici, le viol des limites fixées par la loi, que la contestation du bien-fondé de ces limites, contestation qui se manifeste par une rébellion. La transgresssion conteste lautorité du législateur.
La transgression pesha est le moins fréquent des trois termes relatifs au péché : 93 occurrences dans la Bible. Si la faute et le tort sont apparus dans la conversation directe entre Dieu et Caïn, la transgression napparaît que plus tard, lorsque la conversation avec Dieu passe par les autres hommes : dabord avec Jacob, qui proteste de son innocence devant son oncle Laban (Gn 31, 36) ; ensuite avec Joseph, à qui ses frères demandent, par la voix de leur père déjà mort, de pardonner leur conduite inqualifiable :
Vous parlerez ainsi à Joseph : « Oh ! daigne assumer la transgression de tes frères et leur faute, car ils tont fait du mal ! » Et maintenant, daigne assumer, pour cette faute des serviteurs du Dieu de ton père !
Joseph pleura, en entendant ces paroles.
(Gn 50, 17)
On se souvient comment Joseph fut vendu par ses frères, jaloux de la préférence marquée par leur père à légard du plus jeune de ses fils. Leur faute, précise le texte, cest davoir fait du mal à leur frère, mais leur transgression est dune autre nature. Elle apparaît ici comme précédant la faute et, par la voix de leur père, les frères de Joseph demandent le pardon pour lune et pour lautre. La transgression des fils de Jacob, cest leur révolte contre lautorité de leur père, contre le choix quil avait fait de Joseph Joseph qui fera les frais de leur révolte.
On observera que la faute visée ici est la faute « des serviteurs du Dieu de ton père », ce qui signifie quelle a été commise envers Dieu, en refusant de respecter la Parole rappelée par Ruben : « Nattentons pas à sa vie ! » (Gn 37, 21). Il ne sagit pas de la faute « de tes frères envers leur frère » car, malgré les apparences, elle nest pas commise envers Joseph. La faute est toujours un refus de la parole divine, toujours faute envers Dieu.
La transgression emprunte une autre voie. Elle est révolte contre les hommes, et plus précisément contre ceux que Dieu a choisis. Dans lexemple ci-dessus, le choix de Dieu est dabord celui de Jacob, héritier de la promesse ; ce choix est ensuite celui de Joseph, car, à travers Jacob, cest Dieu qui choisit Joseph pour lenvoyer auprès de Pharaon. Plus tard, le choix de Dieu sera celui du messie, et la révolte, décrite au Psaume 2, est la révolte de « ses frères » qui conspirent contre Yhwh et contre son messie (Ps 2, 2). Quand la faute est refus de recevoir la parole comme don de Dieu, la transgression est refus des hommes choisis par Dieu pour porter la Parole. Ce refus de son autorité est encore un refus de Dieu.
Le mot péché, issu du latin chrétien peccatum, a le sens général de « faute contre la loi divine », et dans le langage courant, « faute contre des règles admises ». Cependant, le dogme chrétien du péché ayant beaucoup évolué, se trouve aujourdhui assez loin de ses racines dans lÉcriture hébraïque. Cest pourquoi on a renoncé à employer ce mot dans les textes bibliques, et préféré le remplacer par des mots plus proches de lhébreu. On espère ainsi, autant que possible, retrouver la sève originelle de la Parole, et par là, mieux comprendre les enseignements relatifs à cette notion si difficile à cerner.
Les trois mots de la Bible hébraïque qui nous parlent du péché sont : la faute, le tort ou perversité, la transgression ou rébellion. Ils ne sont pas synonymes, et lexamen de ce qui les différencie permet de mettre en lumière la gravité croissante du contenu de chacun de ces trois termes. Ils sont entrés dans la Bible dans cet ordre, montrant ainsi de manière très pédagogique cest lobjet de la Bible : enseigner Dieu à lhomme comment les hommes séloignent de plus en plus de Dieu.
Au départ, il y a la parole divine. Elle est le seul guide de lhomme pour aller vers son bonheur. Le premier degré du péché est la faute. La faute consiste à ne pas suivre la Parole, à faire à son idée. La faute a le caractère dun accident. Le second degré est la perversion. La perversion consiste à détourner la Parole, à tordre les faits pour ne plus être concerné par cette parole, pour ne plus avoir à la suivre. La perversion est une action calculée, non accidentelle. Le troisième degré est la rébellion. La rébellion consiste à détruire, ou chercher à détruire, lautorité des hommes que Dieu a choisis pour rappeler et porter la Parole. La rébellion est une action durable, de grande envergure, organisée et préparée.
Le péché de David est lexemple parfait de cette descente en trois degrés qui entraîne lhomme de plus en plus loin de Dieu (2ème livre de Samuel, chapitre 11).
YHWH descendit dans une nuée, se tint là près de [Moïse], et proclama le nom de YHWH. Et YHWH passa devant lui et dit : YHWH, YHWH le Puissant tendre et miséricordieux, lent à la colère, riche en bonté et en vérité ; et qui garde bonté pour des milliers, assumant perversité, transgression et faute, sans pour autant les innocenter...
(Exode 34, 5-7)