Genèse 2, 18-25 — Homme et Femme, mâle et femelle. — Notes


Gn 1, 26
Faisons Adam
Hébreu : n’asèh adam

C’est la première occurrence du mot hébreu adam. Il est ici sans article, ce qui veut dire que ce mot ne correspond à aucune notion déjà connue telle que « l’homme » ou « l’hominidé ». Situation opposée à ce qui se passe lorsque l’article défini précède un mot nouveau, par exemple « la terre » ou « les cieux » (Gen 1, 1), l’article indiquant alors que le mot correspond à la notion connue du lecteur : la terre ou le ciel tels qu’il se les représente. Ici, au contraire, « le adam » n’est pas une notion connue du lecteur : le sens du mot reste à définir et n’apparaîtra que dans la suite du texte.

À défaut d’article, la grammaire indique que le mot adam peut se lire de deux manières également justifiées : un adam (un hominidé : voir note Gn 1, 27 ci-dessous), ou bien Adam, le nom propre. La lecture (légitime) un adam présente l’inconvénient de laisser sans réponse convaincante nos interrogations sur le pluriel « Faisons » de la parole divine ; et surtout, elle introduit une incohérence entre le plan divin et sa réalisation, puisqu’au verset suivant Dieu crée le adam au lieu de le faire comme annoncé. Au contraire, la lecture Adam apparaît immédiatement comme une annonce de tout le processus d’engendrement de l’homme à partir de l’hominidé : Dieu crée d’abord un hominidé, un adam, pour en faire plus tard un homme, un ysh nommé Adam, avec l’adhésion de celui-ci. Créature nouvelle qui porte un nom propre, l’homme Adam, conforme au projet initial, sera « fait » par cette alliance entre Dieu qui l’appelle à la vie, et lui-même qui répond Fiat ! à son créateur.
Cette lecture du pluriel « Faisons » est confirmée par le double nom Yhwh Élohim du second récit de la création (voir ci-dessous note Gen 2, 18), le « nous » traduisant l’unité des deux noms, entre le Dieu Élohim qui crée un adam et le Dieu Yhwh qui intervient dans son histoire pour faire son humanité. En traduisant l’unité de Yhwh Élohim, la décision « Faisons » signifie que c’est Dieu qui crée l’homme : pour Dieu, faire est une autre façon de créer. C’est cette synthèse qui a été retenue par l’histoire, en Gen 5, 1 ; elle récapitule l’analyse du Prologue : Elohim crée un adam, puis Yhwh fait Adam.


Gn 1, 27 et Gn 2, 18
L’hominidé
Hébreu : ha-adam

Pour sa seconde occurrence, en Gn 1, 27, le mot adam est un nom commun avec son article défini, comme on le retrouve en Gn 2, 18. Le « adam » n’est pas encore l’homme Adam du projet divin (Gn 1, 26) qu’il deviendra à la fin du chapitre 4 : il commence sa vie au stade préhominien, créé mâle et femelle, dans la condition animale ou préhominienne. Pour faire Adam, un futur homme, Dieu commence par créer un adam ; on peut traduire par hominidé, à la rigueur par être humain, mais pas « homme ».
Le mot adam peut être consulté au Glossaire.


Gn 2, 18
Yhwh-Élohim

Les deux noms divins accolés ont pour objet de nous faire comprendre que ces deux noms désignent le même Dieu. La Genèse commence par le premier récit de la création où le nom Élohim apparaît seul, et exclusivement, 35 fois de suite (Gn 1, 1 à 2, 3) ; puis, dans le second récit (Gn 2, 4 à 2, 25), on trouve exclusivement les deux noms accolés, 11 fois de suite. Ces deux noms accolés apparaîtront encore 9 fois dans le récit de la chute (Gn 3, 1 à 3, 24), où l’on trouve à nouveau, en alternance, 4 fois le nom Élohim seul ; mais c’est seulement à partir du chapitre 4 que l’on verra apparaître le nom Yhwh seul. Le lecteur a pu ainsi comprendre que le Dieu Élohim, créateur des hommes avant qu’ils puissent en avoir conscience, est le même que le Dieu Yhwh qui se révèle à leur conscience en intervenant dans leur histoire.
On trouvera quelques réflexions sur ce sujet dans l’étude “ Les noms divins ”.


Gn 2, 18
un aide
Hébreu : ’ézèr

En français, le mot aide peut s’employer au masculin ou au féminin, mais il n’a pas le même sens. Le masculin, un aide, un assistant, désigne toujours une personne. Lorsqu’il s’agit d’une femme, le mot devient féminin : une aide, une assistante. Mais ce féminin est ambigu, car le plus souvent le féminin désigne l’action d’aider : une assistance. Il faut donc se reporter au contexte pour savoir si cette aide est une assistante ou une assistance.

En hébreu la racine ’azar, « assister, aider », a donné un nom masculin, ’ézèr, et un nom féminin ’èzerah. Les deux mots, comme pour le français, ont des sens différents :
En définitive, les deux versets Gn 2, 18 et 2, 20, où Yhwh Élohim veut faire « un aide » comme partenaire à l’hominidé, seraient les seuls versets de toute la Bible dans lesquels le masculin « un aide » désignerait la femme ishah en tant qu’« assistante », et non pas Dieu ou son envoyé comme dans toutes les autres occurrences du masculin. On peut s’interroger sur une telle lecture. Déjà licence grammaticale discutable, la traduction de un aide par le féminin français « une aide » ajoute à la confusion en suggérant qu’il s’agit d’« une assistance », puisque c’est le sens le plus fréquent de l’emploi du féminin. Cette inclination péjorative est très dommageable. Au contraire, c’est vers le haut qu’il faut tirer la représentation : Dieu fait un aide pour l’homme, en lui envoyant la ishah dans laquelle il s’investit. Dieu se fait aide en la femme. On découvre ici le premier exemple d’élévation de l’homme par la divinité agissant incognito sur son entourage ; on en retrouvera une nouvelle illustration pour David, lorsque Yhwh dira, à propos du roi :
Je me suis abaissé en un aide de guerrier,
J’ai causé l’ascension d’un jeune homme choisi dans le peuple.

(Ps 89, 20)



Gn 2, 18
pour être son partenaire
Hébreu : ke-nègdo

Littéralement : « en tant que son vis-à-vis », son associé, son partenaire. La forme retenue ici peut aussi bien se comprendre « pour que cet aide soit son partenaire », ou « pour que je sois son partenaire ». L’ambiguïté suggère alors une intention divine parfaitement conforme à tous les autres emplois du masculin « un aide » relevés dans la Bible : venir en aide à l’homme, sans se montrer, pour l’élever en humanité, jusqu’à Dieu. Cette ambiguïté est conforme à la syntaxe de l’hébreu, qui elle aussi suggère les deux lectures mais n’impose rien. Ainsi, cette Parole est à l’image de la pédagogie divine : tout en demeurant invisible, appeler sans imposer, montrer la voie, qui ne peut être choisie qu’en toute liberté.


Gn 2, 21
une torpeur
Hébreu : tardemah

Ce mot est présent sept fois dans la Bible. Il est le seul dérivé du verbe nirdam, présent lui aussi sept fois, uniquement à la forme passive, et signifiant « être plongé dans un endormissement profond ». Les quatorze occurrences de ce radical révèlent un des moyens de l’action divine sur l’homme, consistant à lui enlever localement toute possibilité de s’opposer à une grâce divine à laquelle il ne s’attend pas. Autres exemples typiques : Dieu fait alliance avec Abraham (Gn 15, 12), David fait grâce à Saül (2 Sam 26, 12), Dieu donne une victoire à Israël (Jug 4, 21 et Ps 76, 7)


Gn 2, 21
côté, chair
Hébreu : çel’a, basar

Il est rappelé que la chair, au sens hébraïque, ne se limite pas au contenu physique du corps humain (sous la peau), mais comprend tout ce qui se rapporte au caractère, au tempérament, à toute la psychologie. C’est très probablement dans ce sens qu’il convient de comprendre ce que peut être « le côté » de l’hominidé. Car le mot çel’a, « côté », désigne presque toujours, de manière abstraite, ce qui est à côté, ou encore les annexes latérales, distinctes du corps principal ; ce n’est jamais une côte.


Gn 2, 22
Hébreu : ishah
« une femme »

Première apparition du mot « ishah » dans la Bible. Il semble préférable de ne pas traduire trop vite ce mot hébreu par son équivalent traditionnel : femme. En effet, ce verset n’en donne aucune définition. Le problème est de même nature que pour le mot adam, apparu sans définition en Gn 1, 26, et qui ne commence à prendre son sens qu’au verset suivant, quand l’Écriture précise que cet individu d’une espèce singulière est un animal, créé au pluriel mâle et femelle. Il vaut donc mieux patienter jusqu’à d’autres apparitions du mot ishah dans les textes, plutôt que d’anticiper par une idée a priori.
Dans le commentaire, il est proposé une analyse du contenu sémantique de ce mot qui ne se limite pas à la codification simpliste « ishah égale femme ».


Gn 2, 23
À celle-ci, il sera crié « ishah »

Rien n’oblige à voir dans cette deuxième partie du verset la suite de l’exclamation de l’hominidé. Au contraire, alors que le vocabulaire du premier demi-verset est très physique et exprime un ressenti spontané, la seconde partie n’a plus du tout le même caractère. Elle se présente plutôt comme une réflexion de sagesse, en recul par rapport au sujet qui vient de s’exprimer, réflexion qui va se développer au verset suivant, introduite par un premier mot de liaison : c’est ainsi que…
Après avoir cité l’hominidé, le narrateur de l’Écriture commente son exclamation en reprenant son mot « celle-ci ».


Gn 2, 23
un homme
Hébreu : ysh

Première apparition du mot « ysh » dans la Bible, précédant de peu la seconde au début du verset suivant. L’une et l’autre sont sans article, comme le seront les suivantes (Gn 3, 6 etc.), ce qui signifie qu’il ne s’agit pas du concept « l’Homme » (avec article défini), tel que chacun peut l’avoir présent à l’esprit, mais d’« un homme », entité nouvelle dont nous devons attendre patiemment de voir se dessiner les contours à travers les contextes de ses emplois successifs.
Nous conviendrons cependant de remplacer dès maintenant le mot hébreu ysh par son équivalent « homme », mais en gardant un état d’esprit proche de celui du philosophe grec Diogène de Sinope : “ je cherche un homme ”. Ceci afin de marquer notre ignorance des intentions divines à leur terme, et de marquer aussi que nous désignons du nom d’homme, par anticipation, un être vivant encore inachevé. Le lecteur assidu de la Bible pourra se convaincre du bien-fondé de cette précaution en observant que les apparitions suivantes de l’expression « l’homme » dans la Bible, ne désignent jamais le concept de « l’Homme », mais tel ou tel personnage, cet homme, celui dont il est question. L’Écriture indique cependant la direction de l’Homme en mettant certains comportements en lumière, comme celui de Noé, homme juste (sans article, Gn 6, 9), celui de Lot repoussant les assauts des Sodomites (cet homme, Gn 19, 9), celui d’Abraham, cet homme désigné par Dieu à l’attention de Abimélekh (Gn 20, 7). Mais le flou volontaire laissé autour des premières occurrences du mot oblige justement le lecteur à se poser incessamment la question de l’Homme, aussi fortement que la question de Dieu.


Gn 2, 24
quand il a adhéré à son « ishah », et qu’ils sont devenus une chair unique

La concordance des formes verbales de l’hébreu impose cette lecture : la première partie du verset est consécutive à la seconde, et non l’inverse. Un homme ne quitte pas son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, mais parce que, il s’est attaché à son ishah.


Gn 2, 25
et n’étaient pas confondus
Hébreu : welo yiteboshashou

Littéralement : et ils ne se faisaient pas de honte. Le verbe boush, « avoir honte », peut être rapproché du verbe labash, « vêtir » ou « revêtir », que l’on trouve en Gen 3, 21 (citation finale du texte biblique) ; ce rapprochement fait apparaître le vêtement comme un objet « pour la honte ».


Gn 3, 20
Car c’est « lui » la mère

Troisième occurrence (après Gn 2, 12 et 3, 12) de ce que la Tradition d’Israël appelle le « qéré permanent du Pentateuque ». Le mot écrit (Khétiv) est bien hou (lui) avec la lettre waw ; il doit être lu (lecture : qéré) hy (elle), comme si la lettre waw avait été remplacée par la lettre yod. Respectant ce qui est écrit, nous mettons le masculin entre guillemets, afin de respecter aussi cette tradition qui n’a rien à voir avec une erreur typographique. On trouvera au commentaire quelques considérations sur la lecture possible de cette étrange grammaire.


Gn 3, 21
Adam
Hébreu : adam

Alors que l’on attend ici l’article défini, pour lire l’hominidé comme au verset précédent, il n’y a pas d’article. On peut donc lire un hominidé, ce qui n’a guère de sens ici, ou Adam, ce qui anticipe le verset 4, 25 et, à sa suite, tout le chapitre 5 dans lequel on ne trouve plus que le nom propre. Cette anticipation reproduit celle de Gn 3, 17, verset dans lequel Dieu annonce à Adam les conséquences de sa désobéissance, qui concernent bien l’homme, en effet, et non l’hominidé. On peut alors en conclure que les « tuniques de peau », de la même manière, sont faites pour l’homme, pour le protéger contre les effets excessifs de sa désobéissance.
À l’appui de cette interprétation, rappelons la belle Tradition d’Israël : l’homme avant la faute (c’est-à-dire l’hominidé) rayonnait de la lumière divine, et la peau est venue remplacer la lumière. Or, en hébreu, le mot peau est obtenu en remplaçant, dans le mot lumière, la première lettre aleph (gutturale silencieuse) par la lettre ’ayn (gutturale sonore). La même transformation littérale fait passer du verbe or, racine du mot lumière (briller, illuminer), au verbe ’or, racine du mot peau, dont le sens est « dénuder, être mis à nu ».


mâle et femelle
l’hébreu biblique est un langage symbolique

La valeur symbolique des mots de l’hébreu biblique vient de la valeur symbolique des lettres qui les composent. On peut ainsi s’approcher du sens originel des racines ZKR, se souvenir, et NQB, inscrire, d’où sont issus les mots mâle et femelle. Les symboles mis en évidence soulignent la relation entre les fonctions mâle et femelle, qui se complètent et s’opposent pour promouvoir la vie, comme les valeurs diurnes et nocturnes pour composer le jour ; ainsi, l’attitude femelle requiert autant de passivité fixe que l’attitude mâle exige de mouvement actif. Calqués d’abord sur la reproduction naturelle du vivant, puis sur la vie quotidienne des sociétés primitives, ces symboles ont été construits pour rendre compte des mêmes complémentarités dans les domaines psychologique et spirituel.