Cest la première occurrence du mot hébreu adam. Il est ici sans article, ce qui veut dire que ce mot ne correspond à aucune notion déjà connue telle que « lhomme » ou « lhominidé ». Situation opposée à ce qui se passe lorsque larticle défini précède un mot nouveau, par exemple « la terre » ou « les cieux » (Gen 1, 1), larticle indiquant alors que le mot correspond à la notion connue du lecteur : la terre ou le ciel tels quil se les représente. Ici, au contraire, « le adam » nest pas une notion connue du lecteur : le sens du mot reste à définir et napparaîtra que dans la suite du texte.
À défaut darticle, la grammaire indique que le mot adam peut se lire de deux manières également justifiées : un adam (un hominidé : voir note Gn 1, 27 ci-dessous), ou bien Adam, le nom propre. La lecture (légitime) un adam présente linconvénient de laisser sans réponse convaincante nos interrogations sur le pluriel « Faisons » de la parole divine ; et surtout, elle introduit une incohérence entre le plan divin et sa réalisation, puisquau verset suivant Dieu crée le adam au lieu de le faire comme annoncé. Au contraire, la lecture Adam apparaît immédiatement comme une annonce de tout le processus dengendrement de lhomme à partir de lhominidé : Dieu crée dabord un hominidé, un adam, pour en faire plus tard un homme, un ysh nommé Adam, avec ladhésion de celui-ci. Créature nouvelle qui porte un nom propre, lhomme Adam, conforme au projet initial, sera « fait » par cette alliance entre Dieu qui lappelle à la vie, et lui-même qui répond Fiat ! à son créateur.
Cette lecture du pluriel « Faisons » est confirmée par le double nom Yhwh Élohim du second récit de la création (voir ci-dessous note Gen 2, 18), le « nous » traduisant lunité des deux noms, entre le Dieu Élohim qui crée un adam et le Dieu Yhwh qui intervient dans son histoire pour faire son humanité. En traduisant lunité de Yhwh Élohim, la décision « Faisons » signifie que cest Dieu qui crée lhomme : pour Dieu, faire est une autre façon de créer. Cest cette synthèse qui a été retenue par lhistoire, en Gen 5, 1 ; elle récapitule lanalyse du Prologue : Elohim crée un adam, puis Yhwh fait Adam.
Pour sa seconde occurrence, en Gn 1, 27, le mot adam est un nom commun avec son article défini, comme on le retrouve en Gn 2, 18. Le « adam » nest pas encore lhomme Adam du projet divin (Gn 1, 26) quil deviendra à la fin du chapitre 4 : il commence sa vie au stade préhominien, créé mâle et femelle, dans la condition animale ou préhominienne. Pour faire Adam, un futur homme, Dieu commence par créer un adam ; on peut traduire par hominidé, à la rigueur par être humain, mais pas « homme ».
Le mot adam peut être consulté au Glossaire.
Les deux noms divins accolés ont pour objet de nous faire comprendre que ces deux noms désignent le même Dieu. La Genèse commence par le premier récit de la création où le nom Élohim apparaît seul, et exclusivement, 35 fois de suite (Gn 1, 1 à 2, 3) ; puis, dans le second récit (Gn 2, 4 à 2, 25), on trouve exclusivement les deux noms accolés, 11 fois de suite. Ces deux noms accolés apparaîtront encore 9 fois dans le récit de la chute (Gn 3, 1 à 3, 24), où lon trouve à nouveau, en alternance, 4 fois le nom Élohim seul ; mais cest seulement à partir du chapitre 4 que lon verra apparaître le nom Yhwh seul. Le lecteur a pu ainsi comprendre que le Dieu Élohim, créateur des hommes avant quils puissent en avoir conscience, est le même que le Dieu Yhwh qui se révèle à leur conscience en intervenant dans leur histoire.
On trouvera quelques réflexions sur ce sujet dans létude Les noms divins .
En français, le mot aide peut semployer au masculin ou au féminin, mais il na pas le même sens. Le masculin, un aide, un assistant, désigne toujours une personne. Lorsquil sagit dune femme, le mot devient féminin : une aide, une assistante. Mais ce féminin est ambigu, car le plus souvent le féminin désigne laction daider : une assistance. Il faut donc se reporter au contexte pour savoir si cette aide est une assistante ou une assistance.
En hébreu la racine azar, « assister, aider », a donné un nom masculin, ézèr, et un nom féminin èzerah. Les deux mots, comme pour le français, ont des sens différents :
Le féminin (26 occurrences, dont 21 sous la forme èzerah, 2 fois èzerat et 3 fois èzeratah) désigne toujours une action dassistance, jamais une assistante. En dehors du Psautier (11 emplois), cette assistance est en général anonyme et provient des hommes, jamais de Dieu. À lintérieur du Psautier (14 emplois), cette assistance vient toujours explicitement de Dieu. Elle sexprime sous deux formes :
Dieu apporte une aide (assistance) à lhomme qui linvoque ;
Lhomme confesse quen Dieu est son aide (son assistance), comme il confesse quen Dieu est sa force, son refuge ou son rocher.
Le masculinézèr (21 occurrences) désigne toujours celui qui aide : lassistant. Cet assistant est toujours Dieu (Élohim, Yhwh) ou (rarement) lenvoyé de Dieu, aussi bien dans les Psaumes (11 occurrences) quà lextérieur du Psautier (9 occurrences). On peut peut-être hésiter sur cette attribution pour trois passages :
Isaïe 30, 5 - un peuple qui ne leur est pas utile nest pas un aide. Lexclusion suggère cependant assez clairement que Dieu seul est un aide.
Daniel 11, 34 - Dans leur exclusion ils seront peu aidés par un aide. Même suggestion : Dieu seul est un aide.
Ézékiel 12, 14 - Et « un » aide de tous ceux qui lentourent. (qéré) Il ne sagit pas ici dun véritable masculin. Le mot écrit (kétiv) est en fait èzerah, « une assistance », mais il a été classé au masculin par les grammairiens en raison de la correction de lecture (qéré) qui a transformé la désinence du féminin (hé) en pronom fléchi masculin (waw). Le sens est pourtant clairement celui dune assistance, et non dun assistant ; pourquoi ce féminin écrit est-il lu comme un masculin ?
Le participe actif (21 occurrences). Pour être complet, il faut mentionner le participe actif, ozér, « aidant », employé le plus souvent comme substantif dans le sens dun « assistant », concurremment au masculin ézèr. De ces 21 occurrences, 7 sont au Psautier, où 4 seulement désignent laction divine ; les 17 autres emplois visent des auxiliaires humains, des alliés, des appuis anonymes.
En définitive, les deux versets Gn 2, 18 et 2, 20, où Yhwh Élohim veut faire « un aide » comme partenaire à lhominidé, seraient les seuls versets de toute la Bible dans lesquels le masculin « un aide » désignerait la femme ishah en tant qu« assistante », et non pas Dieu ou son envoyé comme dans toutes les autres occurrences du masculin. On peut sinterroger sur une telle lecture. Déjà licence grammaticale discutable, la traduction de un aide par le féminin français « une aide » ajoute à la confusion en suggérant quil sagit d« une assistance », puisque cest le sens le plus fréquent de lemploi du féminin. Cette inclination péjorative est très dommageable. Au contraire, cest vers le haut quil faut tirer la représentation : Dieu fait un aide pour lhomme, en lui envoyant la ishah dans laquelle il sinvestit. Dieu se fait aide en la femme. On découvre ici le premier exemple délévation de lhomme par la divinité agissant incognito sur son entourage ; on en retrouvera une nouvelle illustration pour David, lorsque Yhwh dira, à propos du roi :
Je me suis abaissé en un aide de guerrier, Jai causé lascension dun jeune homme choisi dans le peuple. (Ps 89, 20)
Gn 2, 18 pour être son partenaire Hébreu : ke-nègdo
Littéralement : « en tant que son vis-à-vis », son associé, son partenaire. La forme retenue ici peut aussi bien se comprendre « pour que cet aide soit son partenaire », ou « pour que je sois son partenaire ». Lambiguïté suggère alors une intention divine parfaitement conforme à tous les autres emplois du masculin « un aide » relevés dans la Bible : venir en aide à lhomme, sans se montrer, pour lélever en humanité, jusquà Dieu. Cette ambiguïté est conforme à la syntaxe de lhébreu, qui elle aussi suggère les deux lectures mais nimpose rien. Ainsi, cette Parole est à limage de la pédagogie divine : tout en demeurant invisible, appeler sans imposer, montrer la voie, qui ne peut être choisie quen toute liberté.
Ce mot est présent sept fois dans la Bible. Il est le seul dérivé du verbe nirdam, présent lui aussi sept fois, uniquement à la forme passive, et signifiant « être plongé dans un endormissement profond ». Les quatorze occurrences de ce radical révèlent un des moyens de laction divine sur lhomme, consistant à lui enlever localement toute possibilité de sopposer à une grâce divine à laquelle il ne sattend pas. Autres exemples typiques : Dieu fait alliance avec Abraham (Gn 15, 12), David fait grâce à Saül (2 Sam 26, 12), Dieu donne une victoire à Israël (Jug 4, 21 et Ps 76, 7)
Il est rappelé que la chair, au sens hébraïque, ne se limite pas au contenu physique du corps humain (sous la peau), mais comprend tout ce qui se rapporte au caractère, au tempérament, à toute la psychologie. Cest très probablement dans ce sens quil convient de comprendre ce que peut être « le côté » de lhominidé. Car le mot çela, « côté », désigne presque toujours, de manière abstraite, ce qui est à côté, ou encore les annexes latérales, distinctes du corps principal ; ce nest jamais une côte.
Première apparition du mot « ishah » dans la Bible. Il semble préférable de ne pas traduire trop vite ce mot hébreu par son équivalent traditionnel : femme. En effet, ce verset nen donne aucune définition. Le problème est de même nature que pour le mot adam, apparu sans définition en Gn 1, 26, et qui ne commence à prendre son sens quau verset suivant, quand lÉcriture précise que cet individu dune espèce singulière est un animal, créé au pluriel mâle et femelle. Il vaut donc mieux patienter jusquà dautres apparitions du mot ishah dans les textes, plutôt que danticiper par une idée a priori.
Dans le commentaire, il est proposé une analyse du contenu sémantique de ce mot qui ne se limite pas à la codification simpliste « ishah égale femme ».
Rien noblige à voir dans cette deuxième partie du verset la suite de lexclamation de lhominidé. Au contraire, alors que le vocabulaire du premier demi-verset est très physique et exprime un ressenti spontané, la seconde partie na plus du tout le même caractère. Elle se présente plutôt comme une réflexion de sagesse, en recul par rapport au sujet qui vient de sexprimer, réflexion qui va se développer au verset suivant, introduite par un premier mot de liaison : cest ainsi que Après avoir cité lhominidé, le narrateur de lÉcriture commente son exclamation en reprenant son mot « celle-ci ».
Première apparition du mot « ysh » dans la Bible, précédant de peu la seconde au début du verset suivant. Lune et lautre sont sans article, comme le seront les suivantes (Gn 3, 6 etc.), ce qui signifie quil ne sagit pas du concept « lHomme » (avec article défini), tel que chacun peut lavoir présent à lesprit, mais d« un homme », entité nouvelle dont nous devons attendre patiemment de voir se dessiner les contours à travers les contextes de ses emplois successifs.
Nous conviendrons cependant de remplacer dès maintenant le mot hébreu ysh par son équivalent « homme », mais en gardant un état desprit proche de celui du philosophe grec Diogène de Sinope : je cherche un homme . Ceci afin de marquer notre ignorance des intentions divines à leur terme, et de marquer aussi que nous désignons du nom dhomme, par anticipation, un être vivant encore inachevé. Le lecteur assidu de la Bible pourra se convaincre du bien-fondé de cette précaution en observant que les apparitions suivantes de lexpression « lhomme » dans la Bible, ne désignent jamais le concept de « lHomme », mais tel ou tel personnage, cet homme, celui dont il est question. LÉcriture indique cependant la direction de lHomme en mettant certains comportements en lumière, comme celui de Noé, homme juste (sans article, Gn 6, 9), celui de Lot repoussant les assauts des Sodomites (cet homme, Gn 19, 9), celui dAbraham, cet homme désigné par Dieu à lattention de Abimélekh (Gn 20, 7). Mais le flou volontaire laissé autour des premières occurrences du mot oblige justement le lecteur à se poser incessamment la question de lHomme, aussi fortement que la question de Dieu.
Gn 2, 24 quand il a adhéré à son « ishah », et quils sont devenus une chair unique
La concordance des formes verbales de lhébreu impose cette lecture : la première partie du verset est consécutive à la seconde, et non linverse. Un homme ne quitte pas son père et sa mère pour sattacher à sa femme, mais parce que, il sest attaché à son ishah.
Gn 2, 25 et nétaient pas confondus Hébreu : welo yiteboshashou
Littéralement : et ils ne se faisaient pas de honte. Le verbe boush, « avoir honte », peut être rapproché du verbe labash, « vêtir » ou « revêtir », que lon trouve en Gen 3, 21 (citation finale du texte biblique) ; ce rapprochement fait apparaître le vêtement comme un objet « pour la honte ».
Troisième occurrence (après Gn 2, 12 et 3, 12) de ce que la Tradition dIsraël appelle le « qéré permanent du Pentateuque ». Le mot écrit (Khétiv) est bien hou (lui) avec la lettre waw ; il doit être lu (lecture : qéré) hy (elle), comme si la lettre waw avait été remplacée par la lettre yod. Respectant ce qui est écrit, nous mettons le masculin entre guillemets, afin de respecter aussi cette tradition qui na rien à voir avec une erreur typographique. On trouvera au commentaire quelques considérations sur la lecture possible de cette étrange grammaire.
Alors que lon attend ici larticle défini, pour lire lhominidé comme au verset précédent, il ny a pas darticle. On peut donc lire un hominidé, ce qui na guère de sens ici, ou Adam, ce qui anticipe le verset 4, 25 et, à sa suite, tout le chapitre 5 dans lequel on ne trouve plus que le nom propre. Cette anticipation reproduit celle de Gn 3, 17, verset dans lequel Dieu annonce à Adam les conséquences de sa désobéissance, qui concernent bien lhomme, en effet, et non lhominidé. On peut alors en conclure que les « tuniques de peau », de la même manière, sont faites pour lhomme, pour le protéger contre les effets excessifs de sa désobéissance.
À lappui de cette interprétation, rappelons la belle Tradition dIsraël : lhomme avant la faute (cest-à-dire lhominidé) rayonnait de la lumière divine, et la peau est venue remplacer la lumière. Or, en hébreu, le mot peau est obtenu en remplaçant, dans le mot lumière, la première lettre aleph (gutturale silencieuse) par la lettre ayn (gutturale sonore). La même transformation littérale fait passer du verbe or, racine du mot lumière (briller, illuminer), au verbe or, racine du mot peau, dont le sens est « dénuder, être mis à nu ».
La valeur symbolique des mots de lhébreu biblique vient de la valeur symbolique des lettres qui les composent. On peut ainsi sapprocher du sens originel des racines ZKR, se souvenir, et NQB, inscrire, doù sont issus les mots mâle et femelle.
ZKR sécrit Zayin, Kaph, Resh. La lettre Zayin exprime un mouvement dont le sens est explicité par le verbe ZiZ ou ZouZ : bouger, remuer énergiquement.
Le nom de la lettre Kaph désigne le creux de la main, cest-à-dire le creux naturel qui permet de recueillir leau de la source pour boire. Pour cela, il faut se courber, comme le dit bien le verbe Kaphaph de la même famille, se courber dans un mouvement qui sincline vers la source.
La lettre Resh, initiale du mot Rosh, tête, symbolise le principe, le commencement de toute chose. Cest un substantif auquel ne correspond aucune action ; il désigne lobjet premier : ici, lobjet que lon cherche à saisir dans laction décrite par les deux lettres qui précèdent.
Doù la lecture quon peut faire de laction ZKR : Faire mouvement, pour aller recueillir, le principe (de vie). Ce qui nécessite de quitter la position où lon sétait installé.
Cette lecture du radical ZKR décrit la fonction mâle aussi bien pour ce qui relève de linstinct (quête de nourriture, transmission de la vie), que de la vie sociale (recherche des biens au dehors, transmission dhéritage au fils aîné) ou de la vie de lesprit : par geste concret (pèlerinages, quête du Graal, « faire mémoire »), ou sublimé (recherche spéculative du philosophe).
NQB sécrit Noun, Qoph, Beit.
La lettre Noun porte le nom du verbe germer, bourgeonner. Cest aussi le nom du poisson, ce qui indique que les Hébreux savaient que toute vie commence et ne peut germer quen milieu aqueux immobile.
Le nom de la lettre Qoph est le mot singe. On peut rapprocher ce nom du verbe Qouph (inemployé) ou de la forme passive (niphal) naqaph qui a le sens de tourner, comme tournent fêtes et saisons dune année sur lautre (Is 29, 1). En évoquant ainsi le comportement du singe, qui reproduit à lidentique ce quil a vu faire, la lettre Qoph symbolise les processus répétitifs.
La lettre Beit représente la maison (même mot). On peut la rapprocher du verbe Banah, construire, édifier, qui a donné Ben, le fils, pierre vivante de la maison.
Le radical NQB issu de ces trois lettres peut donner lieu à une lecture comme celle-ci : (immobilité de) la germination, qui en reproduisant un savoir-faire, développe et construit la maison. Savoir-faire inné (génétique) de la reproduction animale, mais aussi savoir-faire acquis des traditions.
Le verbe Naqab tiré de ce radical, qui signifie inscrire, ou marquer en creux (écrire, sculpter), apporte une nuance complémentaire à cette symbolique femelle : développer de manière concrète, lente mais durable, le germe issu dune étincelle créatrice.
Les symboles mis en évidence soulignent la relation entre les fonctions mâle et femelle, qui se complètent et sopposent pour promouvoir la vie, comme les valeurs diurnes et nocturnes pour composer le jour ; ainsi, lattitude femelle requiert autant de passivité fixe que lattitude mâle exige de mouvement actif. Calqués dabord sur la reproduction naturelle du vivant, puis sur la vie quotidienne des sociétés primitives, ces symboles ont été construits pour rendre compte des mêmes complémentarités dans les domaines psychologique et spirituel.