Genèse, chapitre 22 — Le sacrifice d’Abraham. — Notes


Gn 22, versets 1, 2, 8 etc.
la divinité, Dieu, Élohim, YHWH, Yah

Dans ce texte, Dieu est désigné tour à tour par son nom universel “ Dieu ” (Élohim), par le terme général “ la divinité ” ou “ les dieux ” (ha-élohim), par le Nom révélé à Moïse, (le tétragramme YHWH), voire par une forme abrégée du tétragramme (Yah) incluse à l’intérieur d’un mot.

Ces termes ne sont pas tous équivalents, et se réfèrent à des aspects distincts de la même révélation. Pour en approfondir le sens et l’emploi, on pourra consulter le Glossaire aux articles “ Dieu, les dieux ” (Élohim, ha-élohim), “ Nom divin, le tétragramme ” (YHWH) ou sa forme abrégée (Yah).


Gn 22, 2
la terre que Yah a en vue
Hébreu : éreç ha-moriyah

Toutes les traditions considèrent le mot moriyah comme un nom propre, nom de lieu aujourd’hui inconnu, nommé une seule fois en 2 Chr 3, 1 pour désigner la colline de Jérusalem où Salomon construisit le Temple. Tout invite pourtant à lire ce mot tel qu’il est écrit, en l’analysant entièrement.

En premier lieu, le mot est précédé de l’article ha. Or l’expression « pays de Moriyah » ne s’écrirait pas éreç ha-moriyah, mais éreç moriyah, sans article, comme éreç cana'an, le « pays de Canaan ». On ne met l’article que lorsqu’il s’agit des habitants, éreç ha-cana'any, le « pays des Cananéens », l’ambiguïté pouvant subsister lorsque le même mot désigne à la fois la terre et le peuple qui l’habite, tel Gala'ad, dont le pays est désigné tantôt avec article (le peuple), tantôt sans article (la terre). Mais ici on ne connaît aucun peuple Moriyah. La lettre qui précède le mot n’a pas le sens de l’article défini, mais, comme il est fréquent en hébreu, elle a valeur de pronom relatif (ici, le pronom adverbial ).

Le texte lui-même nous invite à ne donner aucun nom a priori à ce pays vers lequel Dieu envoie Abraham. Va pour toi ! a dit Dieu. Abraham est envoyé comme au début de son histoire, avec les mêmes mots (Gen 12 ,1), vers une terre dont il ignore tout (vers le pays que je te ferai voir). Il est donc essentiel de ne pas nommer prématurément ce lieu, car c’est lui, Abraham, qui nommera la colline, après son épreuve (verset 14). Le nom donné, YHWH yireèh (Yhwh voit), confirme le sens de moriyah : on « est vu par Yhwh », moreèh-yah, pour que Yhwh scrute le fond du cœur, pour que Yhwh voie.

Ce participe Hophal, forme indirecte passive du verbe voir (être examiné), est probablement employé dans le même sens en 2 Chr 3, 1, où Salomon commence à construire la maison de YHWH, à Jérusalem, sur la montagne où [l’homme] est vu par Yah (examiné) offrant en sacrifice son bien le plus précieux (dans le Temple, lieu du sacrifice), comme Abraham, autrefois, sur cette montagne, s’est montré devant Yhwh (a été vu par Yhwh) capable du sacrifice de son fils bien-aimé héritier de la promesse. Cette montagne n’est pas un lieu géographique, c’est un lieu spirituel, c’est le lieu où l’homme offre en sacrifice son bien le plus précieux en réponse à l’appel divin.


Gn 22, 2
élévation
Hébreu : 'olah

De la racine 'alah, monter, ce mot désigne parfois une marche, un degré dans une montée, la montée elle-même. Mais le plus souvent, il s’agit du sacrifice offert à la divinité.

Toutes les traditions voient dans le mot 'olah un holocauste, i.e. un sacrifice entièrement consommé par le feu. C’est en effet le sens du mot grec olokautôma, que les Septante emploient pour traduire l’hébreu 'olah dans la plupart des 289 occurrences de ce mot dans la Bible. Mais on ne peut pas ignorer l’exception remarquable des 7 occurrences de la Genèse, une pour Noé (8, 20), six pour Abraham aux versets 2, 3, 6, 7, 8 et 13 du texte étudié, que les Septante ont traduit toutes les sept par olokarpôseôs, ce qui veut dire : tout ce dont on retire du fruit. Cette traduction par un mot rare se rencontre encore au Pentateuque en Lv 9, 3, 16, 24 et Nb 15, 3, où elle fait apparaître la nuance entre 'olah et holocauste.

En hébreu, l’offrande consommée par le feu est désignée par eshshah ou ishsheh, mot venu de la racine esh (feu). Le mot 'olah ne fait pas référence au feu. Sa racine suggère que l’on fait monter l’offrande vers la divinité mais ne dit pas par quel moyen ; le feu est un moyen possible mais non nécessaire. Le mot grec employé par les Septante traduit surtout la nécessité d’offrir en totalité, et donc de renoncer à tout usufruit sur son offrande. On renonce en particulier à la consommer soi-même, et elle est le plus souvent consommée par d’autres que celui qui offre le sacrifice. Consommé par le feu ou d’une autre manière, le sacrifice 'olah est bien l’offrande de tout ce dont on retire du fruit.


Gn 22, 3
sella son âne
Hébreu : wayyahabosh èt-hamorwo

Le mot âne, hamor, vient de hamar, fermenter, agiter, troubler, se troubler, et le verbe seller, habash, a le sens plus général de lier, relier, et aussi restreindre, maîtriser, soumettre. Une lecture plus tournée vers la psychologie que vers les choses matérielles conduit ici à voir Abraham dominer son agitation intérieure, — ce qui n’exclut nullement qu’il selle son âne en même temps. On comprend qu’Abraham puisse être fort troublé par ce que Dieu lui demande, et qu’il ait besoin de maîtriser son agitation.


Gn 22, 3
ses deux jeunes
Hébreu : sheney ne'arayw

Ses deux jeunes hommes. Généralement compris comme « ses deux jeunes serviteurs ». Mais l’expression peut tout aussi bien être lue « ses années de jeunes ». Et au lieu de « il prend ses deux jeunes serviteurs », on peut comprendre : « il considère ses années de jeunesse ».


Gn 22, 13
cornes
Hébreu : qeren

Si le mot qéren, dont c’est la première occurrence, désigne bien ici les cornes d’un bélier, son emploi dans ce sens est loin d’être le plus fréquent. Sur 19 emplois au Pentateuque, ce mot désigne à 16 reprises les cornes de l’autel sur lequel le grand-prêtre offre le sacrifice. Et les deux derniers emplois, au cantique de Moïse (Dt 33, 17), célèbrent la force spirituelle de Joseph : “ sa force (qéren) est comme la corne (qéren) du réem ”. Qu’est-ce qu’un réem ?

Pour beaucoup le réem est un buffle, mais pour d’autres c’est un oryx, espèce de gazelle d’Afrique (algazelle) dont les deux cornes cimeterre, longues, effilées et rapprochées, peuvent évoquer l’animal fabuleux qu’était la licorne. Et de fait, les Septante ont traduit le mot réem par licorne (monokéros). Cette lecture est conforme à la racine du mot, raam, dont le sens, être élevé (cf. Ab-ram, père élevé), rejoint les hautes valeurs spirituelles dont la licorne portait le symbole. Elle a de plus l’avantage d’unifier le sens du mot qéren, faisant des cornes de l’autel du sacrifice le symbole du lieu où se construit la force de l’esprit, quand l’homme devient capable de se déposséder de ses biens, reconnaissant qu’il reçoit tout du ciel. C’est précisément le sens de l’épreuve d’Abraham.


Gn 22, 14
on est vu
Hébreu : yéraèh

Forme passive simple (Niphal) du verbe voir, qui répond à la forme active simple (Qal) du même verbe dans le nom donné par Abraham à la montagne : Yhwh voit.

Il serait sans doute préférable d’employer ici un synonyme spécifique du verbe voir, pour préciser que sur cette montagne de Yhwh « on est examiné », car l’épreuve par laquelle est passé Abraham est bien un examen : sur la montagne, « Yhwh examine », il sonde le tréfonds des cœurs.


Gn 22, 19
Hébreu : Béer-Sheb'a

Le sens de ce nom propre est « Puits-du-Serment », ou « Citerne-de-l’Engagement ».