Les premiers emplois du verbe alam dans la Bible caractérisent ce que lhomme fait à son insu, par ignorance ou par erreur (formes passives). Ainsi de certaines « fautes » qui ne le deviennent quau moment où le « coupable » sen aperçoit (Lévitique 4, 13, et 5, 2-3-4). Mais apparaissent très vite les formes volontaires (Hiphil, Hitpaël) décrivant lattitude de celui qui ne veut pas voir la chose, la considérant comme cachée alors quelle est vue : Si tu vois ségarer le bœuf ou la brebis de ton frère, tu ne te le cacheras pas, tu les ramèneras à ton frère (Deut 22, 1-3-4).
De cette racine verbale dérivent trois substantifs de sens différents, mais se rattachant tous de manière logique à la notion de réalité cachée : (1) le secret taaloumah, (2) le jeune homme élèm ou la jeune fille alemah en attente du mariage, (3) le temps secret olam ou temps de lau-delà.
Le secret que la Bible appelle taaloumah (de la racine alam, cacher), cest limmensité des secrets de la sagesse divine (Job 11, 6). Cest cela que Dieu veut enseigner à lhomme en se révélant à lui, en faisant venir à la lumière ce qui est caché (Job 28, 11). Et cette immensité de sagesse se trouve cachée au plus profond du cœur de lhomme, qui lignore : Dieu seul le sait, qui pénètre les secrets du cœur (Ps 44, 22).
Ces deux mots, issus de la racine alam, se rencontrent rarement, mais leur emploi est significatif dès quils viennent remplacer les mots beaucoup plus fréquents naar (jeune homme) et naarah (jeune fille).
Lorsque Saül fait la connaissance de David après sa victoire sur Goliath, il cherche à savoir de qui ce jeune homme est le fils. Il emploie dabord le mot ordinaire naar pour se renseigner, puis, constatant lignorance de son chef darmes, il insiste, lui enjoignant de sinformer, et emploie alors le mot élèm, dans une formule par ailleurs identique (1 Sam 17, 56). Nous apprenons ainsi quen cet instant, le roi Saül a formé le projet, manifesté plus tard et qui restera sans suite, de prendre David pour gendre en lui donnant sa fille aînée Mérab en mariage (1 Sam 18, 17-18). Le mot élèm exprime que Saül voit en David un jeune homme mûr pour le mariage.
LorsquAbraham envoie vers sa parenté son vieux serviteur, afin quil en revienne avec une épouse pour son fils Isaac, lÉcriture parle à plusieurs reprises de « jeune fille » naara ou naarah. Mais lorsque le serviteur expose, à la parenté dAbraham qui le reçoit, le vœu quil a formulé devant le Dieu dAbraham, il désigne alors la jeune fille par le mot alemah (premier emploi en Bible) :
Quand je me tiendrai près de la source des eaux, la jeune fille (alemah) à qui je dirai laisse-moi boire un peu deau de ta cruche et qui me répondra Bois toi-même et je puiserai aussi pour tes chameaux , que celle-ci soit la femme que Dieu a destinée au fils de mon seigneur (Gen 24, 43-44).Quand il sétait adressé à Dieu (Gen 24, 12) le serviteur dAbraham avait employé le mot neutre naara. Mais ici, alors quil raconte son vœu aux parents de la jeune fille, il leur indique, avec lemploi du mot alemah, que leur fille est désirée en mariage. Il recherche pour Isaac une jeune fille nubile, et comme le précise lÉcriture dans la description de cette scène dont le mariage na pas encore été consommé :
[Rébecca] était une jeune fille très belle à voir ; elle était vierge, aucun homme ne lavait pénétrée (Gen 24, 16)
Une jeune fille est donc alemah dès quelle devient nubile et jusquà consommation de lunion amoureuse. Cest la période de la recherche et de lattente qui précède les noces, par lesquelles la jeune fille deviendra ishah, femme.
Sur les sept emplois du mot alemah dans la Bible, le septième se révèle aussi parlant que le premier :
Délivrant la senteur de tes suaves parfums, ton nom est une huile répandue. Cest pourquoi les jeunes filles taiment. (Cant 1, 3)La bien-aimée sadresse à son bien aimé absent. À plusieurs reprises elle chantera son profond désir de la rencontre ; ici, dans cette introduction, elle nous confie pourquoi, jeune fille comme ses compagnes, elle est attirée par les senteurs du nom du bien-aimé.
La bien-aimée du Cantique est une jeune fille alemah, nubile et en attente de la rencontre des noces. Son bien-aimé lui est caché, elle vit son amour dans le secret de son cœur :
Sur ma couche, au long des nuits, jai cherché celui que mon cœur aime. Je lai cherché, mais ne lai point trouvé. (Cant 3, 1)C'est pourquoi toute cette attente, vécue hors de la présence visible et concrète du bien-aimé, est appelée temps caché ou temps secret, en hébreu : olam.
Olam est le dernier dérivé de la racine alam, « cacher, garder secret ». Cest de très loin le plus fréquent dans la Bible (plus de quatre cents occurrences). Il qualifie, comme le montre létude des mots élèm et alemah, le temps de la recherche amoureuse de lâge nubile avant la rencontre nuptiale.
Temps secret au regard de la présence du bien-aimé, ce temps de la recherche amoureuse est aussi temps secret pour le monde, qui ignore tout de cette relation cachée se construisant à son insu, jusquà sa révélation finale. Et même après sa révélation au monde, lintimité de la relation entre la bien-aimée et son époux restera secrète : elle sera pour toujours le temps secret, temps vécu hors du siècle, hors du temps que le monde connaît. Elle restera impénétrable au temps de ce monde, et portera pour cela le nom de vie éternelle ou vie déternité, vie en éternité.
Il convient de rappeler que éternité signifie « hors du temps », et ne doit pas être confondu avec perpétuité, qui signifie « dans le temps qui ne finit jamais ». La terre tourne à perpétuité, mais la relation mystique entre lhomme et Dieu se situe en éternité.
La relation de lhomme avec son Dieu est semblable à celle de la bien-aimée avec son bien-aimé. Elle connaît une période de désir et de recherche dans la nuit de labsence, avant de parvenir à la lumière de la rencontre mystique. Dans cette recherche comme dans la rencontre, la relation se situe hors du temps. Ce temps caché est celui où Dieu révèle les secrets de son immense sagesse au cœur de lhomme qui le cherche. Cest un temps secret parce que léternité est impénétrable au monde. Pour préserver toute lintimité de cette relation mystique, le Seigneur Dieu a posté à demeure son séraphin au glaive de flamme, en avant du jardin de délices : il en préserve laccès, à lencontre des créatures insoumises qui faisant fi de toute crainte de Dieu, tenteraient par la force ou par la ruse daccéder à la vie éternelle (Gen 3, 22-24).