prier

La prière est l’expression d’un mouvement de l’homme vers la divinité qu’il révère, ou plus généralement vers des forces qu’il connaît mal, qu’il ne maîtrise pas et qu’il peut craindre. L’homme en prière exprime ce qui l’anime, ce qu’il ressent ou ce qu’il éprouve, au moyen de paroles ou de gestes appartenant à des registres souvent très différents, si bien qu’il est parfois difficile de distinguer où et quand la prière commence, où et quand elle cesse d’être prière.

Pour nous éclairer, nous puiserons surtout dans le Livre des Psaumes, témoin principal de la prière d’Israël. Et comme toute action humaine procède de l’imitation de Dieu, consciente ou non, directe ou indirecte, recherchée ou même rejetée, pour chacun des verbes rencontrés nous examinerons ses premières occurrences afin d’en recueillir — le plus haut possible, dès la Création — l’essence divine. En pratique, nous allons examiner successivement la place occupée dans la Bible par les verbes qar'a (crier, appeler, invoquer, proclamer), biqesh (rechercher), hodah (confesser, louer), hillel (célébrer, louer), shyr (chanter), et hanan (« faire grâce », aux formes de l’impératif et du hitpaël) qui couvrent le plus largement l’expression de la prière. Nous terminerons cet examen avec le verbe palal (intercéder), dont la rareté d’emploi ne doit pas occulter la place essentielle dans la vie spirituelle, et nous mentionnerons enfin, pour mémoire, quelques verbes synonymes des précédents : ça’aq (implorer, crier), shaal (demander) et ’atar (supplier). Même non exhaustive, cette liste reste assez complète pour rendre compte de l’essentiel.

On trouvera en annexe, dans un tableau commenté, les fréquences d’apparition dans la Bible de chacun de ces verbes, au Psautier et en dehors du Psautier. La lecture de ce tableau fait apparaître deux catégories d’actions, l’une et l’autre liées à la prière, mais de manière diférente. Certains verbes expriment ce qui est nécessaire à la perennité de la vie animale — crier, avertir, rechercher — et entrent dans la vie spirituelle de l’homme à mesure que Dieu se révèle à lui : invoquer, proclamer, chercher la face de Dieu. D’autres verbes expriment ce qui est propre à l’homme, et sont créés pour les besoins de la vie religieuse : louer, célébrer, avouer, confesser ; ces verbes se rencontrent essentiellement au Psautier, assez peu dans la narration biblique. Seul à figurer dans les deux catégories, le verbe chanter, commun à l’homme et aux oiseaux, marque le sommet de la vie terrestre la plus avancée sur les chemins du ciel.





crier, appeler, invoquer, proclamer
Hébreu : qar’a

Le verbe qar'a a le sens premier de « crier ». Le cri animal est l’ancêtre de ce mouvement qui commence, pour l’homme, avec le cri de l’enfant qui vient de naître. Cri de détresse de la vie brusquement plongée dans un milieu totalement inconnu, notre premier cri est toujours un appel au secours, une prière spontanée vers un passé soudain perdu. Puis le cri se diversifie, chez l’homme comme chez l’animal, prenant un sens différent selon la situation : il devient signal, dirigé vers une altérité que l’on apprend progressivement à reconnaître. Accompagnant l’évolution, ou simplement la croissance, le cri va devenir langage. La langue hébraïque a gardé le verbe qar’a pour traduire le mouvement de ce geste vocal, depuis le cri animal jusqu’aux actions les plus humaines qu’expriment les verbes proclamer et invoquer.

Proclamer, c’est dire publiquement, à voix forte (comme un crieur public), la parole divine, c’est-à-dire la Torah, qui est l’enseignement divin. La transmission de cet enseignement a commencé bien avant l’apparition de l’écriture, et s’est faite de manière orale pendant des siècles. Plus tard, les textes ont été fixés par écrit, mais ce qui doit être proclamé est parfois différent de ce qui est écrit ; aujourd’hui encore, la tradition orale garde la priorité. C’est ainsi que l’on rencontre fréquemment, à la lecture de la Torah, des indications invitant à ne pas lire ce qui est écrit (hébreu Khétib), mais bien ce qui doit être proclamé (hébreu Qér’é). Le mot qér’é est issu du verbe qar’a.

Invoquer, c’est crier le nom. C’est d’abord appeler quelque chose ou quelqu’un pour lui donner un nom, c’est le nommer ; et c’est ensuite l’appeler en criant vers lui le nom qu’il a reçu précédemment. Dans ce sens, le verbe qar’a est le premier à entrer dans la Bible : Dieu appela la lumière « jour » et appela les ténèbres « nuit » … (Gen 1, 5a). À l’appel de la voix divine, la vocation de la lumière est désormais de « faire jour ». Dès que son nom est ensuite invoqué par cette voix — jour ! — la lumière est rappelée à sa vocation, in-vocare, elle est invoquée. C’est ce que nous lisons dans la seconde partie du verset : Il y eut un soir, il y eut un matin, « Jour » un. (Gen 1, 5b). Ainsi la lumière est-elle appelée à faire l’unité du Jour en y incorporant le passage du jour à la nuit, la nuit entière et le passage au jour suivant. Sagesse de l’unité que chante David au Psaume 139 : Aussi les ténèbres n’obscurcissent-elles pas pour toi ; la nuit comme le jour illumine, la ténèbre comme la lumière.

Le verbe qar’a est d’abord employé par le Dieu créateur, à sept reprises, pour nommer les choses (lumière, ténèbres, ciel, terre et mers), puis pour inviter l’homme à imiter Dieu (Gen 2, 19). C’est ensuite l’homme qui nomme les animaux (2, 20), nomme sa femme (3, 20) et nomme enfin le fils engendré pour lui (4, 26). L’écriture emploie alors le verbe qar’a pour signifier que l’homme invoque ainsi le nom de la divinité.

Pour que l’homme puisse invoquer son Dieu, Dieu révèle son Nom. Il donne à son bien-aimé, David, ce conseil salutaire qui établit la relation de l’homme à Dieu (Ps 50, 15) : Invoque-moi au jour de détresse : je te délivrerai et tu me rendras gloire. Pour invoquer Dieu, nous l’appelons par le nom sous lequel il s’est révélé à nous. Invocation fréquente au Livre des Psaumes, où l’on rencontre 56 fois le verbe qar’a, qui ne prend qu’une fois le sens de proclamer (la louange de Dieu, Ps 18, 3) et quatre fois le sens de nommer ou appeler, car cette invocation, qar’a, est presque toujours un cri du Psalmiste, un appel au secours. C’est le cri de l’homme vers son Créateur, mouvement qui s’enracine dans notre fibre animale et qui, à ce stade primitif comme aux sommets de la prière, ne reste jamais sans réponse de la part de Dieu. Ce que reconnaît David en proclamant (Ps 147, 9) : Il donne la nourriture au bétail, aux petits du corbeau quand ils crient.





chercher, rechercher
Hébreu : biqesh

Le verbe biqesh appartient au vocabulaire de la vie courante. On le rencontre exclusivement sous la forme intensive, à la voix active (Piel, rechercher) ou à la voix passive (Pual, être recherché). Ce verbe exprime le plus souvent la recherche de ce qui est nécessaire à la vie (nourriture, protection, etc.), et pour l’homme, dans la Bible, il décrit surtout la recherche volontaire, à visée humaine — bonne ou mauvaise. C’est Joseph cherchant ses frères (Gen 37, 15-16) ou cherchant à s’isoler pour pleurer d’émotion quand il les retrouve (43, 30). Mais c’est aussi, pour d’autres motifs, Pharaon recherchant Moïse afin de le faire mourir (Ex 2, 15 et 4, 19), ou Saül recherchant David avec la même intention (1 Sam 19, 2.10 et 23, 14.15.25 etc.). C’est enfin l’homme cherchant son Dieu, comme Moïse avec les fils d’Israël à la tente de la rencontre (Ex 33, 7), comme David cherchant la face de Yhwh (2 Sam 21, 1) et comme la fiancée du Cantique, qui cherche son bien-aimé (Ct 3, 1 ; 3, 2 et 5, 6) et ne le trouve pas, qui l’appelle (5, 6 verbe qar’a) mais n’obtient pas de réponse.

Au Livre des Psaumes, sur 27 occurrences moins de la moitié (12) décrivent la recherche de la face de Dieu, de son nom, de sa maison ou de sa paix. Dans un nombre équivalent de versets, le Psalmiste évoque les ennemis de Dieu, ceux qui cherchent à tromper, à éliminer le juste. Deux occurrences montrent que les hommes justes, aussi bien que les petits du corbeau, reçoivent de la main divine la nourriture qu’ils recherchent. Et dans un verset, un seul, David demande à Yhwh de rechercher son serviteur égaré, errant comme une brebis perdue : « Cherche ton serviteur, car je n’oublie pas tes commandements » (Psaume 119, 176).

Qui cherche la face de Dieu est un homme en prière : « Montre-moi ta gloire », dit Moïse à Yhwh. Et Dieu se révèle à celui qui le cherche, mais dans la seule mesure où celui-ci est capable de contempler la vérité divine : « Tu ne peux pas voir ma face, car l’« homme » (adam) ne peut voir ma face et vivre » (Ex 33, 20). Le chemin vers Dieu est recherche permanente, et pour qui ne cherche plus, Dieu se retire. Il paraît absent. Ce n’est qu’une apparence, car du haut des cieux, YHWH observe les fils d’Adam, pour voir s’il en est un d’avisé, « cherchant » Dieu. Hélas ! ce verset du Psaume 14 est suivi de son amère conclusion : Pas un seul ! ils sont tous pervertis. Pourtant, le verbe que l’Écriture emploie ici n’est pas biqesh, mot exigeant qui suppose une recherche intense, volontaire, portée par la prière. Non, c’est ici le verbe darash, qui n’exprime que la consultation intéressée d’un homme cherchant à s’informer, à étudier, à s’enquérir de ce qu’il est bon de savoir. Eh bien ! même animé d’un si faible désir de Dieu, n’y a-t-il donc personne qui cherche parmi les humains ?

Le verbe darash est trop loin de la prière pour que le mot soit retenu dans cette étude. L’Écriture fait la différence entre les deux verbes, ils ne sont pas synonymes. Moïse instruisait Israël avant de les quitter : « Vous chercherez (biqesh) YHWH ton Dieu. Et tu trouveras ! Car tu le chercheras (darash) de tout ton cœur et de toute ton âme » (Dt 4, 29). Beaucoup plus tard, la voix divine leur rappelle cet enseignement, par la bouche de Jérémie (29, 13) : « Quand c’est moi que vous cherchez (biqesh), vous trouvez ; parce que vous me cherchez (darash) de tout votre cœur ».

Il faut le reconnaître, nous sommes de bien faibles humains. Gouvernés par l’intérêt, nous nous contentons de rechercher les biens que Dieu dispense au lieu de rechercher Dieu lui-même.





confesser, louer
Hébreu : hodah

Le verbe hodah est la forme factitive (hiphil) du verbe yadah, forme simple dont le sens général est « cibler, viser, désigner ». En référence à cette forme simple, la forme hodah a donc le sens de « faire orienter, faire cibler », c’est-à-dire ajuster convenablement, ou réajuster une orientation en dérive, que la pente naturelle entraîne dans une mauvaise direction. Avec le verbe hodah, la Bible nous enseigne à réorienter vers Dieu notre recherche, alors que nous nous demandons d’où vient ce qui nous échoit. Car le plus souvent, les apparences, la facilité, les habitudes, tout nous pousse à attribuer ce qui nous arrive, le bon comme le mauvais, à nos mérites, à nos erreurs, ou à la malice d’autrui. Réorienter notre visée, c’est reconnaître que tout vient de Dieu, et rechercher en quoi cela vient de Dieu. C’est reconnaître avec Job (2, 10) que nous recevons de Dieu le bon aussi bien que le mauvais.

La forme verbale hodah a donc pris dans la Bible un sens essentiellement religieux : confesser, avouer Dieu, qui conduit à louer Dieu. La première occurrence de cette forme se trouve en Genèse 29, 35. Léa, épouse de Jacob, enfante un quatrième fils auquel elle donne le nom de Juda, pour « louer Dieu » de la grâce qui lui est ainsi faite. Le nom de Juda, hébreu yehoudah, signifie « il (Dieu) sera loué ». C’est ce nom que porte le peuple juif, dont la vocation est d’être le signe que Dieu sera loué — vocation à témoigner (avouer, confesser) que tout vient de Dieu. La forme verbale hodah apparaît une seconde fois à la fin de la Genèse (49, 8), au testament de Jacob par lequel Israël, en prophétisant que « Juda sera loué par ses frères », confirme la vocation qu’il a reçue à sa naissance. Cette forme verbale n’apparaît plus ensuite au Pentateuque ; on en trouve la troisième occurrence dans la bouche de David (le Lion de Juda), lorsqu’il conclut sa grande prière d’action de grâce après que Yhwh l’eut délivré de tous ses ennemis et de la main de Saül (2 Samuel 22, 1-51) : C’est pourquoi je te louerai parmi les nations, Seigneur ! et je célébrerai ton nom. Israël a fait sienne cette prière de David en la reprenant textuellement au Livre des Psaumes (Ps 18, 1-51).

Pour une étude détaillée du verbe hodah, ainsi que de son dérivé principal, le substantif todah (reconnaissance de l’action divine), on se reportera à la fiche spécialisée du GLOSSAIRE confesser, louer.





célébrer, louer
Hébreu : hillel, forme intensive active (Piel) de halal

La première occurrence biblique du verbe halal se trouve en Genèse 12, 15. Abraham est accueilli par des dignitaires égyptiens qui remarquent sa femme, Sarah, présentée par Abraham comme étant sa sœur. Ils se rendent alors auprès de Pharaon pour lui vanter la très grande beauté de cette femme. Le verbe est ici à la forme active intensive, hillel, forme de loin la plus fréquente (sept fois sur dix) pour ce verbe ; elle a le sens de « louer avec éclat, célébrer, vanter ». Sous d’autres formes, le verbe halal peut prendre le sens de briller, faire briller, se vanter, ou encore se comporter de manière extravagante, voire insensée.

Le verset de la Genèse qui vante la beauté de Sarah décrit une action sans visée religieuse particulière. Mais sur un total de 113 occurrences de la forme hillel, 9 seulement peuvent ainsi être considérées comme appartenant au vocabulaire de la vie courante, contre 104 qui sont employées pour décrire la louange que l’homme adresse à Dieu. C’est donc un verbe principalement réservé au domaine religieux : les deux tiers de ses emplois (75 sur 113) sont au Livre des Psaumes. Parmi ces derniers, 25 sont sous la forme impérative « Louez le Seigneur ! », expression que toutes les langues ont adoptée sous sa forme hébraïque : Hallélou-Yah ! Alléluia !

Le verbe hillel entretient des rapports étroits avec le verbe hodah examiné à l’article précédent. L’un comme l’autre peuvent se traduire par le verbe « louer », mais cette louange ne s’exprime pas de la même manière. Avec hodah, la louange commence par une reconnaissance intime, quasi secrète, un aveu de l’homme qui confesse l’action de Dieu parce qu’il vient de la découvrir. Puis sa vie spirituelle grandissant, sa louange s’affirme et s’amplifie, s’exprime avec hillel, et finit par éclater devant toute la communauté rassemblée qui chante alors la gloire de Dieu.

Le lecteur désireux de suivre cette progression de la louange dans les Psaumes, pourra se reporter à la brève description de ce cheminement proposée à la fin de l’étude du verbe hodah : «  De l’aveu à la louange  ».





chanter
Hébreu : shyr

Ayant traversé la mer Rouge à pied sec, les fils d’Israël avaient vu la main puissante de Yhwh s’opposer aux Égyptiens qui les poursuivaient. Le peuple craignit Yhwh ; il crut en Yhwh et en Moïse. Alors Moïse et les fils d’Israël chantèrent ce cantique à Yhwh. Ils dirent : « Je chanterai pour Yhwh, car il a fait éclater sa gloire… » (Exode 15, 1). Le verbe « chanter » fait ici son entrée dans la Bible, au moment où le peuple de Dieu vient de franchir ce passage essentiel sur le chemin où Dieu les conduit, hors de l’esclavage d’Égypte, vers la demeure de sa sainteté. En exprimant ainsi leur action de grâce par ce chant, Moïse et les fils d’Israël célèbrent la victoire de Dieu. Deux ou trois siècles plus tard, le roi David, lui aussi, chantera la victoire de Dieu en disant à Yhwh les paroles de ce cantique, du jour où Yhwh l’eut délivré de la main de tous ses ennemis et de la main de Saul (Ps 18, 1 et 2 Sam 22, 1). C’est ici que le mot « cantique » fait son entrée au Livre des Psaumes. Comme on peut le voir au moyen de cette citation déjà évoquée, le chant (verbe shyr) et la célébration (verbe hillel) entretiennent des rapports étroits au service de la louange.

Le chant est peut-être la forme la plus achevée de la prière de louange, son expression la plus éclatante. Le verbe « chanter », dont près du tiers des occurrences bibliques se trouvent au Livre des Psaumes, traduit déjà la forte présence du chant dans la prière ; la fréquence du mot « chant » ou « cantique » (hébreu shyr ou shyrah) dans le Psautier y confirme la place éminente qui revient au chant. Sur cent cinquante Psaumes, soixante font référence au chant, et parmi eux trente-cinq contiennent le mot « cantique » dans leur titre, en particulier les quinze pièces connues sous le nom de « Psaumes des Montées » (Ps 120 à Ps 134) qui portent en réalité le titre « Cantique des montées ». Sur le chemin qui conduit l’homme vers la demeure de la sainteté de Dieu, les Hébreux vivaient de ces cantiques, que sans doute la main de Salomon, fils de David, avait formalisés sous l’inspiration divine. Un chemin vers Dieu que Salomon lui-même avait suivi jusqu’à son terme, jusqu’aux noces mystiques qu’il chante dans le plus beau des poèmes bibliques, le Cantique des cantiques.





faire grâce
Hébreu : hanan

Le verbe hanan entre dans la Bible sous la forme simple accomplie : Dieu a fait grâce. Par deux fois, c’est Jacob, à l’issue de son combat spirituel au gué du Yabboq, qui dit à son frère Ésaü les grâces que Dieu lui a faites, en ses nombreux fils — les douze fils de Jacob — ainsi qu’en tous les biens avec lesquels il revient chez son père (Gen 33, 5 & 11). En toute rigueur ce n’est pas encore une prière, mais c’est l’aveu, devant son frère, que Dieu a exaucé le vœu qu’il avait formulé vingt ans plus tôt, après sa vision de l’échelle reliant la terre au ciel, alors qu’il fuyait Ésaü : Si Dieu est avec moi et me garde pendant ce voyage, et si je reviens en paix à la maison de mon père, alors YHWH sera mon Dieu (Gen 28, 20-21).

Cet aveu de Jacob est une reconnaissance, et bien qu’il ne s’agisse pas formellement d’une prière, « avouer Dieu » de cette manière c’est poser la première pierre du temple où explosera plus tard la prière de louange (voir ci-dessus hillel). Jacob, ou plutôt Israël vient de rendre grâce à Dieu d’avoir exaucé son vœu ; c’est la première expression de ce que la Bible appelle la todah, ou « confession de louange » (voir au GLOSSAIRE l’article louange, confession).

Les dons de Dieu sont sans repentance et faire grâce est prérogative divine. Lorsque Moïse demande à Yhwh de lui montrer sa gloire, Yhwh répond : À qui je fais grâce, j’ai fait grâce (Ex 33, 19). Aussi l’homme qui se reconnaît en faute n’a-t-il plus que le recours de demander grâce à Dieu, seul offensé. C’est David, mis devant l’évidence de sa faute, qui reconnaît : « Devant toi et toi seul j’ai péché ! » et qui commence par implorer la grâce divine : Fais-moi grâce, ô Dieu ! selon ta bonté et selon ta grande tendresse (Psaume 51, 3).

Cette forme de prière, à l’impératif, est de loin la plus fréquente pour le verbe hanan, dont un tiers des occurrences (25/78) sont à l’impératif. Et parmi celles-ci, la quasi-totalité (21/25) se trouve au Livre des Psaumes, comme on pouvait s’y attendre. On trouve aussi d’autres formes moins fréquentes, parmi lesquelles le Hitpael (forme intensive réflexive : implorer grâce) qui complète et confirme les enseignements de l’impératif. Demander grâce à Dieu est un mouvement de tous les instants dans la vie spirituelle, et pour qui prie avec David, ce mouvement commence dès le Psaume 4 et ne cesse pas avant le Psaume 142. Implorer la grâce divine reste le geste le plus caractéristique de la prière des fils de David.





intercéder
Hébreu : palal

Le verbe palal ne se rencontre qu’aux deux formes intensives, directe (Piel) et réflexive (Hitpaël). Dans la première forme (la moins fréquente) il a le sens de « juger, incriminer, accuser », dans la seconde il signifie « disculper, excuser, intercéder ». La forme directe est sans rapport avec la prière ; la forme réflexive équivaut à une prière, dans la mesure où elle s’adresse à l’autorité accusatrice d’un tiers que l’on cherche à innocenter, en épousant solidairement sa cause d’accusé. Les deux formes du verbe s’opposent parfaitement dans le verset suivant du 1er Livre de Samuel : « Si un homme pèche contre un autre homme, Dieu l’accusera ; mais s’il pèche contre YHWH, qui intercédera pour lui ? » (1 S 2, 25a).

Ce n’est pas un prophète qui parle ici, c’est le prêtre Ély, qui assurera la formation du jeune Samuel au service de Yhwh. Alors que Ély espérait voir ses fils lui succéder dans sa charge, ces derniers se comportaient si mal que le Seigneur avait suscité Samuel, qui deviendra son prophète. La parole ainsi adressée par Ély à ses fils était pourtant d’une grande justesse, car après l’avoir citée, l’Écriture ajoute que « ses fils n’écoutèrent pas la voix de leur père, parce que YHWH voulait les faire mourir ». Samuel, lui, écoutait Ély. C’est ainsi que le verbe « intercéder », qui n’avait plus été employé depuis Abraham et Moïse, reprit vigueur dans la prière du prophète Samuel intervenant pour ses frères.

Le verbe « intercéder » fait son entrée dans la Bible avec Abraham. Dieu fait d’Abraham le premier de ses prophètes en lui enseignant sa mission première, qui n’est pas de rechercher son propre salut — il n’a pas à s’en soucier, car Dieu le protège — mais de guider ses frères sur le chemin qui mène à Dieu, leur faisant comprendre les instructions divines, intercédant auprès de Dieu en leur faveur dès que le jugement divin paraît les condamner. Les deux premières occurrences du verbe « intercéder » concernent Abraham (Gn 20, 7 et 20, 17), les cinq suivantes Moïse, qui fut le plus grand des prophètes. Vient ensuite Samuel. Samuel intercède pour Israël mais après lui, avec les rois, le sens de l’intercession va se perdre, d’abord avec Saül puis avec David. L’intercession n’est plus dès lors que la simple supplication d’un pécheur, un plaidoyer pro domo. Salomon, fils de David, retrouvera pour un temps le sens de cette prière en faveur du peuple qu’il a la charge de guider vers Dieu. Mais après lui, le lent déclin d’Israël, sa division en deux royaumes sous le règne de rois qui font ce qui est mal aux yeux de YHWH, rien ne permettra plus au peuple de progresser vers la sainteté divine, alors que leurs prophètes sont de plus en plus persécutés par le pouvoir politique.

Le lent déclin de sa vie spirituelle va conduire Israël jusqu’à la déportation à Babylone et à la destruction de Jérusalem. La sanction en a été arrêtée par Yhwh, le Dieu trois fois saint, qui a confié à la bouche du prophète Isaïe la mission de le faire savoir à tout le peuple. Dans ces conditions, on comprend que la mission du prophète ne consiste plus à intercéder, comme autrefois Moïse ou Samuel. C’est pourquoi on ne trouve pas les mots de l’intercession au livre d’Isaïe, sauf pour en dénoncer les usages idolâtres, et le livre de Jérémie contient même la demande expresse que Yhwh adresse à trois reprises à son prophète, de ne pas intercéder (7, 16 ; 11, 14 et 14, 11). Il faudra attendre les dernières heures de la ruine d’Israël pour que le prophète Habaquq adresse à Dieu cette magnifique intercession (La prière de Habaquq) qui fait comprendre aux derniers fidèles dans le peuple, que leur salut est assuré au-delà de la mort. Entretemps, c’est Ézékiel qui avait annoncé la résurrection des morts.

On trouvera une étude de l’intercession plus détaillée dans les commentaires attachés au Psaume 90, dont le titre, Intercession de Moïse, justifie amplement le lieu de cette étude.

Le verbe « intercéder » n’est pas fréquent dans la Bible, encore moins au Psautier où il n’apparaît pas de manière significative. L’intercession est pourtant la forme de prière la plus nécessaire à la progression vers le salut, elle est la plus haute valeur spirituelle attendue par Dieu chez l’homme. Mais elle n’est pratiquée que par cet homme exceptionnel qu’est le prophète, capable d’abnégation au point de négliger son propre salut, en vue de faire progresser ses frères sur le chemin qui conduit à Dieu. C’est pourquoi, à l’exception de l’intercession de Moïse (Psaume 90) on ne trouve pas d’intercession significative au livre des Psaumes où le mot est employé au sens générique de prière. La prière de David est celle d’un pécheur qui demande grâce à Dieu pour son propre salut, ce n’est pas une prière d’intercession.





implorer, crier
Hébreu : ça’aq

L’hébreu ça’aq est presque toujours traduit par le verbe « crier », comme l’est aussi l’hébreu qar’a ; ils n’ont cependant pas tout à fait le même sens. Qar’a signe un cri propre à chaque espèce, et qui peut exprimer des choses très différentes. Ça’aq exprime toujours une détresse humaine, voire une protestation, une récrimination devant ce qui est ressenti comme insupportable ou comme une injustice.

Le ton est donné avec les trois occurrences du mot dans la Genèse. C’est le sang d’Abel qui crie vers Dieu (4, 10) ; c’est Ésaü qui pousse des hauts cris en apprenant que son père a béni Jacob à sa place (27, 34) ; c’est enfin le peuple égyptien affamé, criant à Pharaon qu’il veut du pain (41, 55). Le Dieu de miséricorde n’est pas sourd à ces détresses lorsqu’on crie vers lui, comme Moïse (Ex 15, 25 ; 17, 4 ; Nb 12, 13), ou comme les affamés dans le désert ou les marins dans la tempête (Psaume 107, 6.28). Cependant, Isaïe nous dira que le serviteur de Dieu, son élu ne criera pas, n’élèvera pas la voix (Is 42, 2), et au temps du Jugement, dit le Seigneur à ceux qui n’ont pas cherché Dieu ni répondu à ses appels, mes serviteurs chanteront dans la joie de leur cœur, mais vous, vous crierez dans la douleur de votre âme (Is 65, 14).





présenter une demande
Hébreu : shaal

Le verbe shaal est assez fréquent dans la Bible. On le rencontre 173 fois, dont 10 au Psautier soit 6 % des cas. Cette proportion au livre de prière est un peu faible pour intéresser cette étude, et la lecture des versets concernés permet de comprendre pourquoi. La distance entre demander et prier vient de ce que ce verbe est d’un usage trop commun, en hébreu comme en français, traduisant la plupart du temps une action banale : s’enquérir, interroger, enquêter. Dans certains cas, toutefois, le lien avec la prière ne doit pas être ignoré, en particulier lorsqu’on trouve, en complément du verbe, le substantif « demande » issu de la même racine, ce qui donne un tour plus solennel à la demande. Nous avons donc choisi de suivre ce mot, plus significatif que le verbe — qui d’ailleurs l’accompagne dans presque la moitié des cas.

Après sa victoire sur les rois de Madian, Gédéon ayant refusé aux hommes d’Israël de régner sur eux (“ C’est YHWH qui règnera sur vous ”) leur demanda de lui donner plutôt les anneaux d’or pris à l’ennemi. Cette première occurrence de l’expression « présenter une demande » indique moins une démarche de prière qu’une avancée de négociation avec ceux qui voulaient remercier Gédéon. D’autre part, cette demande ne s’adresse pas à Dieu, et il en est de même pour les deux emplois du mot au livre des Rois (faveur demandée au roi Salomon, qui refuse) et pour ses six emplois au livre d’Esther (faveur demandée au roi Assuérus, qui accepte). Sur les quatorze occurences bibliques du mot « demande », neuf sont étrangères à la prière. Que nous apprennent les cinq autres ?

Par trois fois le mot « demande », accompagné du verbe « demander », apparaît au premier livre de Samuel, et dans les trois cas il s’agit de la prière que la future mère de Samuel, Anne, adressait à Yhwh pour avoir un enfant, car elle était stérile. Cependant, si l’Écriture emploie à trois reprises l’expression « présenter une demande », c’est pour nous faire connaître des commentaires humains sur la prière d’Anne, alors que la narration biblique a précédemment décrit cette prière au moyen du verbe nadar (vouer) et du mot néder (vœu). En effet, Anne avait fait un vœu devant Dieu, disant que si Yhwh daignait regarder son affliction et lui accordait un enfant mâle, elle consacrerait cet enfant à Yhwh pour toute sa vie (1S 1, 11). Le prêtre Ély l’observait, et après avoir rudoyé Anne parce qu’il la croyait ivre, lui dit qu’il souhaitait que sa « demande » soit exaucée. Un vœu n’est pas une demande, mais Ély ignore ce que Anne murmure (1, 17). C’est pourquoi, après la naissance de Samuel, Anne revenant au temple de Yhwh afin d’y honorer son vœu, emploie le même terme pour se faire reconnaître du prêtre Ély qui l’accueille au temple, elle et son fils (1, 27). Plus tard, le prêtre Ély emploiera de nouveau la même formule pour bénir le père de Samuel et souhaiter que Yhwh lui donne descendance de cette femme (Anne), à la place de cette « demande » — demandée pour YHWH (2, 20). Le vœu d’Anne était bien une prière (“ daigne regarder mon affliction ”), que Dieu a exaucée et même au-delà, mais ce n’était pas une demande.

Terrassé par la douleur après les grands malheurs que l’on sait, Job aurait voulu n’avoir jamais vu le jour. Il dit à ses amis son désir de voir Dieu l’achever, il cherche qui lui donnera d’accéder à sa demande (Job 6, 8). Mais sa demande ne s’adresse pas à Dieu ! Et pour le plus grand bien de Job, sa « demande » est restée sans suite. Dieu n’accorderait-il donc jamais rien à ceux qui demandent ? C’est pourtant Yhwh qui dit à son messie (Ps 2, 8) “ Demande-moi et je te donnerai des nations en héritage ”. Oui, mais le messie, c’est le juste. Il est l’élu de Dieu, il est le fils qui seul peut demander pour obtenir. Tandis que le Psautier dit la prière du pécheur, séparé du Père. Et voici ce verset pour certains fils d’Israël au désert, des « fils » oublieux des œuvres divines, saisis de convoitise, et qui tentèrent Dieu : Il leur accorda ce qu’ils demandaient. Puis il envoya le dépérissement dans leur être (Ps 106, 15).





supplier, implorer
Hébreu : ’atar

Supplier, disent nos dictionnaires, c’est prier instamment, implorer humblement, avec des larmes. On pourrait donc ne voir dans le verbe ’atar qu’une forme intense de prière, un simple synonyme de la supplique « fais-moi grâce », et il conviendrait alors d’écarter de notre étude ce verbe absent du Psautier. Cependant sa première occurrence, et unique apparition dans la Genèse, mérite qu’on s’y arrête un instant. Isaac « implora » YHWH au sujet de sa femme, car elle était stérile, et YHWH « se laissa persuader » par lui : Rebecca, sa femme, devint enceinte (Genèse 25, 21). Isaac ne prie pas pour lui, il prie pour sa femme. Bien qu’il soit dans la situation qu’avait connue son père Abraham, il supplie le Seigneur de mettre fin à la disgrâce qui frappe Rébecca, avant de chercher à obtenir une descendance pour lui. La prière d’Isaac est donc plus proche de l’intercession que du plaidoyer pro domo. Aussi Yhwh guérit-il la stérilité de Rébecca, comme il avait guéri de leur stérilité la femme et les servantes d’Abimélek, sur l’intercession d’Abraham (Gn 20, 17). L’homme apprend lentement à devenir le prophète qui intercède pour son prochain.

Après cet exemple unique, le verbe ’atar n’offre plus guère d’intérêt dans le reste de la Bible. Les occurrences qui suivent, au livre de l’Exode, ont bien la forme d’une intercession, mais rien que la forme. Car il s’agit en fait d’une ruse de Pharaon pour obtenir de Moïse qu’il « prie » Yhwh, afin d’éloigner les fléaux qui frappent l’Égypte. Et Moïse prie, en effet. Mais sans être dupe des manœuvres du Pharaon et de son appel pervers à l’intercession. Averti par Yhwh, Moïse sait qu’il n’intercède pas ici pour un pécheur repentant et désirant revenir à Dieu, mais qu’il fournit simplement à Yhwh le moyen de son plan pour endurcir le cœur de Pharaon — en vue de libérer son peuple.



HebraScriptur 7.0.3