Foi, vérité
Hébreu : èmounah, èmèt

Les deux mots foi et vérité proviennent de la même racine aman dont la forme active simple (qal) signifie supporter, soutenir, parrainer, élever (anglais : to nurse). On rencontre aussi cette même forme active employée de manière intransitive, au sens : être solide, ferme, vrai, sûr ; c’est cette forme intransitive qui est à l’origine de l’adverbe amen : en vérité, vraiment.

À la forme passive (niphal), le verbe signifie être soutenu (être affermi, assuré, être porté). Exemple de cet emploi (le Seigneur Yhwh parle au roi David) :

Ta maison étant soutenue et ta royauté éternelle,
ton trône est établi pour l’éternité.
   (2 Samuel 7, 16)

Enfin la forme la plus fréquente est la forme factitive (hiphil), « se faire parrainer », plus généralement traduite par s’appuyer sur, mettre sa confiance en, avoir foi en. Il convient d’employer avec prudence le verbe « croire » pour traduire cette forme, car la langue française ne dispose que de ce seul verbe pour traduire deux notions pourtant distinctes, que la langue anglaise différencie beaucoup mieux : to believe (croire que quelque chose est vrai) et to trust (croire en quelqu’un, mettre sa confiance en lui) ; c’est le second verbe qui est le plus proche de l’hébreu. Le verset le plus cité pour cet emploi exprime la première manifestation de foi de celui qui deviendra bientôt notre modèle, Abraham, alors qu’il n’est encore que Abram :

Il eut foi en Yhwh, qui le considéra comme devenant juste.   (Gn 15, 6)
et dans un autre verset, au livre d’Isaïe, on trouve les deux formes, passive et factitive :
Si vous ne vous appuyez pas (hiphil), vous ne serez pas soutenus (niphal)   (Is 7, 9)
ce qui exprime la nécessité pour l’homme de demander à Dieu son appui, un appui qui n’a rien d’automatique : il ne suffit pas de “ croire que c’est vrai ”, pour être sauvé il faut le demander.

Dans la traduction grecque des Septante, cette incise d’Isaïe n’a malheureusement pas été comprise. Les LXX ont traduit le hiphil par le verbe pisteuo, c’est-à-dire croire, au sens « penser que c’est vrai » (le sens « croire en quelqu’un » exige la préposition eis et l’accusatif, ce qui n’est pas le cas ici). Ce verbe traduit moins la confiance que la croyance, suivant la notion grecque de vérité (aletheia, ce qui cesse d’être caché, cf. ci-dessous) ; l’essentiel, présent dans l’hébreu, a disparu. Pour un Grec, il n’est pas nécessaire de demander à Dieu la vérité, puisque sa notion de vérité ne dépend pas de Dieu. Par ailleurs, le niphal a été traduit par le verbe suniemi, comprendre, au sens « mettre ensemble dans l’esprit » (adapter la perception à la chose perçue), ce qui éloigne encore la traduction de l’incise (devenue : si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas) de son sens premier dans l’hébreu. Les traditions chrétiennes ont repris la ligne des LXX, substituant ainsi, au soutien que Dieu accorde à celui qui s’appuie sur sa parole et son action, la compréhension de l’économie de ce soutien et du salut de Dieu. L’amie de la sagesse (philosophia) a congédié la sagesse (hokhemah).

Il faut revenir à l’hébreu. Les deux substantifs principaux dérivés du verbe aman sont vérité (èmèt) et foi (èmounah). Le premier décrit le point d’appui, le second l’action de celui qui s’appuie et donc se fait parrainer. La foi consiste à s’appuyer sur la vérité, qui est l’action divine.

La dérive observée de l’hébreu au grec montre à quel point il est vital de ne pas confondre la vérité au sens de la langue hébraïque (ce sur quoi l’on s’appuie avec foi, sans voir, sans comprendre encore) avec la vérité au sens communément admis par la philosophie occidentale, issue de l’Antiquité grecque (ce qui n’est plus caché, que chacun peut donc voir et comprendre).

La vérité philosophique (sens grec) est une propriété abstraite de l’objet, indépendante du sujet qui l’observe : elle est extérieure au sujet et s’impose donc à tous avec l’objet. Au contraire, la vérité de la foi (sens hébraïque) se situe dans la relation concrète entre le sujet et l’objet, elle y réside ; elle s’offre à tous mais ne s’impose à personne.

S’il est permis de prendre un exemple symbolique : la vérité philosophique du Grec tient que Oedipe a tué son père et épousé sa mère. Pour un Hébreu, témoin de la légende, la vérité serait bien différente : Oedipe a tué un inconnu sur sa route, puis épousé sa veuve. Pour le Grec la vérité s’impose, même antérieurement à sa révélation. Plutôt que d’affronter cette vérité, Oedipe préférera se crever les yeux.


rev. HebraScriptur 6.5
rev. HebraScriptur 7.0