Le lecteur a de quoi sétonner que la même expression hébraïque zer'a qodesh puisse signifier « semence de sainteté » chez Isaïe et « race sainte » chez Esdras. Le lecteur étonné a sous les yeux le parangon de la muraille sémantique qui sépare, depuis vingt-cinq siècles, lhébreu biblique de lhébreu des prêtres judéens devenu par la suite lhébreu moderne. Létonnement ne vient pas du mot zer'a, car les races, comme toutes les espèces animales ou végétales, sont caractérisées par leur semence qui en détermine le profil génétique ; lhébreu na logiquement quun seul mot pour désigner semence et race. Mais ce qui étonne, cest la confusion entre ladjectif et le substantif construits sur le radical QDSh : la « sainteté » qodesh est lue, à tort, comme ladjectif « saint » qadosh. Cette confusion nest pas bénigne ; elle cache une usurpation quil est indispensable de mettre en pleine lumière.
Il faut dabord observer ces deux mots dans leur contexte biblique. La notion de sainteté apparaît la première, au livre de lExode. Lorsque le Dieu dAbraham, Isaac et Jacob se manifeste pour la première fois à Moïse, au Buisson de feu, il lui donne mission de faire sortir son peuple de lenfermement en Égypte. En vérité, cest Yhwh qui va agir, par la main (et la voix) de Moïse et dAaron. Moïse découvrira, et fera découvrir aux fils dIsraël, la puissance de laction divine à lœuvre pour le salut de son peuple. Israël échappe à Pharaon en franchissant la mer Rouge à pied sec, et Moïse confesse alors lœuvre de Yhwh en chantant le cantique qui célèbre la puissance divine : Qui est comme toi parmi les dieux, ô YHWH, qui est comme toi magnifique en sainteté ! (Ex 15, 11).
Dieu agit en sainteté. Cela signifie que Dieu agit gratuitement, par amour pour son peuple. Israël na aucun mérite à recevoir le don de Dieu. Israël na pas demandé à sortir dÉgypte, au contraire a beaucoup murmuré den être parti. Israël na pas offert de sacrifice en vue dobtenir la grâce de sa libération et de son salut. Agir en sainteté soppose à agir par intérêt ; Dieu donne gratuitement à Israël, à qui lon demande seulement de suivre les instructions de Yhwh transmises par Moïse. Yhwh conduit son peuple vers la félicité de sa demeure divine dans le but de faire participer lhumanité à sa divinité. Gratuitement. En sainteté. Cest cette action que Moïse confesse dans le même cantique en chantant : Tu les guides vers la demeure de ta sainteté (Ex 15, 13).
Nous avons appris, par David, que la sainteté de Yhwh demeure au cœur de la communauté des hébreux vivant en frères (Psaumes 132 et 133). Ceci napparaît pas encore aux fils dIsraël qui suivent Moïse, mais les deux versets cités nous disent déjà lessentiel : la sainteté appartient à Dieu seul, et seule laction divine nous y conduit. Notre sainteté nest pas une qualité innée mais une qualité acquise, reçue du ciel. Elle nous vient par la sanctification de lhomme, déjà annoncée aux fils dIsraël dans la torah de Moïse, dune autre manière, un peu plus tard : Vous serez saints, car Je suis Saint, moi, YHWH (Lv 19, 2). Vous accéderez à la sainteté en passant par moi, dit Yhwh, et je vous ferai entrer dans ma demeure. Dans ce verset, nous voyons ladjectif qadosh (saint) qualifier la sainteté parfaite de Yhwh, et qualifier de manière analogue la sainteté future des fils dIsraël (cf. note 15). Or ce futur ne peut advenir que si les fils dIsraël respectent les termes de lalliance divine, sils suivent la voix de la Torah transmise par la bouche de Moïse. Yhwh a fait cette alliance avec eux, sur la montagne du Sinaï, à leur sortie dÉgypte. Une alliance quils ont acceptée sans hésiter (Ex 19, 8), qui les appelle à devenir une nation sainte, goy qadosh. Voici à nouveau ce passage essentiel déjà cité en Première partie :
Moïse est monté vers la divinité.
YHWH lappelle, depuis la montagne, disant :
Cest ainsi que tu parleras à la maison de Jacob, que tu montreras aux enfants dIsraël :
« Vous avez vu ce que jai fait à lÉgypte ;
« que je vous ai portés sur les ailes des aigles ; que je vous ai fait entrer vers moi ;
« Eh bien maintenant, si à lentendre vous écoutez ma voix ; si vous gardez mon alliance ;
« Alors vous êtes pour moi un trésor, entre tous les peuples ; car toute la terre mappartient,
« et vous, vous deviendrez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte. »
Voilà les paroles que tu diras aux enfants dIsraël.
(Exode 19, 3-6)
Aucun doute nest permis. Les fils dIsraël entendent la voix de Yhwh en écoutant Moïse. La Torah, lenseignement de Dieu par la torah de Moïse, les guide au désert du Sinaï vers la sainteté divine, en vue de faire du peuple une nation sainte, un corps saint, un goy qadosh. La même torah les a ensuite guidés pendant près de trois siècles, jusquau jour de David, jusquà la sagesse de Salomon, fils spirituel de David. Le peuple, alors, poursuivait son chemin de sainteté sous la conduite de Salomon. Mais cest alors que tout se gâte. Pourquoi les chefs et les prêtres se sont-ils révoltés contre YHWH et contre son messie ?
Les prêtres et les élites de Juda ont voulu, sans attendre, prendre avant lheure ce que Dieu promettait de donner au terme du pélerinage sur terre. Alors quils refusent de libérer leurs frères tenus en esclavage, alors quils nécoutent pas la voix de Yhwh et quils violent lalliance divine, ils voulaient se prévaloir davoir été choisis pour cette alliance et se sont attribués directement, devant les hommes, la sainteté promise par Dieu. Comme ils ne reconnaissent pas la filiation spirituelle, puisquils refusent la foi humble du Lion de Juda couronnée par la voix dIsraël, comme ils croient, au contraire, à la filiation selon la chair, alors ils ont logiquement attribué cette sainteté à leur propre semence. Ils ont inventé la « race sainte ». Au prix dune petite entorse à la grammaire, mais qui verra la différence entre qodesh et qadosh ? Puisquils sont les maîtres de lécriture, aux fidèles, ils imposeront leur lecture. Avec eux, les mots hébreux ont perdu leur sens.
Ce refus de lire ce qui est écrit aura dautres conséquences. Au Buisson ardent, Dieu sadresse à Moïse et lui demande de laisser ses sandales, parce que le lieu au-dessus duquel tu te tiens est une terre de sainteté (Ex 3, 5). Cette expression, adamat-qodesh, est partout traduite par « terre sainte », ce qui est fautif. La même faute de grammaire correspond à la même incompréhension de ce quest la sainteté. Elle est plus grave ici, car on attribue la sainteté, non plus à un homme qui se larroge indûment avant lheure, mais à un objet inanimé, comme le sol sur lequel on marche, que lon qualifie de « saint ». Nous sommes en pleine idolâtrie.
La même confusion sest ensuite installée sur quantité dobjets que lon a déclarés « saints » ou « sacrés », tels que les objets ou les lieux du culte, ou la convocation liturgique en assemblée. Cette convocation nest ni « sainte » ni « sacrée » comme nous lisons dans nos bibles, elle est une assemblée de sainteté (miqra'-qodesh, Ex 12, 16), comme nous lisons dans la Bible. Israël est convoqué en assemblée pour y entendre la parole de Yhwh (par la voix de Moïse) qui conduit son peuple à la demeure de sa sainteté (et non sa « sainte demeure »). De même le mont Horeb, ou Sinaï, comme plus tard le mont Sion, ne doivent pas être appelés « montagne sainte » mais montagne de la sainteté (har haqodesh). La montagne est signe de la sainteté de Dieu. Ne pas confondre le signe avec la réalité invisible sur laquelle il pointe. Quand le sage contemple la lune et la désigne du doigt, cest le sot qui contemple le doigt. Voici encore lidolâtre.
Ne quittons pas la terre de sainteté - ademat-qodesh, sur laquelle nous avons laissé Moïse, sans rétablir la juste lecture de ce passage, afin de mettre en lumière lerreur dramatique qui prétend, dune terre de sainteté, faire une « terre sainte » cest-à-dire une idole. La scène se situe au-delà du désert, alors que Moïse sengage vers la montagne de Dieu, vers lHoreb (Ex 3, 1). Cest ici la première occurrence du mot Horeb, nom qui fut donné par la suite à la montagne du Sinaï, où Moïse était allé faire paître ses troupeaux. Ce nom évoque laridité du désert, lextrême rigueur dune lame effilée (le glaive, harab, est un mot de même racine), la sécheresse ou la désolation dune terre détruite. Ce nom évoque en vérité lascèse rigoureuse à laquelle se soumet Moïse dans sa recherche de Dieu. Et Dieu entend son appel, comme la prière de David : Mon âme a soif de toi! De toi se languit ma chair, en terre de sécheresse, épuisée de manquer deau (Ps 63, 2).
Dieu va répondre à Moïse. Dieu se manifeste par le Buisson de feu. Voyez alors Moïse faire un détour, pour examiner cette chose étrange : un buisson qui brûle sans se consumer. Dieu le voit faire ce détour, et appelle ensuite Moïse. Pourquoi ensuite ? Parce que le geste de Moïse montre quil nest pas tombé en adoration devant ce que dautres auraient pris pour un « buisson sacré » ; parce que Moïse ny a vu quun signe à déchiffrer, sans confondre le signe avec lInvisible dont ce phénomène étrange manifeste la présence. Alors Dieu, qui déteste les prosternements desclave, entre en relation avec lui. Puis Yhwh invite Moïse à conduire les enfants dIsraël sur ce même chemin, où lui-même vient de rencontrer Dieu.
Ce que Dieu dit à Moïse en cet instant est capital. Cest ici, sur cette montagne, sur cette terre désolée et sans ressources où tu mas rencontré, que toi, Moïse, avec tout le peuple dIsraël, vous accomplirez votre pèlerinage vers la sainteté. Et en effet, cest bien sur cette terre désolée du mont Sinaï, qui soppose aux riches terres des rives du Nil, que les fils dIsraël ont marché pendant quarante ans, conduits par Yhwh sous la houlette de Moïse, vers la demeure de la sainteté divine. Mais hélas ! Devant la manne quils recevaient du ciel, se souvenant des poissons dÉgypte, des oignons, des concombres, des melons, ils ont pleuré de convoitise (Nb 11, 4-6). Ils réclamaient de la viande ! Sur la terre du Sinaï, trop désolée pour eux, ils ont murmuré contre Moïse et contre Yhwh. Cette génération ma irrité, dit Yhwh, ils nentreront pas dans mon repos (Ps 95, 10-11).
Six siècles plus tard, les prêtres judéens refusaient cette lecture de la torah de Moïse. Pour eux, cest Moïse le fautif. Il na pas pu entrer en « terre sainte », tandis que les prêtres, avec Aaron, les Lévites et le peuple, eux sont entrés sur cette terre, ont été choisis comme « race sainte » pour « construire le temple ». Nous avons vu que la vérité de lhistoire les a déjà démasqués. La rigueur de la langue hébraïque dénonce maintenant leurs manœuvres. Mais la géographie les condamne encore : le mont Sion, dont ils ont fait leur « terre sainte », à Jérusalem, est loin, fort loin du mont Sinaï, qui pourtant est lunique endroit où Dieu se révèle à Moïse, seule terre citée en Bible où il fut jamais question de sainteté. Lexpression « terre sainte » est inconnue de la Bible. Il est même impossible de lécrire, car la terre, èreç ou adamah, est un mot féminin, et le mot féminin « sainte », qedashah, y désigne exclusivement une « prostituée ».
Lexploitation sioniste de la Bible a perduré jusquà nos jours. Le manifeste publié en 1998 pour le cinquantième anniversaire de la fondation dIsraël évoque, sous forme dune Prière pour la paix de lÉtat , ce que les Juifs appellent « notre terre sainte » dans les traductions de ce texte. Pourtant, loriginal hébreu doù viennent ces traductions porte lexpression èreç qodeshénou, dont le sens, suivant lhébreu biblique, est la terre de notre sainteté . Pour la Bible, cette expression renvoie à lascèse de lHoreb au désert du Sinaï, pas du tout à la possession de Jérusalem et du mont Sion comme on a voulu le signifier. Le sionisme est désavoué dans lexpression même de sa revendication, alors quil prétend se justifier par la langue biblique quil a voulu bâillonner. Dieu écrit la vérité avec notre péché.
Au temps de David et de Salomon, apogée de la vie spirituelle en Israël, lhébreu biblique constituait le lien nécessaire et suffisant aux échanges de la vie communautaire. Ce nétait sans doute pas le langage employé par le peuple, dans les échanges de sa vie quotidienne (on parlait le judéen au siècle du roi Ézéchias) ; si les mots principaux de la langue sont souvent les mêmes, une élite cultivée na pas le même langage quun peuple illettré. Seuls les prêtres, Lévites, scribes et fidèles, qui se réunissaient dans le temple, comprenaient lhébreu biblique et vivaient de sa sève spirituelle. Par la suite, après David, nous venons de voir comment un mot comme sainteté a pu perdre tout le contenu spirituel dont il était porteur. Cette perte de sens, compréhensible pour un mot abstrait nappartenant pas au vocabulaire courant, menace tout autant les mots simples du langage populaire employés par la Bible. Car ces mots renvoient à un contenu spirituel, volatil par nature, qui sefface avec lusage, jusquà disparaître pour ne plus conserver que son sens le plus matériel. Cette dérive générale a suivi le modèle de lexemple très simple que voici.
Le mot hébreu magen a le sens de bouclier dans le langage populaire. Pour un lettré, ce mot vient de la racine GaNaN qui signifie « protéger », et magen indique ce qui est protecteur, « doù vient la protection ». De cette racine est également issu le mot gan, un « jardin » ; car le jardin, contrairement à la prairie ou à la jungle que piétinent de grands fauves incontrôlés, le jardin est un enclos protégé. Le jardin est protégé par Dieu, en particulier le plus célèbre dentre eux, le jardin dÉden, ce lieu où Dieu dépose lhomme quil vient de créer. Dieu protège lhomme qui écoute sa parole et la suit, comme Moïse, comme David, à la différence dAdam et Ève, ou des prêtres judéens, qui ne suivent pas la parole divine.
Abraham, nous lavons vu, navait dabord pas cru à la protection divine. Il avait jugé nécessaire de se protéger lui-même en demandant à Saraï de dire aux Égyptiens quelle était sa sœur et non sa femme (Gen 13, 12-13). Cest pourquoi lenseignement divin lui fit comprendre, plus tard, que ce nétait pas à lui de se protéger :
Naie pas peur, Abram, cest moi qui suis un protecteur pour toi. (Gen 15, 1)
Le mot magen employé ici a bien le sens de protecteur. Il renvoie le lecteur de la vie dAbraham au tout début de la Genèse, à cet instant de lalliance que Dieu fait avec Adam en le déposant dans le jardin de délices, gan éden, lieu spirituel protégé. Dieu rappelle à Abraham, explicitement, que cette alliance se poursuit avec lui, et que ce nest pas à lhomme de chercher à se protéger : Dieu sen charge. À condition, bien sûr, de suivre sa parole. Cest cette alliance que refusaient les fils dIsraël de la première génération, avec Moïse, et par la suite lélite judéenne de la génération dIsaïe et de Jérémie. Les Judéens, dès lors, ne parlaient plus quune langue hébraïque affadie. Dans ce verset, ils ne lisaient plus que Dieu était le protecteur dAbraham et de ceux qui suivent la parole divine, mais leur « bouclier », comme nous lisons aujourdhui dans nos bibles. Sadresse-t-on à un bouclier pour lui parler ? Va-t-il répondre, faire alliance avec nous ? Dieu peut-il encore protéger des gens qui le considèrent comme un objet utilitaire, quon laisse à la moindre contrariété ? Dieu ! comme nous sommes loin de ce qui est écrit dans la Bible !
Lhébreu biblique est porteur de spiritualité. Il est au-dessus du langage courant que lon parle hors du temple, et son emploi tire vers le haut la communauté, qui monte au temple en se trouvant portée par ce bain rituel ; cette liturgie la sanctifie. La langue, cest la vie de lhomme. La langue irrigue le peuple comme le sang lorganisme : un milieu nous enveloppe, dont lunité préside au métabolisme de chaque cellule en les nourrissant toutes. La langue est le véhicule de notre nourriture spirituelle, pour le meilleur comme pour le pire, charriant avec la même compétence tout ce que le corps assimile et tout ce quil rejette. Comme le sang, la langue est un milieu vivant avec lequel nous sommes en échange permanent, dans les deux sens.
Et cet échange nous construit. Les hommes nignorent pas que leur pensée exerce une influence sur la langue quils parlent, mais bien peu sont conscients de ce que leur langue exerce une influence beaucoup plus forte sur leur propre pensée, et sur leur action, avant même davoir entendu le moindre discours, du simple fait des mots qui existent ou qui nexistent pas , de leur emploi, de leur histoire, de leur grammaire. Tout cela, à notre insu, forge notre pensée quand nous la croyons déjà libre.
Aussi les langues nont-elles pas toutes la même valeur pour chaque homme ; une seule lui convient, qui la porté, engendré, nourri, élevé, et quon nomme pour cela sa langue maternelle. Les autres langues, quon nemploie pas au quotidien mais seulement pour voyager, pour rencontrer dautres cultures, les autres langues demeurent pour nous des langues étrangères, toute notre vie. En Judée, autrefois, lhébreu biblique fut la langue maternelle des fils de la Torah, les fils dIsraël. Dieu construisait avec eux la langue divine, le langage de lesprit, providence de lait et de miel. Mais en se révoltant contre Yhwh et contre son messie, leurs élites se sont coupées du milieu spirituel dans lequel ils baignaient. Princes et prêtres ont cessé de murmurer la torah pour murmurer contre elle, et les mots quelle emploie ont perdu pour eux leur signification ; pour eux, dont cétait la charge den donner le sens. Leur égarement loin des chemins de sainteté a fait tomber en désuétude la langue de lesprit, en a fait une langue étrangère. Lhébreu biblique est devenu langue morte.
Depuis que nous avons identifié la faute des élites judéennes et leur obstination à détourner lhéritage dIsraël dont Juda est le témoin ; depuis que nous avons mis en lumière leur falsification des textes, qui a rendue si difficile notre lecture de lÉcriture dont leurs pieds ont troublé leau limpide ; le lecteur sinquiète peut-être, et la tentation grandit de condamner ces hommes à lorigine de si grands maux. Lhumanité entière maudit Caïn pour avoir commis le premier meurtre, mais ces hommes, nauraient-ils pas fait pire encore en sen prenant aux sources de la vie ?
Une fois encore, il faut dire que nous aurions grand tort de condamner ces hommes. Comme du reste de condamner Caïn. Dieu aime Caïn comme un fils, et tous, nous bénéficions de cet amour de père, comme en bénéficient les prêtres judéens. Dieu déteste le péché, mais il aime le pécheur. Il ne veut pas sa condamnation, mais sa conversion. Pourtant, nous doutons de lamour que Dieu nous porte, parce que nous ne connaissons pas notre péché, et comme les prêtres judéens, nous nous croyons déjà saints. Nous ne voyons plus Dieu. Il se tait, dans lattente de notre retour, mais nous tournons le dos à ce père qui veut nous entourer de sa tendresse ; nous avons rejeté ce « bouclier » douteux, que nous navons pas pu réduire à notre service.
Le doute sur lamour de Dieu est notre plus grand péché. Il touche tous les hommmes, et bien avant les prêtres judéens, dautres hommes ont douté comme eux, et porté un jugement négatif sur les évènements bibliques. Nous allons voir comment la Bible fait parler un homme, un patriarche, dont le jugement hâtif sur laction divine vient de sa lecture biaisée de lévènement quil considère. Ce précédent pourra nous inviter à lindulgence envers les exilés, quune lecture biaisée de la torah de Moïse a conduits à semer livraie dans le bon grain de lÉcriture. Nous aussi, comme eux, nous lisons de manière biaisée les évènements que Dieu suscite. Puisse notre indulgence à leur égard nous mériter celle dont nous aurons besoin, peut-être, quand sonnera notre heure de vérité.
Dans la Bible hébraïque, la racine BaRaKh (bénir) apparaît 480 fois dont 83 en Genèse ; la racine ARaR (exécrer, maudire) ne sy rencontre que 67 fois, dont 9 en Genèse. Cette première observation permet déjà de relativiser les deux actions : il est question de bénédiction sept fois plus souvent que de malédiction (neuf fois plus, en Genèse). Mais il est plus significatif encore dobserver lentrée dans la Genèse des premiers emplois de la racine, avec leur forme verbale : ils sont fondateurs du sens.
Les trois premiers emplois du verbe bénir sont écrits au mode actif intense (Piel), qui marque la volonté forte de celui qui agit pour faire le bien. Cest Dieu qui bénit, dans les trois cas (qui dautre pourrait faire le bien !) :
Parallèlement, un peu plus loin, les trois premiers emplois du verbe maudire sont à la forme simple (Qal) et à la voix passive. Dans les trois cas cest encore Dieu qui parle, mais la voix passive indique que ce nest pas lui qui agit :
Dans les trois cas, cest lhomme qui maudit. Et la forme simple indique quil ny a aucune intention de faire le mal, ce qui supposerait la forme intense, mais que cette malédiction est simple médisance. Le serpent sera maudit (on dira du mal de lui) parce qu« il ma trompée », dit la femme ; la terre sera maudite (toujours par les hommes, qui transpirent à la cultiver) parce que Adam a cédé à la voix dÈve au lieu découter la prescription divine ; Caïn, enfin, sera maudit de la terre qui a bu le sang de son frère. En effet, on na jamais cessé de dire du mal de Caïn. Pourtant, Dieu ne le maudit pas, si peu quil le marque dun signe pour que personne ne le tue. Dieu ne retire pas son amour à Caïn.
La malédiction nest pas une action de Dieu, elle est une conséquence de notre aveuglement par le péché. Mais nous avons vite fait den accuser Dieu. Dès la quatrième occurrence du verbe maudire, nous y sommes :
Celui-ci [Noé] nous réconfortera de notre tâche et du labeur de nos mains, causés par cette terre que YHWH a maudite !
(Gn 5, 29)
Dans cette phrase, prononcée par le patriarche Lamech à la naissance de son fils Noé, le verbe maudire est au mode actif intense, à la forme accomplie, et le mot Dieu est sujet de ce verbe, dont le complément est la terre. Cest exactement la forme grammaticale des trois premières occurrences du verbe bénir. Une lecture trop rapide pourrait donc ici nous induire en erreur, nous faire croire que Dieu a voulu le mal pour la terre. Non ! Cest Lamech qui dit cela. Ce verset ne nous dit pas que « Dieu a maudit la terre », mais que lhomme pécheur ne voit plus la vérité. Car Lamech appartient à cette génération mauvaise exterminée par le déluge ; héritier spirituel dAdam, aveuglé comme lui par le péché, il ne peut plus comprendre les évènements bibliques relatés en Gn 3, 17. Il accuse Dieu de ne pas avoir aimé Adam, de ne pas aimer les hommes. En disant cela, il contredit la parole divine à Adam : à cause de toi, Adam, la terre est maudite, par les hommes.
Dieu ne maudit jamais, ni rien ni personne. On trouve toutefois trois occurrences du verbe maudire sous une forme active ayant le mot Dieu pour sujet. Mais dans chacun de ces cas, le verbe emprunte la forme simple et non la forme intense, ce qui signifie « dire que cest mal » et non « vouloir le mal » ; la forme intense nest employée par Dieu que pour le verbe bénir, « vouloir le bien ». De plus, dans ces trois cas, le complément du verbe, visé par la malédiction divine, est une action humaine mauvaise, que Dieu dit mauvaise : Je bénirai tes bénissants et maudirai tes outrageants (à Abraham, Gn 12, 3) ; Je maudis vos bénédictions, oui, je les maudis (Malachie 2, 2). Cette dernière sentence divine est postérieure au retour à Jérusalem, après lexil à Babylone. Elle vise les mauvais prêtres, ceux qui ont réinvesti le temple reconstruit, et rétabli un culte aberrant ; elle leur fait savoir que leurs « bénédictions » sont mauvaises. Vous avez dévié du chemin, leur dit Yhwh, vous en faites vaciller beaucoup par votre enseignement. Il condamne leurs errements. Dieu ne condamne pas les hommes.
Lexemple du patriarche Lamech, incapable de comprendre pourquoi il nous est si pénible de cultiver la terre, porte en lui dautres enseignements. En particulier, il nous dit que tout, dans la Bible, ne peut pas être lu du même regard, sans discernement. Nous lavions déjà constaté, avec livraie semée dans le champ de lÉcriture par les exilés de Babylone (livre dEsther, Psaume 137) ; et nous voyons maintenant que ces apports frauduleux que nous étions peut-être tentés décarter de lÉcriture ne sont pas seuls à exiger notre prudence et notre réflexion. Dautres passages peuvent nous faire trébucher. Faudra-t-il les écarter ?
Ce nest pas nécessaire. Reconnaître la voix qui parle, voilà ce qui est essentiel. En lisant un verset, il nous faut se demander qui prononce ces paroles. Tout na pas le même poids. Dieu est le seul à ne pas se tromper, et qui ne peut pas nous tromper. Le prophète aussi, parce quil parle en présence de Dieu. Tous les autres, en revanche, nous devons les lire avec un œil critique, comme nous venons de lire Lamech.
Il faut même aller plus loin. La Bible étant un manuel de spiritualité, les propos qui nous sont rapportés ont toujours valeur dexemple, soit pour illustrer la sainteté de Dieu, soit pour nous faire découvrir le péché de lhomme. Autrement dit, rien nest gratuit, et les propos signés dun nom ordinaire cachent toujours une erreur, à découvrir, pour notre édification. Réciproquement, le narrateur biblique, dont personne ne connaît le nom, porte la garantie dune parole communautaire prophétique, écrite sur plusieurs siècles, par la fraternité des passeurs se tenant aux portes de léternité. Cest cela qui fait la limpidité de lÉcriture.
Mais la Bible ne contient pas que des développements limpides. Elle est lumière et ténèbres, elle est semence vivante, corps et esprit. La Bible est terre et ciel. En elle sopposent la clarté de lesprit qui parle depuis le lieu de sainteté, et la lourdeur du corps qui grogne dans la nuit du péché. Impossible de faire le tri, impossible de proposer une nourriture épurée. Ce nest dailleurs pas souhaitable. La Bible doit rester corps et esprit intimement mêlés. La Bible est une, jour et nuit. Car le but de cet enseignement, à lexemple duquel nous sommes conviés, nest pas de nous faire fuir vers le ciel, comme un pur esprit, en échappant au corps trop faible qui nous entraîne vers le bas ; non, le but de cet enseignement est de nous apprendre à monter avec notre corps, à le conduire dans la vie spirituelle. Quand nous lisons la Bible, cest cette progression que nous voyons se réaliser en nous, sous laction divine.
Cest pourquoi rien ne doit être écarté des textes que nous recevons. La communauté juive dAlexandrie avait perçu labsence de tout esprit divin dans le texte hébreu du livre dEsther. Les corrections quelle y a portées ont certes réorienté les textes vers le ciel ; mais en jetant un voile sur ce qui désignait la faute du corps sacerdotal auteur du texte, elle a cautionné les idolâtres de la « race sainte », et renforcé la dérive. La faute des auteurs du livre dEsther devenait difficile à identifier, car cette communauté égarée dans le communautarisme navait rien signé, désireuse dapparaître comme une voix prophétique. Pourtant, cette voix chantait si faux quelle était demblée démasquée. À condition den conserver lenregistrement : nous avons besoin des deux textes, hébreu et grec, car ils sont ensemble une partie vivante du corpus biblique. Leur comparaison, leur histoire, leur place dans lÉcriture, tout nous éclaire pour accéder à la vérité. Cest en voyant la nudité du corps, comme Adam voit la sienne après la faute, que nous comprenons pourquoi notre péché nous a séparés des sources de lesprit.
On dit que lhistoire est toujours écrite par les vainqueurs. Cest vrai pour la Bible, mais on y trouve deux sortes dhistoire, et deux sortes de vainqueurs. Les hommes « font » lhistoire, comme ils lentendent, et racontent ce quils ont vu, ou cru voir, ou voulu voir : histoire visible, écrite par des « vainqueurs » débarrassés de leurs « ennemis ». Ainsi, pour préparer leur retour à Jérusalem, les prêtres de Juda nont pas hésité, dans le livre dEsther, à écrire une histoire de « leur victoire » sur les « tyrans » Perses emmenés par Nabuchodonosor. Et puis, il y a lHistoire invisible, conduite par Dieu depuis les origines, pour engendrer lhomme à la vie divine. Cest Dieu qui écrit, dans la même Bible, mais entre les lignes. Les hommes ne comprennent pas, parce quils ne voient que les apparences et ne se laissent conduire que par elles ; ils ne voient pas laction divine qui les transforme à leur insu. Dieu écrit donc une histoire que personne ne sait lire. Mais au dernier jour, cest lui le vainqueur. Alors, nous serons semblables à lui, nous le verrons tel quil est et nous comprendrons lHistoire, car nous saurons lire Dieu. Même sans avoir jamais appris lhébreu.
Lire Dieu. Ce nest pas évident. Il est vrai que tant de pieds ont troublé la limpidité de lÉcriture. Mais nous lavons dit, cela se voit. Quoique, pour le voir, il y faut un œil clair, ou plutôt, un œil que laction divine a clarifié. Obtenir du ciel un regard clarifié, libre de tout aveuglement, chacun ne le désire-t-il pas en secret ? Il suffit de demander, de crier vers Dieu : Mon âme a soif de toi ! De toi se languit ma chair, en terre de sécheresse, épuisée de manquer deau ! (Ps 63, 2). Nous voici de nouveau ramenés à ce rendez-vous. Dieu nous convoque à sa rencontre, comme il convoque David, le « chéri », le bien-aimé, en désert de Juda. Cest la convocation de sainteté, cest lappel divin.
En répondant à cet appel on entreprend un long voyage. Une montée jalonnée dépreuves. Mais ceux qui sèment dans les larmes, en jubilant moissonneront. Au départ, on sen va, plaintif, portant le poids de la semence ; à larrivée, on entre, jubilant, portant ses gerbes de moisson. Ces deux versets sont la conclusion du Psaume 126, septième des quinze Psaumes des Montées. On y entend la rudesse du chemin, la souffrance du pèlerin qui marche avec sa Bible semence de sainteté. Lappel divin ouvre toujours la perspective aride du mont Horeb, terre de sainteté. Mais le pèlerin nest pas seul ; il marche au milieu de ses frères. Et puis, un jour, on arrive, fruit de nos efforts que promettent ces deux versets, comme déjà lannonçait le troisième cantique des Montées (Ps 122, 2) : Enfin nos pieds se tiennent dans tes portes, Jérusalem. Et lon passe, jubilant, au-delà du mur invisible.
Ceux qui vont au-delà de ce mur invisible sont les passeurs, les hébreux. Nous les avons déjà brièvement rencontrés au terme de leur montée. Souvenez-vous, après cette discussion oiseuse sur la résidence de Yhwh, la demeure de la sainteté divine nous est apparue au sein de la fraternité (Ps 133, 3) ; cest là que Yhwh ordonne la bénédiction, la vie au temps secret, au temps qui nappartient quà Dieu. Et cest de là, depuis cette demeure céleste, depuis cette Jérusalem den haut, que Dieu entoure les frères de sa protection. Cest depuis ce jardin de ses amours encloses que la fraternité, qui parle devant Dieu, nous adresse sa bénédiction. YHWH te bénit depuis Sion, faisant cieux et terre (Ps 134, 3).
À qui parlent-ils, ces frères serviteurs de Yhwh, qui portent une sainteté de leurs mains ? À vous, à nous, frères humains, à toi, à moi, à qui sest engagé sur le chemin aride des Montées pour venir les rejoindre. Ils parlent en prophète, au nom du Dieu trois fois saint qui les envoie vers nous, comme autrefois Abraham, premier prophète de la Bible, fut envoyé vers Abimélek touché par le mal. Abraham intercéda auprès de Yhwh, et Dieu guérit Abimélek. La fraternité des passeurs intercède pour nous, et si nous croyons en eux, comme Abimélek crut en Abraham, alors nous serons guéris de notre mal, par la bénédiction divine quils nous donnent. De la part de Yhwh, au nom du Dieu de miséricorde qui de leurs mains bénissantes édifie Jérusalem, faisant ainsi cieux et terre, faisant du ciel et de la terre quil a créés, des cieux nouveaux, une terre nouvelle.
YHWH te bénit depuis Sion. Mesurons ici ce qui sépare encore le ciel de la terre. Le corps transfiguré de ces passeurs déternité nous bénit depuis le ciel. Ce que nous vivons là était annoncé dès le Psaume 129, dixième étape des Montées : Ceux qui vont au-delà ne disent plus « Bénédiction de YHWH pour vous », mais ils disent, parce quil sont au terme de leur montée, en présence du Très-Haut : Nous vous bénissons au nom de YHWH. Les autres, encore sur terre et loin de Dieu, disent comme nous ici-bas : « Dieu vous bénisse ! » Billevesées qui nengagent personne ! Nous parlons dans le vide, comme si nous avions prise sur Dieu dont nous sommes si loin. On aperçoit ici ce gouffre dincommunication, entre la langue divine de ceux qui vont au-delà, et notre langue de bois, toujours collée à « notre terre », si loin de la sainteté, si prolixe en vœux impuissants dun monde convenu.
Et puis un jour, cest lappel. On entend, on écoute, on sent, on devine. On se décide à partir. On quitte sa mère, sa métropole, sa langue maternelle, son pays, la maison de son père. On affronte la réprobation générale, mais on veut apprendre cette langue étrangère au monde un monde qui vit dans la jungle, à couteau tiré, la tête enfoncée dans les épaules , on veut apprendre la langue de la Bible, abandonner la langue de bois. Oui, Dieu éternel, délivre-moi de cette langue de complaisance ! (Ps 120, 2). Nous apprendrons la langue de lesprit, la langue divine, nous parlerons la langue du service en ouvrant notre cœur. Nous partons pour un très long voyage, rejoindre les pèlerins des Montées, les fils dIsraël. Pour le pays des passeurs déternité. Nous allons vers la demeure de sainteté où résident lamour des frères et la vérité de Dieu.
Le cœur de la Bible, cest le livre des Psaumes.
Les quinze Psaumes des Montées, que nous venons de citer à plusieurs reprises, occupent une place de choix dans ce livre. Ils jalonnent les phases essentielles dun itinéraire qui peut revêtir mille visages différents, pour mille pèlerins de tous les temps, et cet itinéraire conduit toujours lhomme qui sy engage, depuis le monde des complaisances auquel il renonce jusquà la vie de fraternité des hommes que Dieu protège, dans les murs de la Jérusalem céleste.
Les Psaumes des Montées ne sont que la « partie visible de liceberg » : un chapelet de quinze cantiques couronnant un corps de cent-cinquante psaumes qui sont la nourriture pour cette marche de longue haleine. Ils nous accompagnent dans lapprentissage de notre croissance spirituelle, ils guident notre éducation à la vie de lau-delà. Aborder ce voyage, même avec un tel guide, ne se fait pas sans préparation. On ne se lance pas dans la course des champions sans avoir longuement entraîné son corps aux épreuves qui lattendent. Même combat pour le ciel. La vie spirituelle est un sport dont lentraînement quotidien est la lecture de la Bible et sa méditation par les Psaumes. Dès la première page du recueil, ce livre ne nous dit rien dautre, si ce nest quil nous suggère demblée quelques passe-temps auxquels nous pourrions renoncer, afin de se rendre disponible à la lecture biblique. Ce sont les tout premiers mots du Psaume 1. Ils nous mettent sur la bonne voie.
- Lhomme sur la bonne voie. [ou Les bonheurs de lhomme. ]
Celui qui ne donne suite a aucune intention de malveillances,
qui dans aucune habitude de dévoyés ne persiste,
ni dans aucune tribune de détracteurs ne sinstalle,- mais plutôt, dans la Torah de YHWH, ses délices,
dans sa bible donc, va ruminer, jour et nuit,- celui-là vivra. Tel un arbre planté près du cours des eaux,
qui donnera son fruit, à son heure, son « feuillage » ne flétrira pas,
et tout ce quil va faire conduira au succès.
- Rien de tel pour les malfaisants,
qui sont plutôt comme ce fétu que vent emporte,
- et donc, ne se présenteront pas impies, au jugement,
ni pécheurs, à lassemblée des justes.
- Cest parce que YHWH connaît le chemin des justes
que le cours des malveillances se perd.
Ce psaume nous présente une alternative très simple. Il oppose le juste qui se délecte à lire la Bible, aux experts en calculs malveillants, et autres habitués de la débauche ou du dénigrement. On observe cependant, aux versets 4 et 5, que tous ces malfaisants ne sont pas condamnés ; leurs fautes seules sont condamnées : on attend leur conversion. À défaut de laquelle, bien sûr, ils ne lemporteront pas en Paradis quand sonnera pour eux la trompette du Jugement.
Mais le dernier verset est plus éclairant encore. Car il nous donne la clef de la victoire de Dieu qui est le salut du juste. Celui-ci, constamment persécuté par le monde qui le rejette, périrait vite sous les malveillances de ses détracteurs. Cest pourquoi Dieu le protège, en désamorçant les pièges quon lui tend. Son salut nest pas dans la fuite en une tour divoire ; le juste ne craint pas de vivre dans le monde, Dieu le protège. Reste à savoir qui est assez juste pour demeurer sous cette protection. Au temps de David, la fraternité des hébreux, dont lâme tendue touche au ciel ; elle vit hors datteinte du monde, protégée par la muraille de lau-delà impénétrable au commun des mortels. Autrefois, Noé, lhomme juste, qui marche avec la divinité ; Noé fut sauvé du déluge dans son arche, sauvé surtout dêtre entraîné dans la mort par la génération mauvaise au sein de laquelle il vivait. Adam lui-même, premier juste avant la chute ; avant dêtre chassé du jardin dÉden, Adam est protégé dans lenclos de délices. Cest là que Dieu, après lavoir béni, le dépose pour servir, tout entouré de la bénédiction du ciel.
Nous voici de retour au jardin, ce bel enclos de nos amours divines que lon devine au Psaume premier. Voici le verger où prospère cet arbre planté près du cours des eaux. Abreuvé comme le juste aux eaux célestes de la Bible, il donnera son fruit, en son temps. Dans lattente de cet heureux évènement, son « feuillage » reste vert. Il faut savoir ici, que le mot feuillage (hébreu 'aleh) vient de la racine 'alah, « monter ». Le feuillage est ce quil y a de plus élevé dans larbre, à la pointe de lêtre végétal le plus évolué ; de larbre, ce feuillage nous renvoie au plus haut du vivant, au sommet de lévolution, à lesprit de lhomme. Un même tropisme les tire vers le ciel.
Dans cette parabole de larbre, on ne voit pas le jardinier. Il plante pourtant, il cultive le jardin, comme Dieu crée et fait croître lhomme. Une terre arrosée et cultivée ne suffit pas pour que larbre donne son fruit, il faut encore émonder, tailler quand cest nécessaire. À défaut larbre végète, foisonne en branches gourmandes et ne fait pas de fruit. Sans guide, lhomme en croissance irait ainsi, pressé par la nature ; si rien ne larrête il fera nimporte quoi ; sait-il que le feu brûle et que le poison tue ? Cest pourquoi le tout premier verset de notre Psaume premier doit être regardé comme le sécateur du jardinier divin, qui élague nos gourmandises sans avenir autre que la mort lente.
David, ou peut-être son fils Salomon, en rédigeant cette introduction au Psautier, récapitule toute lexpérience humaine de la rencontre divine. Devant Dieu, il a retrouvé son âme denfant, et cet enfant ne cherche plus, il connaît Dieu. Il écrit pour nous qui vieillissons, lassés davoir à chercher encore, nous qui ne connaissons du jardinier que son sécateur. Nous avons à comprendre nos revers, à chercher en quoi nous faisions fausse route. Le Psautier nous aide. David y livre toute son expérience des errements de lhomme dans sa marche vers le ciel, son attente, sa plainte, sa prière. Et sa gratitude joyeuse dans la rencontre. Mais rien ne filtre du dialogue avec Dieu, secret par essence. Le monde ne saura rien de ce qui motive la louange de David, mais il peut tout savoir de ce qui en retardait léchéance. Le pèlerin le découvre avec David, et reconnaît en lui-même combien ses égarements ont retardé, en effet, linstant béni de recueillir le fruit. Dieu veillait sur lui. Cest tout cet inutile, toute cette agitation, que le jardinier divin élague de notre arbre. Le Psautier de David est son recueil démondage. (note 16)
Le Psaume 1 que nous venons de lire nest pas toute lintroduction du Psautier. Elle comprend deux psaumes, le Psaume 1 et le Psaume 2. Cette bipartition nest pas artificielle, elle est porteuse de sens pour un hébreu. Un sens qui se précise en observant que le Psaume 1 comporte six versets quand le Psaume 2 en compte douze. LÉcriture nous dit là quelque chose entre les lignes, un mouvement de un à deux, autour du chiffre six. Or le six nous renvoie au sixième jour de la création, quand Dieu crée lhomme à son image ; et le passage de 1 à 2, chiffres quun hébreu écrit avec les lettres aleph et beit, énonce le mot ab qui signifie père. Le jardinier invisible des psaumes, qui émonde son arbre, est aussi un père, qui élève son enfant. Dieu est ce père invisible qui crée lhomme à son image pour faire de lui son fils.
Si les Psaumes 1 et 2 suggèrent ensemble, entre les lignes, que Dieu appelle lhomme à devenir son fils, le Psaume 2 le dit explicitement. Nasheqou-bar, embrassez la filiation, Devenez fils nous dira le verset 12, juste avant de conclure de manière abrupte : si vous refusez de devenir son fils, vous périrez dans sa colère au jour du jugement. Alors, voyez que vous serez heureux davoir mis votre confiance en lui, vous serez sur la bonne voie. Et lon reconnaît, dans cette dernière formule du verset 12 qui ferme le Psaume 2, la formule titre qui ouvre le Psaume 1. Procédé littéraire habituel de la langue biblique : pour envelopper lunité du message, en inclusion comme une amande dans sa coque dure ; pour arrêter le regard et circonscrire le fruit.
Avant même davoir lu le second psaume, nous percevons déjà le thème principal de cette introduction, visible à travers les formes. On trouvera plus loin le texte du Psaume 2, regroupé avec ceux qui forment ensemble ce que nous pourrons considérer comme le centre vital du Psautier ; mais déjà le thème principal sen dégage, qui va nous conduire au cœur de la Bible. Dans linvitation qui nous presse à épouser la filiation divine, nous reconnaissons la maxime du Lion de Juda : Demeure vers le Lion, mon fils, sois comme ce lionceau qui demande tout à son père et reçoit tout de lui. Cest lhéritage dIsraël, qui a guidé David et la conduit, au terme des Montées, jusquau chant de louange de la fraternité (Ps 133) dans la cité céleste.
Le thème du fils est développé dans le Psaume 2. Doublement pourrait-on dire, car il met en scène deux sortes de fils. Il y a dabord celui qui rejette la filiation divine, lhomme en révolte contre Dieu. Il murmure contre la torah, jugée inutile ; il proteste contre les devoirs de la communauté. Il prend ce quil estime lui revenir du don de Dieu, et abandonne la famille. Il refuse dêtre fils obéissant. Cest lattitude que nous avons déjà rencontrée chez les prêtres judéens. Et plus profondément, depuis Salomon jusquà lexil à Babylone, pendant plus de quatre siècles cest lattitude de lélite dIsraël, cœur sec et relâchement dun esprit qui renâcle en écartant Dieu, jusquà provoquer la sanction du Juge.
Et puis il y a le fils qui embrasse la filiation , suivant lappel conclusif du Psaume 2 : nasheqou-bar. Cest le messie, oint du Seigneur, le serviteur de Dieu. Fils à lécoute de la volonté du père invisible, il ne se révolte pas dans ladversité. Dieu lui donne tous les pouvoirs, et lenvoie dans le monde pour parler en son nom. Cest la grande nouveauté du Psaume 2. Lhomme était seul avec Dieu au Psaume 1, seul avec sa torah ; au Psaume 2, le messie devient pour lui ce roi spirituel dont il va suivre la parole divine, traduite en langage dhomme pécheur. Mais aussi, sa venue annonce le jugement. Il exhorte à se convertir dès maintenant : « Embrassez la filiation ». Car il reçoit aussi pouvoir de réduire en miettes ceux qui sobstinent contre Dieu. Ainsi fut réduite la nation judéenne, par un roi de Perse précurseur du messie de la fin des temps.
Dans la Bible comme en dehors delle, lhomme est tout à la fois ce fils rétif, dominé par un corps lourd qui renâcle en le tirant vers le bas, et ce fils apaisé, qui écoute son père et se laisse habiter par lesprit qui le tire vers le haut. Cest vrai pour tous les groupes humains, que menacent les corporatismes du monde nationalisme judéen, sionisme de lélite dIsraël quand ils refusent de sélever avec leurs pères spirituels Abraham, Israël, Moïse. Mais cest encore plus vrai pour chacun dentre nous, corps et esprit, qui sommes tour à tour le fils qui sabaisse et demeure vers le Lion son père, ou le léopard qui se lève pour rugir. Les frontières du bien et du mal ne passent pas entre nos frères et nous, mais en chacun de nous. À chacun de mener son combat, contre ses propres insuffisances. Avec David, nous avons sous les yeux lexemple dun si grand pécheur, que sa belle relation mystique avec le père invisible nous assure du succès ; sa prière sera notre meilleur guide.
À la suite du Psaume 2, trois autres psaumes vont nous permettre dapprofondir notre méditation sur la filiation à laquelle nous sommes appelés. Ce sont les Psaumes 40, 63, et 75 (cf. note 17).
Nous avons déjà rencontré le Psaume 63 à plusieurs reprises. Psaume de David en désert de Juda , il décrit la prière du messie naissant, du juste persécuté qui découvre la providence divine et chante la louange de Yhwh. Après une brève évocation du jugement encouru par les persécuteurs du juste (Ps 63, 10-11), le verset 63, 12 nous révèle comment Dieu couronne son messie, comment il en fait son témoin, pour lhomme qui sengage en lui (Ps 63, 12b), pour lhomme qui met sa confiance en lui disait le Psaume 2 (12b). Ce parallélisme entre Ps 63 et Ps 2 est renforcé ici par une ambiguïté commune sur le pronom lui, qui peut tout aussi bien désigner Dieu que son messie. Ce recouvrement exprime le sens profond de cette conclusion, dans les deux cas : le messie a reçu tous les pouvoirs divins, y compris le pouvoir de pardonner. Dieu fait grâce au pécheur qui met sa confiance en son messie, en sa parole ; il en sera glorifié.
Le Psaume 40 nous révèle les modalités de la relation mystique entre David et Dieu. Sans jamais rien livrer du contenu de léchange, ce psaume expose dabord que tout repose sur la foi du messie et sur son espérance en son seigneur Dieu. « Il me met sur la bonne voie et my ramène quand je sombre » (versets 2 et 3). Si le messie glorifie Dieu pour son action, cest dabord parce quil en exulte de joie. Et sa louange plaît à Dieu. Non que Dieu se plaise à être loué, mais parce que le chant du messie témoigne de laction divine devant les hommes ; il célèbre cette action entièrement ordonnée au bonheur de lhomme, et ce dernier se doit alors de rechercher Dieu au lieu de le fuir, afin découter et de suivre sa parole. Avec le témoignage de David, les hommes découvrent que Dieu, par sa parole, par son action dans le monde, fait de chacun de nous un homme juste (versets 10 à 12) en marche vers le bonheur de la sainteté.
Les versets 7 à 9 nous disent pourquoi Dieu nous demande des sacrifices. Ce nest pas pour lui mais pour nous, qui en avons besoin pour affiner notre écoute, pour apprendre à nous détacher de nos peurs de manquer ou de souffrir, car elles nous rendent sourds. Le modèle de ce mouvement spirituel, douloureux mais nécessaire comme le sécateur du jardinier, est donné par Abraham partant sacrifier son fils Isaac (Genèse, ch. 22, cf. note 18). Les mêmes versets 7 à 9 du Psaume 40 nous apprennent encore que la parole divine va bien au-delà de la Bible. Si Dieu lit dans notre esprit comme en un livre ouvert, il y écrit pareillement. Avec les évènements qui nous touchent et sont pour nous invitation, annonce prophétique. Seul notre péché nous aveugle et nous empêche de lire ces signes des temps. Aux versets 13 et 14, David nous enseigne que Dieu nous délivrera du péché. Si nous en faisons la demande.
Rien ne nous y contraint. Dieu nous appelle sans cesse, mais nous sommes libres de répondre ou de fuir. Dieu ne veut pas de prosternements desclaves contraints. Il cherche des hommes capables de risquer leur vie pour suivre sa parole. Il nest pas écouté, car sa parole annonce lamertume ; elle conduit pourtant au bonheur. Au terme de sa montée, pauvre et démuni (Ps 40, 18) mais affranchi de la crainte (Isaïe 54, 14), certain que son seigneur ne décevra pas son espérance tu ne tarderas pas , lhomme devient juste, parce quil attend tout et reçoit tout de la providence divine. Comme le petit du Lion de Juda. Comblé par Dieu, qui lexalte en le grandissant, il devient alors un homme qui aime (Ps 40, 17). Cest la victoire de Dieu : des hommes qui aiment ce quils reçoivent de leur père du ciel. Victoire sur les forces du mal, qui nous retiennent prisonniers dans la peur de souffrir, ou de manquer.
Lamertume est inévitable. Pour atteindre le fruit de lamande, il faut traverser la peau sèche et la coque ligneuse. Pour atteindre les jardins secrets de la rencontre divine, il faut traverser les épreuves du dépouillement qui ouvre les portes de la liberté féconde. Cest ce que nous dit le livre des Psaumes, dès les premiers mots du Psaume 1 le sécateur du jardinier divin , et que confirme le Psaume 75 dans sa conclusion : Je vais émonder pour le Dieu de Jacob, dit le messie des derniers jours, et je briserai tous les pouvoirs des malveillances (Ps 75, 10b-11a).
Lamertume de lémondage, quand elle est acceptée avant, nest rien à côté de lamertume du jugement subie après le temps de grâce pour se convertir. Cest ce que nous disent les Psaumes 2 et 75, dont le texte évoque les affres du jour de colère. Au Psaume 2, le messie envoyé par le Seigneur demeurant dans les cieux Dieu, pour tous les peuples , confirme quil a reçu tous les pouvoirs, y compris celui danéantir les irréductibles du corporatisme. Au Psaume 75, on voit sapprocher le terme (versets 3 et 4) et lon entend le messie multiplier les avertissements aux orgueilleux et aux malfaisants. Les insensés ! Comprennent-ils bien que ces jours sont vraiment les derniers ? Bientôt il sera trop tard !
Cependant le Psaume 75 présente une différence considérable avec le Psaume 2. Alors que le thème dominant, dans lintroduction, est la destruction des ennemis de Dieu par le messie qui les brisera comme vase de potier, dans ce psaume des derniers temps, nous voyons au contraire le messie demander à Dieu la grâce de ceux qui ne sont pas encore convertis. Tu ne détruiras pas ! Et cette prière vient même avant le titre du psaume. Au moment où vont se rassembler les justes pour chanter Dieu, le messie nous apparaît comme le médiateur qui intercède en notre faveur. Il implore la miséricorde divine sur le peuple, faisant valoir que nombreux, déjà, sont ceux qui louent le nom du Très-Haut en témoignant des merveilles quils lui doivent. Rien ne presse. Au temps que je fixerai, je jugerai moi-même avec droiture. Dici là, laissant encore une chance aux pécheurs, le messie va briser leurs pouvoirs de malveillance comme on le pressentait en Ps 1, 6 , et le juste va prospérer sous sa protection. En voyant ainsi surseoir à lexécution de la sentence, on sinterroge : le messie des derniers temps est-il encore ce bras justicier que Yhwh a oint au Psaume 2 ?
Pour comprendre, il faut se reporter aux évènements qui ont fait naître la royauté spirituelle de David et sa messianité. Nous lavions observé au Psaume 63, Dieu montre au roi Saül la puissance de son pardon par la main de David. David a épargné le pécheur livré à sa merci, en résistant jusquau bout à la tentation déliminer son persécuteur. Cette épreuve, traversée avec succès, le rend digne de recevoir tous les pouvoirs divins ; désormais, tout homme qui sengage sur la parole du roi messie en est glorifié, et ne peut pas se tromper (Ps 63, 12 : la bouche de mensonge est close). David messie a reçu le pouvoir daccorder la grâce divine.
Au Psaume 75 (qui na pas le titre de Psaume de David), nous voyons le messie des derniers jours invoquer ce pouvoir. Agir ainsi fait de lui le fils spirituel de David. Car il a reçu le pouvoir de détruire, il est dans la même situation que David devant son persécuteur endormi et livré entre ses mains ; pourtant, il fait grâce à son ennemi. Il accorde un sursis. En même temps, il invoque le pouvoir divin de protéger le juste en détournant le cours des malveillances, comme en Ps 1, 6. Alors tous les hommes pourront suivre le chemin des justes, connu de Dieu seul, et chanter le cantique du rassemblement (Ps 75, 11). Je briserai tous les pouvoirs des malveillances. Les forces du juste vont sélever.
Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais quil ne pèche plus. Une fois encore, alors que déjà le Juge est à nos portes, le messie de Dieu accomplit la volonté divine ; son attitude le révèle fils de David. Sa filiation se voit encore dune autre manière. Lincipit du Psaume 75, Pour laccomplissement, tu ne détruiras rien, nest pas unique au Psautier ; on le rencontre à trois reprises, aux Psaumes 57, 58 et 59. Or ces trois psaumes, tous les trois de David, se rapportent à la persécution dont le roi mystique eut à souffrir de Saül avant dêtre couronné. Cest parce que David fait grâce à son ennemi livré en son pouvoir, que Dieu remporte la victoire sur les forces du mal. À son tour, pour le rassemblement cantique, le messie des derniers temps donne à Dieu la victoire totale sur tous les pouvoirs du mal. Non plus pour un seul homme pécheur qui devient juste, mais pour lhumanité entière. Pour les justes du peuple de Dieu qui entrent en éternité.
Les Psaumes 2, 40, 63 et 75 peuvent être regardés comme le centre vital du Psautier, au cœur de la Bible. Ils se présentent à nous sous des formes qui déjà nous parlent, levant ainsi sur le mystère de Dieu et de son messie une partie du voile qui le recouvre. Les symétries qui les structurent font apparaître les enveloppes successives quil faut dabord pénétrer, avant de pouvoir goûter au fruit invisible quelles protègent. Ce sont dabord les psaumes de lenveloppe externe, que découvrent les peuples étrangers ne connaissant pas David : les Psaumes 2 et 75, où ne figure nulle part le nom de David, et dans lesquels Dieu est nommé Élohim (Dieu), Adonaï (Seigneur), ou bien est désigné dune périphrase compréhensible de tous. Au contraire, David appelle Dieu « YHWH » dans sa relation intime, le nom que seuls connaissent les fils dIsraël. Cest ce quon observe dans les psaumes de lenveloppe interne, à découvrir ensuite lorsque lenveloppe externe est maîtrisée. Là, les Psaumes 40 et 63 sont tous les deux de David. Ils ne seront parfaitement compris que si lon connaît bien la vie du roi ; à lire dans les autres livres de la Bible. Notamment les circonstances dans lesquelles est née sa royauté messianique, en désert de Juda, avec le Psaume 63, mais aussi dautres moments forts de son expérience mystique, quand il est sur le point de parvenir à laccomplissement, comme à lenseigne du Psaume 40.
La connaissance de Dieu progresse ainsi vers le plus secret, jusquau cœur du mystère. Elle suit très exactement loracle dIsaïe. Venus de loin, les peuples étrangers à Israël rencontrent dabord le visage universel déjà remarqué dans loracle, ce visage de la fin des temps qui enveloppe et voile le mystère : Il arrivera dans les derniers jours, que la montagne . Les nations afflueront, et des peuples nombreux voudront suivre les voies du Dieu de Jacob, car ils ont appris que de Sion sortira un enseignement, et de Jérusalem la parole de YHWH. Cest pourquoi, en ces jours-là dit encore le prophète Zacharie, dix mortels, de toutes langues des nations, saisiront un homme juif par le pan de son manteau, et ils iront avec lui, quil leur enseigne la connaissance de Dieu par le nom de Yhwh.
La Bible des Juifs conduira jusquau cœur du mystère divin lhomme nourri par ces deux Psaumes de David qui témoignent du messie prophète et roi. Comme autrefois Juda fut couronné dans le testament de Jacob (Gen 49, 9), David est ici couronné de la royauté spirituelle, et sa parole prophétique nous fait entrer dans le mystère intime du cœur de Dieu, jusquau sommet de léchelle de Jacob. Le prophète qui nous y invite a pour nom Zacharie, zachar-YaH, Dieu se souvient. Et nous nous souviendrons que cette parole divine fut celle qui accueillit autrefois le premier homme juste sauvé des eaux, lorsquà lissue du déluge de la Genèse lÉcriture nous dit : Dieu se souvint de Noé.
Au fracas que font entendre les rebelles, brisés comme vase de potier par le bras du messie, succède le silence habité de la contemplation. Contemplation qui sappuie sur cette prière en deux temps de la relation mystique : le temps de lamertume et le temps de la douceur. Amertume et désolation de la nuit, quand mon seigneur mappelle à sacrifier quelque lien de confort ou de complaisance qui mentrave à mon insu. Des maux innombrables mont débordé. Mes péchés mont submergé, et je ne peux plus voir. Délivre-moi, Seigneur ! Mon âme a soif de toi ! De toi se languit ma chair, en terre de sécheresse, épuisée de manquer deau. Douceur et consolation du jour divin, quand je découvre que ma rupture avec ces liens libère en moi une écoute nouvelle, et clarifie mon regard. Tu me creusais des oreilles ! Et ton visage sillumine pour moi. Ma bouche rend grâce sur des lèvres dallégresse. À faire ta volonté, mon Dieu, je prends plaisir. Je crie de joie à lombre de tes ailes !
Les Psaumes 40 et 63 sont les ailes divines que David a décrites pour nous. Elles abritent le cœur de Dieu, elles abritent le cœur à cœur avec Dieu. Mystère damour, silence habité de la miséricorde infinie. Entre ces deux ailes un cœur bat, qui veut parler au cœur de chacun dentre nous. Il parle avec cette voix du silence ténu dont le prophète Élie fut le témoin, alors quil se tenait à la montagne de lHoreb où jadis Moïse avait rencontré Dieu dans le Buisson de feu.
- Pourquoi des « nations » protestent
que des communautés ruminent en vain.- Ils se soulèvent (régisseurs de domaines, et hauts personnages ont conspiré ensemble)
contre YHWH. Et contre son messie :- Nous allons rompre avec leurs contraintes disciplinaires,
et nous ferons bien tomber leurs liens avec nous .
- Demeurant dans les cieux, il samuse
le Seigneur, il se moque deux.- Alors, à leur intention, il va parler de sa colère
dont lardeur les intimidera :- « Cest moi qui ai sacré mon roi
sur Sion, montagne de ma sainteté ».
- Je vais rapporter le décret de YHWH :
Il ma dit : « Tu es mon fils.
« Moi, aujourdhui, je tai engendré.- « Demande-moi, et je mettrai des nations dans ton héritage,
« en ta possession, des limites de domaines ;- « tu les briseras dun sceptre de fer,
« comme un vase de potier, tu les mettras en miettes ».
- Alors maintenant, régnants, montrez-vous avisés !
Laissez-vous corriger, vous qui gouvernez des mondes !- Servez YHWH avec crainte,
exultez, frémissez de joie !- Devenez fils. Sinon gare à sa colère
(et vous feriez fausse route, car il senflamme comme un rien).
Sur la bonne voie : tous ceux qui se confient en lui .
- Pour laccomplissement. Psaume de David.
- Espérer ! jai mis mon espérance en YHWH,
et il se porte vers moi : il entend mon appel.- Il me fait remonter de la fosse de tumulte, du bouillonnement de la fange,
et rétablit mes pieds sur le roc. Il ma remis sur la bonne voie.- Puis il met dans ma bouche un chant nouveau, une louange à notre Dieu.
Nombreux sont ceux qui verront, qui craindront,
et ils mettront leur confiance en YHWH.- Heureux lhomme fort, qui fait de YHWH son confident ;
il ne sest pas tourné vers les prétentieux, et se tient à lécart du mensonge.- Toi, YHWH mon Dieu, tu fais dinnombrables choses !
Tes merveilles et tes pensées à notre intention ! Nul nest comparable à toi.
Pourrais-je les présenter ? ou les décrire ?
Leur nombre défie linventaire !- Tu ne désirais ni sacrifice ni offrande,
tu me creusais des oreilles !
Tu nexiges ni consomption ni expiation.- Alors jai dit : vois, je suis entré,
dans le déroulement du livre, inscrit en moi.- À faire ta volonté, mon Dieu, je prends plaisir,
à ta parole, au cur de mes entrailles.- Jai porté la bonne nouvelle de Justice dans la grande assemblée.
Daigne voir mes lèvres, je ne les retiens pas,
YHWH ! Toi, tu le sais.- Ta justice, je ne lai pas occultée au fond de mon cur ;
ta fidélité et ta victoire, je lai dit,
je nai pas dissimulé ta bonté ni ta vérité, à la grande assemblée.- Toi, YHWH, tu ne retiendras pas ta tendresse pour moi ;
ta bonté et ta vérité, constamment me préserveront.- Car des maux innombrables mont débordé ;
mes péchés mont submergé et je ne peux plus voir,
ils sont plus nombreux que les cheveux de ma tête , et mon courage ma abandonné.- Prends du plaisir, YHWH, à me délivrer ;
YHWH ! daigne te hâter à mon aide.- Ceux qui recherchent mon âme pour la détruire seront confondus et honteux, tout simplement ;
renvoyés et bannis, les désireux de mon malheur ;- eux qui ricanent de moi « eheh ! »
seront stupéfaits de leur fin honteuse.- Tous ceux qui te cherchent exulteront et se réjouiront en toi.
Ils diront sans cesse : « YHWH grandit
ceux qui aiment ». Ta victoire !- Quant à moi, pauvre et démuni, mon Seigneur prendra soin de moi.
Mon aide, ma délivrance, cest toi.
Mon Dieu Tu ne tarderas pas.
- Psaume de David
quand il est « en désert de Juda ».- O Dieu! mon tout-puissant cest toi! Je te cherche dès laurore.
Mon âme a soif de toi! De toi se languit ma chair
en terre de sécheresse, épuisée de manquer deau.- Cest ainsi, dans la sainteté, que je tai contemplé
en une vision de ta puissance et de ta gloire.- Parce que ta bonté est meilleure que la vie
mes lèvres veulent te louer.- Cest ainsi que je te bénis dans ma vie :
en ton nom, je tends les mains!- Comme de crème et dopulence mon âme se rassasie,
et ma bouche rend grâce sur des lèvres dallégresse.- Dès que jai fait mémoire de toi sur ma couche,
aux veilles de nuit, je médite en toi.- Toi, qui es devenu un allié pour moi ;
aussi je crie de joie à lombre de tes ailes!- Mon âme sest serrée derrière toi :
en moi, elle a saisi ta main droite.
- Mais ceux-là ! pour détruire, ils recherchent mon âme!
Ils aboutiront aux profondeurs de la terre,- ils dévaleront ça sous la férule du glaive,
ils seront la part des renards!- Le roi, lui, se réjouira en Dieu.
Qui sengage totalement en lui en sera glorifié,
car la bouche des diseurs de mensonge sera close.
- « Pour laccomplissement, tu ne laisseras pas se corrompre ! »
Psaume pour le rassemblement cantique.- Nous te louons, ô Dieu, nous louons ton nom, si proche.
On raconte tes merveilles.- Quand je fixerai le moment
cest moi qui jugerai, avec droiture.- La terre et tous ses habitants sont en train de se dissoudre ;
jai moi-même sondé ses bases. Attention !- Jai dit aux orgueilleux, vous vous glorifiez de rien !
et aux malfaisants, vous ne faites croître aucune force spirituelle !- Vous ne faites rien pour élever votre propre force :
vous parlez avec la raideur du prétentieux !- Car ce nest ni du levant, ni du couchant,
ni des montagnes du désert- que Dieu juge,
abaisse celui-ci, élève celui-là ;- mais une coupe, en la main de YHWH, est remplie dune mixture de vin qui fermente,
et il en verse à plein bord ! Rien que de la lie ! Ils sucent, ils boivent,
tous ! les malfaisants de la terre.
- Quant à moi, jannonce léternité.
Je vais émonder, pour le Dieu de Jacob,- et tout le pouvoir des malfaisants, je le briserai.
Les forces du juste vont sélever.