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Bible et Anthropologie

L’animal et la considération


À la suite d’une conférence du philosophe Luc Ferry (note 1), portant sur la pluralité des civilisations et sur la question des droits de l’homme, un débat s’est engagé entre le conférencier et l’assistance sur les nombreuses questions qui avaient été soulevées : Les droits de l’homme sont-ils universels ? Quelle est leur source philosophique ? Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qui distingue l’être humain de l’animal ? Très vite, il est apparu que le débat pouvait souffrir d’un manque de documentation sur les plus récents travaux de l’anthropologie, et qu’on risquait de s’y enliser faute de s’être jamais demandé si le philosophe et l’anthropologue partageaient bien une même notion de ce qui est le propre de l’homme.

On tentera ici de combler en partie cette lacune, en s’appuyant sur les travaux de chercheurs dont les conclusions ont été publiées en 2001 sous la direction de Pascal Picq et Yves Coppens (note 2). Il ne sera pas inutile, ensuite, de comparer les résultats de cette brève revue avec ce que dit la Bible au livre de la Genèse, lorsqu’on veut bien y lire ce qui est écrit dans le texte hébreu — et non se contenter de traductions courantes, source d’affrontements affligeants entre un évolutionniste et un créationniste l’un et l’autre égarés dans la caricature partisane. Alors munis de ces observations plus exigeantes, nous pourrons espérer porter sur ces questions un regard mieux ajusté, capable d’éclairer le chemin de l’évolution depuis les origines jusqu’aux fins de notre humanité, quelle que soit la civilisation du sein de laquelle tout homme doit pouvoir trouver son chemin d’universalité.

*

Il était une fois deux chercheurs et un chimpanzé. Les deux chercheurs tentaient de montrer, s’il en était besoin, que le chimpanzé était incontestablement intelligent et jusqu’à quel point il l’était. Ainsi s’ouvre la préface que Yves Coppens écrit pour le second des deux volumes consacrés Aux Origines de l’humanité, volume sous-titré : « Le propre de l’homme ». L’expérience des deux chercheurs prévoyait de mettre un chimpanzé dans une pièce fermée ne contenant rien d’autre qu’une table et une chaise, dans deux coins opposés, et un régime de bananes accroché au centre du plafond, très haut. On voulait voir combien de temps mettrait l’animal pour atteindre les bananes, et comment il s’y prendrait dans ces conditions difficiles, puisqu’avant d’y parvenir il lui faudrait d’abord amener la table, puis grimper sur la chaise après l’avoir placée sur la table. Le premier chercheur introduisit donc le chimpanzé dans la pièce, se retira, ferma la porte à clef, mit la clef dans sa poche et observa par le trou de la serrure. Rien. « Je ne vois rien », dit-il à son compagnon, chargé de noter ses observations. « Regarde encore ». Le premier chercheur plaqua de nouveau son oeil au trou et, presque aussitôt, bondit en arrière avec une sorte de haut-le-corps, nous confie Yves Coppens. De l’autre côté du trou de la serrure, il avait vu… l’œil du chimpanzé.

L’intelligence du chimpanzé n’était plus à démontrer. Mais il faut aller plus loin, car cette histoire évoque irrésistiblement l’arroseur arrosé. À ceci près que le singe, loin d’imiter l’homme dont il ne pouvait rien voir du comportement, en vérité devançait son observateur, un homme dont le haut-le-corps soudain nous dit toute la confusion de se voir ainsi surpris en imitateur du singe. Si Jules Michelet, cité par Luc Ferry, avait pu considérer les animaux comme nos frères inférieurs, cette expérience, sans aller jusqu’à nous suggérer d’inverser ce rapport, ne devrait-elle pas, au moins, nous amener à reconsidérer les animaux comme des frères à part entière, à la manière de François d’Assise ? Par ailleurs, n’aurait-on pas tout simplement oublié d’affamer le chimpanzé avant de le soumettre à l’expérience ? Délivré du besoin de chercher nourriture, pourquoi l’animal serait-il incapable de mettre son intelligence au service de sa curiosité, comme l’homme ? Pourquoi serait-il incapable de contemplation gratuite ?

Une nouvelle expérience, au chapitre 9 du même ouvrage, va nous donner encore matière à penser. James R. Anderson étudie la reconnaissance de soi chez les singes. Viki, cinq ans, s’affaire sous les yeux de deux psychologues. Depuis trois ans les époux Hayes élèvent cette jeune chimpanzé, pourvoyant à tous ses besoins. Leur projet vise à lui apprendre à vivre dans un environnement humain (note 3). Nous voici devant cette situation fort intéressante dans laquelle un animal est éduqué par des humains, qui lui accordent une considération analogue à celle qu’ils accordent à leurs frères humains. Dans cette expérience, il faudra donc observer aussi la relation personnelle entre les observateurs et leur sujet : ce n’est plus une femelle chimpanzé, c’est Viki, ce ne sont pas deux observateurs indépendants, ce sont les époux Hayes par qui Viki est accueillie. L’auteur poursuit : Aujourd’hui, la tâche de Viki consiste à classer quarante photographies en deux catégories : « animaux » et « êtres humains ». Viki scrute attentivement chaque photographie et la place sur la bonne pile. Confrontée à la photo d’un autre chimpanzé — son père, en l’occurrence —, la jeune femelle le classe sans hésitation avec les animaux. En revanche, se reconnaissant sur l’un des clichés, Viki place son portrait parmi les « êtres humains » ! (note 4)

L’attitude du singe suggère d’abord à l’auteur qu’il existe “ une reconnaissance de soi chez un primate autre que l’homme ”. Elle implique aussi, dit-il, que “ le concept de soi peut varier en fonction de l’environnement ” du sujet, “ au point de modifier le sentiment de sa propre identité ”. Anderson complète ces remarques en observant que “ cette expérience remet en question l’idée que la conscience de soi serait propre à l’homme ”. Sur tout cela, nous ne pouvons que suivre l’auteur, sans la moindre hésitation. Mais lorsqu’il se dit surpris, paraissant déplorer que Viki ait modifié le sentiment qu’elle a de sa propre identité au point d’avoir perdu “ la conscience de sa propre espèce ”, nous touchons, avec cette erreur dans la lecture des faits observés, le fond de toute la question.

Qu’est-ce qu’une espèce ? Qui a dit que l’espèce humaine n’était pas une espèce animale ? Pourquoi avoir prévu ces deux catégories, « animaux ou êtres humains », plutôt que « chimpanzés ou êtres humains », puisque rien ne nous signale la présence de chiens, vaches ou serpents parmi les photographies ? Viki, cela va de soi, est incapable de lire ou de parler (bien qu’on ait tenté, sans succès, de lui apprendre à parler anglais) : elle ignore tout de nos catégories et n’a donc jamais pu avoir conscience de notre classement humain selon l’espèce. Si elle se classe avec les hommes, alors qu’elle classe son père avec les chimpanzés, ce n’est certainement pas par « perte de conscience » de son espèce.

À vrai dire, nous ignorons si Viki a reconnu celui qu’on nous dit être son père, qu’elle peut très bien confondre avec les autres chimpanzés. Mais en apprenant à distinguer et à reconnaître certains êtres vivants — les époux Hayes —, Viki est devenue capable d’une relation personnelle. Elle est consciente non seulement de soi mais aussi de l’autre. Elle sait distinguer l’autre au milieu de la catégorie d’environnement à laquelle il appartient, car elle a appris à le reconnaître. Ce qu’elle sait faire ainsi comme les hommes, son père et les autres chimpanzés savent-ils le faire ? Au mieux, elle n’en sait rien, mais cela lui suffit pour les classer dans l’autre catégorie. Elle, au contraire, appartient à la catégorie qui sait reconnaître. Sa conscience de soi va jusque là — ce qui surprend tellement Anderson.

Viki vient de nous montrer quelque chose fondamental. Dans l’évolution du vivant, le pas de l’hominisation est un processus, qui fait monter le vivant vers le haut de l’animalité par un accroissement de conscience. Dans ce processus, ce qui élève le vivant est la considération dont il est l’objet, qui fait naître celle qu’il porte à autrui : réciprocité du regard. Or la considération relève de la contemplation. Elle est l’action gratuite d’une espèce animale délivrée du souci de survivre, c’est-à-dire délivrée de la peur d’un prédateur et délivrée de la faim d’une proie. Ainsi vivait Viki, grâce aux deux expérimentateurs qui élèvent cette jeune chimpanzé, pourvoyant à tous ses besoins. Elle est apprivoisée, comme le renard du Petit prince. Les époux Hayes ont ainsi atteint l’objectif de leur projet sur le chimpanzé : lui apprendre à vivre dans un environnement humain. Et leur expérience nous montre en quoi le milieu humain se distingue du milieu animal : la considération gratuite qu’ils portent à leur protégée a conduit celle-ci à dépasser ce que nous appelons « son animalité » — en oubliant la nôtre. Mais ne le savions-nous pas déjà, de notre propre expérience ? Rien n’élève tant un enfant que de le considérer comme un homme.

Dans sa conclusion aux études de l’ouvrage cité, Pascal Picq s’interroge sur ce qui pourrait caractériser le propre de l’homme, en vue de le différencier par nature de l’animal. En vain. La bipédie, la chasse, la vie sociale, la conscience ou le rire, et même l’empathie, l’aptitude à mentir, à compter, à communiquer avec des symboles, rien de cela n’est propre à l’homme, tout se rencontre dans le règne animal. Même la guerre, les chimpanzés s’y livrent eux aussi. Il faut se rendre à l’évidence : entre l’homme et le singe, je ne crois pas qu’il y ait une différence de nature, mais de degré, qui vient de la montée de conscience. Comme le dit un sous-titre, sur l’encart joint au livre où l’on décrit brièvement l’évolution du cerveau des hominidés : “ la conscience n’est pas un phénomène mais un processus ”. Pourquoi ce processus ne serait-il pas commun à tous les vivants, et marqueur de l’évolution de la vie vers le spirituel ? La montée de la vie apparaît comme une spiritualisation de la matière.

Dans cette même conclusion, Pascal Picq, se référant aux expériences d’Anderson sur la reconnaissance de soi chez les singes anthropoïdes, cite le cas de la femelle chimpanzé qui « se trompe d’espèce » en se classant parmi les humains. Et peut-être parce qu’il pense à une autre expérience ayant conduit aux mêmes résultats, il parle de la “ femelle chimpanzé Sarah ”. Étonnant lapsus que ce changement du nom de Viki en Sarah, et qui nous propulse aux origines de l’homme dans la Bible. On se souvient en effet que Sarah était la femme d’Abraham. Or, l’histoire des engendrements des patriarches, à partir du chapitre 5 de la Genèse, fait apparaître que depuis Adam jusqu’à Térah, père d’Abraham, seul le père est nommé, l’identité de la mère n’étant jamais connue. Ce n’est qu’à partir du couple Abraham-Sarah que les deux parents sont nommés, à chaque génération. C’est donc avec Abraham, et à sa suite, que l’homme apprend à former un couple sexué dans lequel la reconnaissance de l’autre est réciproque et se manifeste par l’usage du nom propre. Avancée du processus de montée en conscience, dont le moteur est la considération.

Mais il faut très vite observer que cette évolution est réversible. En s’hominisant, si peu que ce soit, Viki reste certes un animal ; mais l’homme, aussi loin qu’il soit parvenu vers les sommets de l’esprit, l’homme aussi reste un animal. Un animal qui peut sortir de la contemplation, qui peut se soustraire à la considération pour céder à la convoitise ou au mépris. Dérive de la lutte pour la vie, abus de droit pour cet animal conscient : dès que passe à sa portée la tentation d’une proie, son milieu redevient pour lui une jungle et il redescend dans l’animalité. C’est ainsi que Don Giovanni, dans son célèbre numéro de séduction — Là ci darem la mano —, n’est plus un homme faisant la cour à Zerlina, mais un mâle qui veut posséder une femelle de plus, au catalogue de ses déjà mille et trois proies englouties. Toute considération de l’autre a disparu. C’est ici l’animal qui parle. Mais un animal déchu.

Dès les premières lignes de la Bible, nous savons que l’homme est un animal. Dieu créa l’adam à son image. À l’image de Dieu il le créa. Mâle et femelle il les créa (Genèse 1, 27). Le mot employé ici n’est pas le mot « homme » (hébreu ish) mais le mot adam, nom commun qu’il vaut mieux traduire par « hominidé », mieux accordé avec mâle et femelle. Plus loin, le processus de création est précisé : à partir de l’argile adamah. Un même matériau pour l’adam (Gn 2, 7) et pour les autres espèces animales (Gn 2, 19), une même bénédiction reçue à la création. Mais il y a plus étonnant. La Bible nous dit encore que l’animal peut accéder au processus d’hominisation, tout comme nous l’avons vu pour la femelle chimpanzé Viki. La scène se passe juste avant le déluge. Dieu demande à Noé de prendre avec lui, dans l’arche, tout animal par couple, un homme et sa femme (Gn 7, 2). Or ce verset concerne l’animal domestique, le plus souvent du gros bétail (hébreu behemah), mais ne concerne pas les oiseaux, pour lesquels Noé devra faire entrer un mâle et une femelle pour laisser vivre la semence (Gn 7, 3). Observons à quel point la nuance est grande au sein même de ce que nous appelons indistinctement le règne animal. Finalité reproductrice pour les oiseaux, en couple anonyme ; relation choisie, un « homme » et « sa femme », dès que l’animal est entré en humanité, ne serait-ce, ici, que par le chemin de la domesticité, du familier déjà considéré comme partenaire. Et tout ceci n’arrive pas n’importe quand dans la Bible, mais au moment de la sélection qui préservera, dans l’arche, la vie qui progresse en humanité (note 5).

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On sait combien les travaux de Darwin et, à leur suite, les découvertes de la science sur les origines de l’homme, suscitèrent de disputes mais aussi de refus de la part de certains milieux religieux. Espérons que les lignes précédentes auront permis au lecteur de se convaincre qu’il n’y aucun désaccord entre le texte hébreu de la Genèse et les théories de l’évolution, telles qu’elles furent présentées par Darwin à l’origine, ou telles qu’elles se présentent aujourd’hui complétées par les découvertes de Mendel et les lois de la génétique. La synthèse est possible à condition que les analyses soient justes. Dans la Bible, il faut lire ce qui est écrit, respecter avec rigueur les faits scripturaux, sans projeter par avance sur le texte une conception du monde héritée de nos ancêtres. Notre conception du monde sera le résultat de cette synthèse, non l’inverse, dès que nous y aurons intégré les découvertes plus récentes de la science.

Symétriquement, la synthèse exige une lecture rigoureuse des faits expérimentaux. Chez trop de scientifiques, la philosophie ne sait pas se libérer des modèles d’Aristote. Certes, nous devons beaucoup à cette philosophie. Mais les avancées de la Physique obtenues par la génération d’Einstein ne doivent pas grand chose aux catégories d’Aristote. Il faut savoir quitter nos ancêtres spirituels, tout en continuant de les honorer pour ce que nous en avons reçu. En particulier, maintenant que le temps et l’espace ont cessé d’être indépendants, on ne peut plus lire la Bible comme on lirait un livre d’auteur. Il serait tout aussi ridicule de croire que Darwin a trouvé la source de sa théorie dans les versets de la Genèse cités plus haut, que de croire que les hagiographes de ces mêmes versets ont voulu nous dire, là, ce que nous venons enfin de comprendre aujourd’hui. Pourtant, un lien existe. Mais il n’est pas à notre portée. Sans doute est-il encore caché parmi les secrets du “ Dieu horloger ” cher à Voltaire, qui inspire à ceux qui écrivent, ailleurs et en d’autres temps, aux hagiographes comme aux scientifiques, des vues encore très embryonnaires qu’ils traduisent comme ils peuvent dans leurs écrits, loin d’en imaginer la portée ou le sens caché que l’on découvrira longtemps après eux.

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Cet esprit, qui inspire aussi bien l’hagiographe que le scientifique, c’est lui aussi qui inspire le philosophe, Voltaire, comme l’animal qui s’humanise, Viki. Il est le moteur de la vie. Elle monte vers lui, dans ce mouvement d’évolution venu des origines, et que nous percevons derrière la surface des choses. Mouvement qui répond à son appel de conscience, à la caresse de son souffle sur les eaux — nos eaux parfois si troubles. La considération qu’il reçoit d’en haut élève le vivant qui accueille son appel, et tout vivant qui s’élève élève le monde. Inversement, celui qui récuse l’appel, qui choisit de céder aux pesanteurs de la matière, fait régresser le monde avec lui, descendre aux origines, à rebours de l’évolution.

C’est pourquoi sa conscience qui grandit suscite à l’homme un devoir. Devoir de considération réciproque : faire monter avec lui, en humanité, celui qu’il considère. C’est le devoir de l’homme. Envers l’autre, envers moins haut que soi, pour monter ensemble, au lieu d’exploiter pour descendre plus bas que lui. Devoir de l’homme. Non pas les « droits de l’homme », mais bien le devoir de l’homme. Car ce pluriel est déjà confusion par lui-même, foire ouverte aux inventaires à la Prévert. Aurai-je droit au couvercle de cabinet ? Faut-il étendre les droits de l’homme aux chimpanzés ? Des droits tous revendiqués à l’encontre d’un tiers, opposables à une autorité suspectée de ne pas les accorder. Qui détient cette autorité ? Qui bafoue les droits à l’expression ? La censure, sans doute. Mais plus insidieux qu’elle, le brillant orateur habile à déconsidérer, par ses attaques blessantes, un contradicteur qui dérange sa thèse.

On peut, par la loi, contraindre le pouvoir à laisser certains droits s’exercer. On peut même interdire d’interdire, a-t-on prétendu. Protections toujours insuffisantes, sans cesse contournées, jamais universelles puisqu’il faut y adjoindre des limites, des frontières, des exceptions, s’adapter à la culture du moment. La considération n’est pas de cet ordre. Elle est le devoir que chacun s’impose à lui-même, que rien ni personne ne pourrait lui dicter. La considération ne peut être que gratuite, faute de quoi elle perd sa vertu, elle sombre dans le calcul et jette bas un mouvement qui montait. La considération est le manifeste d’un esprit libre qui fait le premier pas de l’amour.

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La considération vient d’en haut. Elle est d’abord écoute de l’altérité, écoute du cri de l’autre. Un cri animal à déchiffrer, car peut-être ce cri est-il inspiré, peut-être vient-il d’en haut lui aussi. Il appelle réponse. Il amorce le dialogue. Il inaugure un langage qui plus tard pourra devenir poème ou symphonie. La poésie est un cri, dit Max Jacob, mais un cri habillé. Cependant l’homme naît nu, et si son cri animal a pu devenir langage, à qui le doit-il ? Incapable de s’habiller seul, l’homme ne sait que remettre le matin les vêtements quittés la veille, avant de s’endormir. À son réveil, n’en doutez pas, il comprendra qu’il doit tout à celui qui l’habille. À ce grand couturier inspiré, qui travaille en secret pour l’homme qui sommeille.




Jean Michelet
Pau, juin 2009


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Notes

Note (1)
Conférence prononcée le 21 mai 2009 à bord du Princess Danae, dans le cadre d’une croisière philosophique organisée par Intermèdes et Philosophie magazine. Thème de croisière : Pluralité des civilisations ; titre de la conférence : Les droits de l’homme sont-ils universels ?

Note (2)
“ Aux origines de l’humanité ” - Fayard, novembre 2001
sous la direction de Yves Coppens, Professeur au Collège de France ;
et de Pascal Picq, Maître de conférences au Collège de France.
Volume 1 : De l’apparition de la vie à l’homme moderne
Volume 2 : Le propre de l’homme

Note (3)
in Volume 2, Le propre de l’homme, chapitre 9, pages 368 à 395 :
De l’autre côté du miroir - À la recherche de la reconnaissance de soi chez les singes.
Auteur : James R. Anderson, maître de conférences au département de Psychologie de l’université de Sterling (Écosse, Royaume-Uni).

Note (4)
idem, page 370. Citation conforme, y compris pour les mots entre guillemets.


Note (5)
Observons encore que la langue biblique, en désignant les animaux familiers de l’homme par le substantif behemah, fait appel à la racine baham de ce mot. C’est un verbe, par ailleurs inusité dans la Bible, qui a le même sens en hébreu et en arabe : baham signifie être muet.

Ah ! si le chien d’Ulysse avait pu parler, que n’aurait-il dit sur l’aveuglement des hommes…